Les auteurs de Rumba et de La Fée, nous proposent leur nouvelle rêverie ludique et poétique cette fois-ci dans Paris, où une bibliothécaire Canadienne a été appelée à venir à son secours par sa vieille tante Martha , incarnée par Emmanuelle Riva superbe et émouvante, en nonagénaire excentrique dans un de ses derniers rôles.Un vrai régal…

Un court prologue nous montre dans le décor neigeux canadien d’une petite ville qu’elle contemplent du haut d’une colline une petite fille et sa tante . La tante Martha confie à la petite Fiona qu’elles vont être séparées , Martha en effet veut changer d’air et réaliser son rêve de s’en aller vivre dans la Capitale . Cut. Une quarantaine d’années plus tard, Fiona reçoit une lettre inquiétante de sa tante qui lui demande de venir l’aider car elle refuse de passer ses derniers jours en maison de retraite. Inquiète , Fiona n’hésite pas une seconde , quitte son travail , fait ses bagages et traverse l’océan pour venir en aide à sa tante bien-aimée . Mais Fiona est déboussolée par cette ville qu’elle ne connaît pas et dans laquelle elle se perd , et , lorsqu’elle arrive à l’immeuble où habite sa tante, elle découvre que celle-ci a mystérieusement disparu . Commence alors commence pour Fiona un parcours dans la Capitale , à la recherche de cette tante . Un parcours fait de situations cocasses et de rencontres , dans lequel s’inscrivent notamment Dom ( Dominique Abel ) le Sdf égoïste, et Norman ( Pierre Richard ) l’ancien partenaire ( retrouvé ) de Martha …

Au coeur de cette déambulation en forme de chassé -croisé et de jeux de pistes, s’invitent de nombreux autres personnages et figures passagères, dans un cadre qui résonne avec leurs situations et permet aux auteurs de les chorégraphier au coeur du réel :« Nous avons cherché dans Paris un parcours qui corresponde aux errances des personnages et nous avons trouvé l’île aux cygnes . C’est un refuge , on y croise des joggeurs matinaux des touristes, des amoureux, des chiens en laisse , mais aussi des sans-abri et d’autres personnes qui vivent dans la marginalité , comme Dom et sa tente minuscule plantée au pied de la statue de la liberté … », expliquent les auteurs dans le dossier de presse . Et nous voilà emportés dans le sillage de l’errance de leurs personnages avec leur imaginaire qui se concrétise en une chorégraphie déambulatoire poétique où gags , quiproquos et malentendus , s’invitent dans chaque plan pour y dire à la fois la fragilité et ( ou ) le drame , pour y décrire la rêverie et l’enchantement qui l’accompagne. « c’est Paris sur les ponts et sous les ponts. Ville lumière et ville d’ombre …le décalage entre les lieux iconiques et les lieux environnants , nous plaît », disent-ils encore . Et de fait c’est ce travail qui fait le prix du film . Les deux compères cinéastes , s’appropriant la thématique du burlesque et les classiques ( Linder , Chaplin, W.C Fields, Etaix ou Tati..) en la modernisant ,enrichie de leur expérience de 25 années de scène , les obligeant disent -ils « à trouver des trucs , des astuces en connivence avec le public , on doit transposer en permanence »…

La mise en pratique à l’écran joue de cette connivence en multipliant les clins- d’oeil et les gags qui permettent de caractériser le(s) personnages (s) ou les situations critiques pour mieux les désamorcer. C’est dirons- nous, le schéma classique ( l’individu confronté aux difficultés matérielles et / ou , sociales ) sur lequel repose le burlesque , qu’ils enrichissent par leur regard distancié et chorégraphié . Les gags s’intercalent dans les déambulations où le physique est mis à l’épreuve ( l’incident qui envoie Fiona dans la Seine, la montée jusqu’au sommet de la tour Eiffel ..), la chorégraphie dansée qui s’invite ( comme dans Rumba où elle était le but ultime à conquérir, pour le couple handicapé ) dans la rencontre entre Fiona et Dom ( sur la péniche- restaurant ) , et lors des retrouvailles entre Martha et son ancien amant et partenaire de danse ( le pas de deux improvisé , au cimetière ) . Au cœur de ce Paris d’ombres et de Lumière , le présent du Couple improbable Fiona / Dom , et le souvenir d’un passé ( Martha / Norman ) qui resurgit. Pour faire contrepoint au présent et offrir aux divagations nocturnes et diurnes de Martha des ancrages lui permettant d’échapper à la traque des personnels de la maison de retraite…qui voudraient l’enfermer dans leurs griffes , et la priver de cette liberté qu’elle chérit tant, quitte à se perdre … car sa tête est parfois en effet perdue dans les nuages …

C’est cette destinée là , celle d’une fin de vie dont Martha ne souhaite pas se voir privée de ce quotidien ( amis , habitudes …) qu’elle s’est construite « pendant 40 ans » , et dont elle veut continuer à jouir jusqu’au bout sans contraintes . Comme tant de vieilles personnes aujourd’hui , dont on veut encadrer le destin. Son « évasion » dans les rues et les nuits de la Capitale , et ses rencontres vécues comme un double plaisir arraché à ceux qui voudraient déjà l’enterrer ( la belle idée du quiproquo des obsèques annoncées ..) , deviennent une sorte de pied de nez magnifique . Et un hymne à la vie dont la superbe ( et incroyablement osée …) scène de la rencontre avec Dom le Sdf, se concrétise dans l’envolée de Martha « j’ai trouvé un nouveau beau et jeune amant ! ». Comme La vieille dame indigne de René Allio (1965 ) d’hier qui coupait les ponts avec sa famille pour partir vivre sa vie , Martha dans son échappée Parisienne, y trouvera aussi , son bonheur . Fiona Gordon et Dominique Abel proposent de ré-enchanter sa solitude et son présent . Et il faut le dire , et le souligner , Emmanuelle Riva décédée (Voir l’article sur notre site ) depuis le tournage , apporte à son personnage cet air frais et une dignité reconquise . Elle est bouleversante dans ce qu’elle traduit , par de simples attitudes ou gestes , de ce désarroi qui la remplit et de cette blessure qu’on voudrait lui infliger, dont elle refuse l’échéance . A l’image de sa frimousse ( coiffure délicieusement punk) , de son rire moqueur et ses provocations . Elle est touchante , drôle , comique …au fond, elle est un peu clown ! .
Dans Paris pieds Nus ( Cliquer pour voir la bande-annonce ) , Les idées et les trouvailles font mouche , tant dans la mise en espace que dans la description de l’humanité, l’innocence , la maladresse ou le désarroi des personnages, comme dans la liberté du regard et la poésie qui s’y inscrit et les envolées libertaires . Ne manquez pas le rendez-vous de ce joli film plein de fantaisie et d’ une belle humanité…
PARIS PIEDS NUS de Fiona Gordon et Dominique Abel -2107 – durée : 1h 21.
Avec : Fiona Gordon , Dominique Abel, Emmanuelle Riva, Pierre Richard, Frédérc Meert , Philippe Martz …