La pièce de théâtre que j’ai vu la semaine dernière au TNN n’est pas une pièce de théâtre. Non. C’est une fusion.
L’auteur, David Turkel est un dramaturge, scénariste et poète basé à Corvallis, dans l’Oregon. En 2014 il est diplômé de l’Université du Texas (AMF d’Austin en écriture dramatique). David Turkel écrit des pièces à l’humour noir. Avec une expérience de vingt ans de travail en collaboration sur des projets spécifiques, les pièces de David Turkel sont présentées dans les églises abandonnées, les brasseries réutilisés, les usines de textiles, lofts, et même dans des théâtres occasionnels.
Quant au metteur en scène, nous le connaissons bien, au TNN : c’est l’iconoclaste Dan Jemmet, avec Macbeth [the notes] en février 2015, Shake, en janvier 2016. La première mise en scène de Dan Jemmett, Ubu Roi d’Alfred Jarry, est présentée au Young Vic Theatre. Un autre Ubu chez Dan Jemmet, Ubu enchainé, avec Eric Cantona, que nous avions vu en 2012.
Clytemnestre attend son mari Agamemnon. Elle lui prépare un bain, cuisine un bon repas et décore de cotillons le bar-and-grill qu’elle tient au bord de la route. Elle se revoit des années avant aux côtés de son mari, repense au jeune Achille devenu soldat, mais une chose la hante plus que tout : le sort funeste de sa fille, Iphigénie, assassinée par Agamemnon.
La pièce se fonde sur l’œuvre éponyme Euripide. C’est une œuvre très contemporaine, sensée se dérouler dans un coin des Appalaches où Clytemnestre vit avec les spectres de son passé. Et –force de l’écriture ou prégnance de l’antique tragédie- c’est une pièce très contemporaine, à la mise en scène cinématographique, qui conserve la forme antique de la tragédie d’Euripide. Le spectateur navigue entre les deux univers sans contradiction.
Le cadre de la pièce (bravo au décor simple mais prégnant de Sylvie Cruguet) la bande son (musique country sentimentale venant d’un vieux jukebox), la localisation (un trou perdu dans le Nord-est des States) indiquent donc les Etats-Unis, leur violence d’être, qui passe par le discours mais aussi la gestuelle du personnage, une tenancière de bar-and-grill, personnage dont le nom renvoie à une autre violence. Personnage jouée par la sublime forcement sublime Valérie Crouzet, mais nous y reviendrons.
Et, force de l’écriture – mais aussi très certainement de la traduction, due à Marie Paule Ramo- il y a quasiment à chaque instant la subtilité de ce passage entre le contemporain et l’antique, comme si finalement tout n’était qu’un même « moment » spatio-temporel. Et ce passage est aussi lisible dans le décor. Ainsi, en fond de scène, une baignoire, que le personnage, times to times, emplit. Sans doute pour préparer un bain pour celui qu’elle attend. Or, le dernier seau d’eau fait quasiment déborder la baignoire : on s’aperçoit qu’il s’agit de sang. Or c’est dans son bain qu’Agamemnon succombe sous les coups de Clytemnestre. Nul n’est besoin de savoir la légende pour deviner que l’on est passé en un dixième de seconde du réel à l’épopée.

La langue a sa propre violence, violence dans les événements que le personnage évoque, mais aussi lorsque celui-ci parle des personnages de la tragédie, les évoque (Agamemnon, Ménelas, Helene, Pâris, Calchas…), une langue crue et directe, sans fioritures. Et c’est peut-être de cette confrontation entre cette langue et la confrontation entre contemporain et guerre de Troie que nait une poésie aride et somptueuse. Clytemnestr@pocalypse n’est pas adapté de… mais se fonde sur Euripide.
Et il faut revenir à Valérie Crouzet. Je ne m’étonne pas qu’elle ait commencé sa formation avec Ryszard Cielsak célèbre acteur de Jerzy Grotowski (je vous recommande la lecture de « Vers un théâtre pauvre » L’âge d’homme). Sur scène, elle tient à la fois de l’imprécateur et de la pythie. Telle la pythie, elle entre en transes. Chez l’oracle, celles-ci étaient dues aux exhalaisons prophétiques d’Apollon. Ici, c’est la permanence du deuil et de la vengeance. Elle nous entraine constamment vers le texte, y dirige tout son art. Son vêtement est actuel (une chemise noire et un pantalon de velours noir) mais cette couleur indique la tragédie, signifie le deuil.
Vraiment, Clytemnestr@pocalypse n’est pas une pièce de théâtre. C’est une fusion.
Jacques Barbarin
clytemnestr@pocalypse Création David Turkel d’après Euripide & Eschyle
traduction Marie-Paule Ramo, mise en scène Dan Jemmett
TNN 04 93 13 90 90
Mardi 28 et mercredi 29 20h30
[…] Ubu roi, Shake, Ubu enchaîné Clytemnestr@pocalypse , et les lecteurs de ciaovivalaculture itou : https://ciaovivalaculture.com/2017/03/27/theatre-clytemnestrpocalypse/, https://ciaovivalaculture.com/2015/02/10/theatre-au-mitan-de-shake-nice/ […]