Le retour au pays natal du prix Nobel de littérature permet aux cinéastes Argentins de croquer une satire caustique et décapante, explorant la thématique de la création et de la compromission artistique. Prix d’interprétation au Festival de Venise pour le Comédien Oscar Martinez et Goya du meilleur film Ibérico-Américain 2017. Réjouissant…

C’est par un discours inattendu et un refus de se conformer aux traditions imposées pour la cérémonie de remise du Prix Nobel dont il est récompensé , que l’écrivain Argentin Daniel Mantovani ( Oscar Martinez remarquable , prix d’interprétation amplement mérité ) se distingue . Expliquant à l’audience et aux personnalités présentes que cette distinction et l’apparat de la cérémonie , lui semble être d’un autre temps. Révélatrice d’une compromission et d’un décalage . Se sentant à la fois « honoré par cette distinction« , mais ayant le sentiment d’être devenu un artiste « aimable et commode » , de rentrer dans le rang , alors qu’un artiste digne de ce nom devrait toujours rester rebelle , interpeller ses contemporains . Ce qu’il a souhaité traduire au travers de son oeuvre , inspirée de la vie et des habitants de Salas, une petite ville provinciale de la pampa Argentine, et éloignée de Buenos Aires dans laquelle il est né et a passé son enfance. Une ville qu’il a quittée pour l’Europe et l’Espagne plus particulièrement, où il réside désormais depuis quarante ans. Au retour de la remise du prix, refusant toutes les sollicitations médiatiques , colloques ou rétrospectives , il passe son temps reclus dans sa villa protégé par sa secrétaire. Pourtant, une invitation inattendue l’intrigue, celle de la lettre du maire de Salas qui le convie aà revenir au Pays pour y être honoré comme « citoyen d’honneur » ( Voir Bande-annonce). Il finira , après avoir refusé , de s’y rendre…

Les cinéastes alternant depuis leur rencontre en 1993 œuvres expérimentales , puis documentaires pour le cinéma et la télévision , mais aussi oeuvres de fictions ( l’Artiste / 2008 ) rarement arrivées sur nos écrans , mais remarquées dans les Festivals , comme L’homme d’a côté (2009) primé au Festival de Sundance . Citoyen d’honneur a été un des plus grands succès de l’année en Argentine , et c’est justement l’aspect documentaire ,qui irrigue la fiction et la satire comiquequi y font mouche. C’est la belle idée du film dont ils ont souhaité mettre en place les mécanismes d’une confrontation qui disent-ils « nous permettaient d’aborder différents sujets liés à la société Argentine (…) la regarder aussi au travers du prisme d’une petite ville provinciale et de ses habitants (…) de mélanger les genres autant dans la forme que dans le fond et d’emprunter à la fois à la Comédie et au Western, mais aussi au documentaire dans la manière de raconter, et d’aller au -delà des limites et interpeller le spectateur… le retour du prodige local y provoquant pas mal de tensions au travers de ce décalage entre les habitants et l’artiste que l’on honore plus à cause de sa renommée que de son œuvre que certains n’ont pas forcément aimée ». C’est tout ce mécanisme d’attraction et de rejet qui s’inscrit au cœur d’un récit , où la montée en puissance et la violence des conflits suscités, ne manque pas de réserver la surprise, aux spectateurs, du jeu de rôles et de massacre qu’il va provoquer…

Dès lors , les séquences qui le mettent en place se font le miroir de toute une série de comportements qui viennent s’inscrire au cœur de ce rendez -vous du citoyen d’honneur avec les habitants de la ville de son enfance. Tout y passe dans cette confrontation : rencontres improbables , situations cocasses ( interview mémorable à la Tlélé Locale , rencontre de la Miss locale , défilé en ville sur la voiture incendie des Pompiers , et autres gags ) où les clichés sont malicieusement abordés pour faire sourdre, le fossé qui sépare l’intellectuel et la population locale . Au- delà du fossé social révélant en toile de fond le décalage entre la capitale et la campagne profonde Capitale . Puis , il y a la réussite de l’intellectuel quelque jalousé dont on cherchera à profiter , comme l’illustrent les séquences avec les habitants qui le sollicitent ( comme celle du père du jeune homme en fauteuil roulant) , ou la façon dont le maire de la ville l’utilise pour conforter sa position locale. Mais aussi celles , qui s’inscrivent en miroir de cette « normalisation » qu’il évoquait lui- même lors du discours à la cérémonie du Prix Nobel , et vont en révéler l’ampleur. Pointant , le rapport de l’artiste dont le récit est d’ailleurs conduit par lui ( subterfuge de distanciation?) qui va se retrouver confronté ( avec ses préjugés …) à une réalité qui après l’accueil chaleureux de façade , va se transformer en boomerang lui renvoyant l’hostilité des jalousies et autres rancunes des habitants. Se déclinant en une sorte de surenchère dont même ses amis ( son meilleur copain et son ex- amour de jeunesse, qui se sont mariés après son départ) , lui renvoient l’écho. Comme si les personnages qui sont à l’origine et dont il s’est servi pour faire œuvre créatrice -avec ce qu’elle comporte d’imaginaire et de construction intellectuelle sur laquelle elle repose- le faisaient se retrouver confronté au réel … et finissent par se retourner contre lui.

Au delà des nombreux exemples dont on vous laisse la surprise de la découverte , est significative la séquence du concours de dessins dont il est chargé de distinguer les lauréats et qui le fait s’attirer les « foudres » des artistes locaux …en les éliminant !. Ces derniers furieux le considèrent désormais comme un traitre à ses origines et a son pays , en donneur de leçons ayant assis sa notoriété à l’étranger , dont il est devenu le valet.Dés lors il sera l’objet de la vengeance de ceux qui dont il s’est inspirés pour en faire les personnages de ses romans . Sa statue à peine inaugurée et aussitôt « taguée » , regards hostiles et menaces … devenu indésirable , il est prié de quitter définitivement la ville. « il est à la fois un héros et un anti-héros , cette ambivalence et celle des autres personnages , est au cœur du film. Il n’y a pas les bons d’un côté, et les méchants de l’autre, rien n’est figé , c’est comme dans la vraie vie …les personnages ont tous quelque chose de vrai , même ceux qui ont tout faux !» , soulignent les auteurs . C’est ce qui rend le film à la fois passionnant dans les thématiques abordées de ce point de vue … offrant au suspense final et une dimension étonnante à cette réflexion sur la création , mais aussi , sur rapport de l’écrivain à son art, à son inspiration…et à ses lecteurs.
Le plaisir de la comédie et de la satire est au rendez-vous de cet excellent film qui s’inscrit dans la veine des grandes comédies sociales qui ont su capter l’air de leur temps et interpeller à la fois sur la création et son rapport au réel . Sujet ,au cœur du film ,et distillé avec une belle efficacité. Ne le manquez pas …
(Etienne Ballérini)
CITOYEN D’HONNEUR de Mariano Cohnet Gaston Duprat – 2016 – Durée : 1 h 57-
Avec : Oscar Martinez, Dady Brieva, Andrea Frigerio, Nora Navas , Manuel Vicente , Bélen Chavanne, Marcelo d’Andrea …