Théâtre / Victor Hugo mon amour

Quand je ne serai plus qu’une cendre glacée/Quand mes yeux fatigués seront fermés au jour/
Dis toi, si dans mon cœur, ma mémoire est fixée/ Le monde a sa pensée. Moi j’avais son amour.

Qu’est-ce donc que ce quatrain ? Simplement l’épitaphe qui figure sur la tombe de Juliette Drouet. Juliette Drouet ? Ah oui ! La maîtresse de Victor Hugo ! Si vous parlez  comme ça à Anthéa Sogno, elle est capable de vous dévorer tout cru.
Très peu de choses en effet nous permettent de nous remémorer cette femme magnifique qui fut l’amour et la muse de Victor Hugo, qui recopia intégralement son œuvre, qui lui sauva la vie pendant le Coup d’état, le suivit en exil et sauva à deux reprises la malle des manuscrits qui contenait entre autres « Les Misérables ».
Et, plus encore, Juliette Drouet nous a laissé vingt milles lettres d’amour adressées à Victor Hugo qui sont à la fois une preuve irréfutable et un modèle à suivre pour exprimer la force d’un sentiment dont nous avons tous besoin pour vivre et nous dépasser. L’amour humain y est décliné sous toutes ses formes, de toutes les manières possibles, dans une perpétuelle invention qui nous fait rire, pleurer, rager, rêver.

Si l’on peut mesurer l’importance d’un personnage à l’aune de sa page Wikipédia, celle sur Juliette compte … dix sept lignes avec comme définition « Juliette Drouet, de son vrai nom Julienne Joséphine Gauvain (Fougères 10 avril 1908-Paris 11 mai 1883) est une actrice française, passée à la postérité pour avoir été la compagne de Victor Hugo pendant près de 50 ans. » Fermez le ban.
Bon. Revenons à Anthéa Sogno. Cette jeune femme est une révoltée de la vie, plus exactement de son étroitesse, de sa petitesse, de sa médiocrité. Un seul terrain d’expression ne peut exister pour cette « force qui va » comme l’écrit Hugo dans Hernani : le théâtre. Ne nous étonnons donc pas de la retrouver chaque année en Avignon, le reste du temps un peu partout et bien sûr dans son port d’attache, « Le Théâtre des Muses »* à Monaco.
La  semaine dernière elle était au Théâtre de la Cité,  à Nice, où elle venait présenter Victor Hugo mon amour [aimer c’est plus que vivre], spectacle qu’elle a construit, tracé, tramé à partir des lettres d’amour de Juliette à l’auteur des Misérables, 23.650 au total.* Il ya des femmes de lettres – c’est le cas de le dire- dont on se souvient et qui en ont écrit moins que ça. Mais Juliette n’était pas marquise, seulement la fille d’une fileuse et d’un tailleur.

Anthéa Sogno

L’intelligence de l’écriture de ce texte est que, entre 1833, année de la rencontre entre Juliette et Victor, et 1883, année de la mort de Juliette, via une aventure intime, il s’agit d’une « radiographie dramaturgique » de la France durant ce demi-siècle, que cela soit socialement, politiquement, idéologiquement et bien sûr… théâtralement.
Dans ce spectacle, Juliette Drouet nous est montrée à la fois comme une amoureuse irrémissible, comme une talentueuse du verbe et un génie de l’irrévérence : elle brocarde le « pauvre griffouilleur qui perd son temps à peiner sur ses discours. » Il y a de la sensualité dans son verbe, dans son impertinence, et de l’intelligence dans son libertinage.
Il y a un terme que j’abhorre et que mes distingués confrères usent à loisir : c’est, en parlant d’une interprétation, dire que l’on « incarne » le personnage, mais je n’ose penser que ce n’est pas par manque de vocabulaire. Mon ami le comédien François Voisin, à propos d’un article sur lui dans lequel j’avais usé de cette incongruité, m’avait fait gentiment remarqué qu’il n’y avait que les ongles qui étaient incarnés.
On n’ « incarne » pas, on n’ « est » pas tel ou tel personnage, on va chercher en soi, dans sa personnalité, peut-être dans sa part d’ombre. On est toujours soi, mais on avance masqué. C’est en soi que le comédien, la comédienne, va chercher x ou y. Et nulle part ailleurs. La Juliette d’Anthéa nous séduit, nous amuse, parfois nous courrouce, parfois nous exaspère (« décidément elle en fait trop ! »), nous la joue faussement naïve (elle sait son « Toto » par cœur).
La chaleur émotionnelle de cette immense lettre d’amour qu’est VHMA (Victor Hugo Mon Amour) trouve son apogée dans la mise en scène de la fin : dans un lit, seule sa tête dépassant, Juliette s’en va quittant et la vie et son Toto. Anthéa est dans ce moment là presque dans un moment radieux : elle s’enfonce et dans son lit et dans sa proche disparition, dans sa voix et dans le bonheur qu’elle évoque, dans ce dispositif scénique, tout cela m’a irrésistiblement évoqué la Winnie de « Oh les beaux jours ». Anthéa,  je ne vous ai pas comparé à Madeleine Renaud. On se calme.

Anthéa Sogno, Sacha Petronijevic

A ses cotés, Sacha Petronijevic cherche – et nous trouve – aussi bien les bontés, mais aussi les petites lâchetés, les tentations d’orgueil de celui qui, né quand « le siècle avait deux ans », laisse filer –parfois à sa volonté défendant- la stature de Hugo pour n’être que l’humain, le trop humain Victor. Bravo les artistes.

Jacques Barbarin

*http://www.theatredesmuses.fr
**Je vous conseille la visite du site  www.juliettedrouet.org

 

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