Cinéma / FELICITE d’Alain Gomis.

A Kinshasa au Congo , le quotidien d’une mère chanteuse de cabaret bouleversé par l’accident de moto dont son fils de 14 ans , est victime. Le quatrième long métrage du cinéaste Franco-Sénégalais, sublime son combat pour trouver l’argent nécessaire à l’opération de ce dernier, dans une fiction habitée par le réalisme documentaire et ses envolées musicales, lyriques et poétiques. Au coeur du chaos, le courage du désespoir et la grandeur de l’âme illumine le chemin de Félicité , mère courage symbolique d’un pays , d’un continent…

l’Affiche du Film.

Pas étonnant que le film s’ouvre sur cette superbe séquence du bar où se produit Félécité   ( Véro Tshanda Bey) qui fait aussitôt taire le brouhaha des disputes attisées par les vapeurs d’alcool , dans ce lieu défouloir de toutes les frustrations quotidiennes. D’emblée sa stature en impose qui scrute le public , puis les premières notes de sa voix envoûtante et son énergie font taire l’assemblé qui se laisse emporter par le tempo. Les tracas quotidiens qui s’estompent et finissent par être transportés et transcendés par la rythmique fusionnelle d’une sorte de cérémonie. Séquence symbolique . D’un coté le désordre du lieu-défouloir où tout est prétexte ( trafics , bagarres , drague , alcool..) à se perdre pour oublier le quotidien de misère. De l’autre l’arène de  la scène, comme celle d’une ring de boxe où il faut s’imposer où le quitter sur un K.O. Félicité y rentre comme la battante qu’elle est, ayant déjà reçu des coups de la vie , elle toise l’adversaire et sa voix sera comme un « upercut » qui le fait taire . Et l’entraîner dans un autre combat, dont l’énergie musicale           ( paroles et musique ) qui s’en dégage, distille est celle  de la fusion et de la vie . Une énergie revitalisante. Félicité a été toute sa vie une femme forte, une battante qui a toujours  su affronter les épreuves …

Félicité ( Véra Tshanda Beya ), chante  la vie …

Et voilà que tout à coup ses certitudes vont s’écrouler avec l’accident de son fils menacé d’amputation d’une jambe.  » dès que tu auras payé , on pourra opérer  ton enfant  » . Il va falloir trouver l’argent pour le sauver. Solliciter les aides et la solidarité, affronter les humiliations et les refus … elle voit son univers risquer de s’écrouler «  avec l’accident de son fils arrivait la défaite », explique le cinéaste . Dès lors, c’est un nouveau combat  qui commence . Celui      qu’au fil des épreuves, des doutes et du renoncement , il lui faudra surmonter …pour renaître à la vie. C’est la belle et centrale idée qui conduit le récit «  comment allait -elle pouvoir laisser la vie se ré-engouffrer en elle après cette chute ? . Quand tu tombes, quand tu es au fond du trou, la vie saisit toutes les opportunités, et je trouve cela fascinant », explique Alain Gomis dans le Dossier de presse. Dans le cheminement décrivant la re-naissance à la vie de Félicité, mais aussi de ceux qui l’accompagnent, le film atteint des moments d’intense émotion. Ponctués par une écriture et une mise en scène qui accompagne le combat de la chute et du retour à la vie, par ses audaces formelles et visuelles. Dans le découpage et le montage où la violence des rapports humains fait écho à celle du désordre de la rue et d’un contexte social qui ne fait que l’attiser. Des petits gamins affamés poursuivis et quasiment lynchés pour avoir volé un fruit pour manger. Des services de santé qui « monnaient » chèrement les soins , y  compris parfois  les plus rudimentaires . Des policiers qui n’acceptent d’intervenir pour régler des litiges, qu’en étant payés par les citoyens !…

Le fils  de Félicité, Samo ( Gaétan Claudia )

Le travail des auteurs fait feu de tout bois pour nous faire pénétrer dans les arcanes du cheminement de la quête de Félicité ( Voir Bande -Annonce ). Le traitement musical qui s’y colle se fait le reflet de ses états d’âme . Les vibrations et l’énergie du début , se muent en complainte désespérée pour s’envoler dans la douceur sacrée d’un chant symphonique . Alliant tradition et modernité , les colorations de musiques traditionnelles et celles aux tonalités Rock ou électro accompagnent les séquences , puis , celles de la chorale interprétant « Arvo Pärt » . Le travail sur la bande sonore (signée par le groupe Kasai Allstars et l’orchestre symphonique de Kinshasa ) est en tout point remarquable  et en osmose -comme élément de dramaturgie- avec la mise en scène et les dialogues. S’y ajoutent également les  éléments de refuge , faisant référence a l’abandon , au désespoir , aux doutes et au chaos de Félicité. Les descentes au cœur de ce gouffre qui l’aspire,  l’appel du vide , comme une sorte de « plongée entre deux mondes ». La perte des repères comme l’illustre entre autres,  la scène de la nuit dans la forêt  en une sorte de «  préalable à toute nouvelle naissance ». Alain Gomis avec la complicité de Céline Bozon à la photographie , entraîne le spectateur dans des espaces inattendus, loin des schémas et codes narratifs dramatiques traditionnels , et y insuffle cette part de liberté du conte « permettant aux héros de se réapproprier leur destin »….

Félicté ( Véra Tshanda Beya ) et Tabu ( Papi Mpaka )

Le cinéma d’Alain Gomis est un cinéma vibrant qui vous entraîne dans son bouillonnement et ses envolées libertaires . Il se rattache en cela,  quelque part,  au cinéma des origines qui se permettait toutes les audaces, ou à celui des cinéastes des nouvelles vagues qui ont émergé en leur temps un peu partout dans le monde. Pour porter un regard et une approche  s’affranchissant des «  codes dominants » du cinéma afin d’être en adéquation avec les populations des pays dont ils décrivent les destinées de leurs personnages ou communautés. C’est dans cette démarche qu’Alain Gomis inscrit le cheminement de Félicité , refusant de la « victimiser », comme ils le font souvent. Préférant  la mettre en position « d’aimer sa vie » et pouvoir «  reconstruire son territoire de destination » , comme le suggère le poème de Novalis «  Hymnes à la nuit » dans la scène finale. Celui  qu’elle  qui pourra se ( re) construire au cœur du chaos , peut-être avec Tabu ( Papi Mpaka ) qui ne cesse solliciter son attention et son amour. Celle , aussi , de son fils qui devra surmonter l’épreuve et apprendre à aimer à nouveau la Vie . On vous laisse découvrir sa – belle – métamorphose …

Félicité est un de ces films dont on aime faire partager les qualités d’un travail exemplaire de cinéaste et ses audaces narratives . Il est de ceux dont l’inventivité et la passion nous changent d’un cinéma trop souvent formaté de clichés . Il est vibrant et riche , plein de passion et de vie . A l’image de son héroïne Félicité incarnée magistralement par Véro Tshanda Beya , comédienne que l’on découvre et qui vous touchera en plein cœur . Une grande comédienne est née …

(Etienen Ballérini)

FELICITE d’Alain Gomis – 2017- Durée : 2h 03-
Avec: Véro Tshanda Beya , Papi Mpaka , Gaetan Claudia, Nadine Ndeba, Muambuyi,
Léon Makola, Sylvie Kandala , Modero Totokani, Bavon Diana….

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