Le cinéaste italien poursuit son exploration du monde de l’adolescence rebelle . Après le très beau Ali a les yeux bleus ( 2012 ), c’est du côté de ceux – auteurs de vols et autres dérives – et se retrouvent en prison, qu’il porte son regard…

Dans les premières séquences de Fiore ( cliquer pour voir la bande- annonce), on suit caméra à l’épaule, la jeune Daphné ,17 ans ( Daphné Scoccia) qui avec ses copines et copains complices, dans le métro Romain agressent les passagers pour voler leurs portables. Jusqu’au jour où une des victimes se défend et poursuit la jeune fille …qui se retrouvera dans une prison mixte pour mineurs, où les bâtiments destinés aux garçons et filles sont séparés . Et les contacts entre les deux sexes , interdits . Un jour , de l’autre côté de la grille qui les sépare Daphné se voit interpellée par un jeune Homme, Josh ( Josciua Algeri) . Au fil des jours le dialogue entre le deux adolescents va se poursuivre, bravant les interdits . De l’aide demandée par ce dernier , à un soutien partagé dans le vécu quotidien dont ils ont du mal à supporter les conditions, le règlement et les brimades des gardiens et gardiennes , comme ceux des conflits et rapports de forces avec les autres détenus dans les cellules . Josh et Daphné sont deux jeunes rebelles romantiques à fleur de peau, et souffrent d’une manque de soutien de leurs proches . Daphné ( père en liberté surveillée et ayant refait sa vie ) , et Josh ( famille éloignée dans le Nord de l’Italie , copine qui refuse ses appels depuis son emprisonnement ) . Dans leur double isolement ( familial / prison) , de conversations échangées d’une cellule à l’autre en messages clandestins, au fil des jours , une liaison amoureuse s’installe en forme d’espoir …

Le cinéaste a choisi le parti pris de refuser de juger et de condamner ces jeunes adolescents , et de décrire leurs conditions de vie dans ces centres de détention dans lesquels ils purgent leurs peines. Pour ce faire il a effectué un long travail en amont pour construire son récit, et a visité ces centres , parlé avec le personnel carcéral et les jeunes adolescents « les conditions de vie que j’ai découvert dans ces centres pour mineurs où les garçons et les filles sont séparés m’ont amené à m’interroger es questionnements suivants : « est-il possible vivre l’adolescence dans un contexte carcéral ? , d’y préserver la grâce et l’innocence lorsqu’on est considéré comme coupable par la loi ? (…) la morale n’y est plus celle de la loi , mais celle anarchique des sentiments, et les interdictions qu’ils rencontrent sont des obstacles à surmonter afin de pouvoir les vivre » , explique -t-il . Que l’on soit derrière des barreaux , ou pas , suggère-t-il en sous-texte , persiste cette pureté , innocence , candeur, insouciance de l’adolescence à vivre le moment présent sans se soucier des conséquences . Et l’enfermement ne fait que les attiser . Le cinéaste a voulu « coller » à la réalité afin de « construire ses personnages à partir de celle-ci qui dit-il , en fait la richesse » . Son film est donc composé d’acteurs non professionnels « pour la plupart d’anciens détenus ou en période d’observation » et de comédiens professionnels…

Tandis que le récit est construit autour de la vision interne et du point de vue de Daphné « on voit tout à travers ses yeux et on vit tout à travers elle ». Le cinéaste , respectant le cadre multiculturel et multiethnique de la prison qu’il nous fait découvrir dans son sillage , offrant en miroir le portrait d’une jeunesse italienne qui se retrouve derrière les barreaux ‘pour de multiples raisons. Dès lors le récit de ce « soutien » moral que prolonge une histoire d’amour interdite dans le lieu, prend une dimension étonnante . Rendu crédible et saisissant de vérité , porté par des interprètes remarquables , Daphné Scoccia et Josciua Algeri qui incarne Josh ( ce dernier qui est malheureusement décédé dans un accident quelques mois après le tournage du film ). Ils sont justes, touchants , et traduisent magnifiquement cette candeur insouciante, qu’illustre la magnifique séquence finale du film, exprimant leur désir de vivre intensément et de saisir les instants , même fugaces, d’un bonheur que personne ne peut leur voler…

La mise en scène au cœur de laquelle Daphné est de tous les plans nous faisant vivre son quotidien, sa détresse, ses émois et se peines , fait aussi le choix de l’utilisation de l’image cinémascope qui amplifie les mouvements de l’enfermement dans l’espace . L’image large offrant ( on l’ a vu récemment dans De Sas en Sas de Rachida Brakni ) une dimension étonnante à celui-ci, qui inscrit , traque et délimite( comme le font les barreaux des fenêtres et les portes des cellules ) dans son cadre, les personnages à qui il semble impossible de sortir de celui-ci. Et quand le cadre ,dans le plan final, s’ouvre à l’extérieur et aux espaces sans portes ni barreaux , c’est alors l’insaisissable de cette liberté désirée qui s’y inscrit ( belles scènes des permissions de sortie ) . Il y a, enfin, deux références dont le film porte la filiation de son regard sur la jeunesse adolescente . Celle de Pier Paolo Pasolini auquel faisait déjà référence le précédent film de l’auteur Ali a les yeux bleus reprenant le titre d’un magnifique texte de l’écrivain- cinéaste , qui a consacré à la jeunesse adolescente des « malavita » ( mauvaise vie ) ses premiers romans ( une vie violente ) , et films ( Accatone). De la même manière, son travail sur le milieu carcéral rejoint celui fait par les frères Taviani dans César doit mourir . Dont on retrouve ici , en forme de lien , le grand comédien Valério Mastandrea qui jouait dans le film des Frères cinéastes et qui interprète , ici , le père de Daphné.
Des références d’inspiration non fortuites , s’inscrivant dans une volonté artistique et de point de vue , destiné à traquer sans préjugés , cette vérité sur les individus qui en dit long à la fois sur leurs destinées et sur la société dans laquelle ils vivent. Le regard et la mise en scène de Claudio Giovannesi est en ce sens , un état des lieux d’une grande justesse…qui donne à réfléchir.
(Etienne Ballérini)
FIORE de Claudio Giovannesi – 2016 – Durée : 1h 50.
Avec Daphné Scoccia , Josciua Algeri , Valério Mastandrea, Laura Vasiliu, Aniello Arena, Francesca Riso…