Cinéma / DE SAS EN SAS de Rachida Brakni.

Pour son premier passage derrière la caméra , la comédienne ne choisit pas la facilité. Autour d’une visite de mères de détenus en prison , elle concocte un superbe huis-clos stylisé , où,  au cœur de l’attente s’inscrivent la honte et la culpabilité des visiteuses. Mais aussi , les tensions et une certaine mixité solidaire que ce lieu d’enferment distille, comme remède …

l'Affiche du Film...
l’Affiche du Film…

La première séquence du film De Sas en Sas ( cliquer pour voir la bande-annonce ) , s’ouvre sur la préparation fiévreuse -d’une mère et sa fille – qui ne veulent rien oublier , pour le long voyage qui doit les mener à la prison de Fleury -Mérogis en cet été de Canicule, rendre visite à un membre de leur famille . Comme d’autres mères ou femmes de toutes origines sociale , dont les enfants, époux , frères ou amants , se retrouvent derrière les barreaux , cette visite tant attendue est tout autant redoutée par ce qu’elle reflète du vécu et du drame de chacun qui s’y trouve confronté » . Rachida Brakni qui a « vécu l’expérience en rendant visite à un proche pendant des années » s’en est inspirée pour rendre compte de ce qu’elle y a perçu d’un vécu qui l’a interpellée . Elle s’en est servie pour construire un récit où l’aspect documentaire du  vécu ,  lui a servi surtout de point de départ pour construire  une fiction où le constat social et politique , s’il est fortement présent, est totalement construit , comme un parcours collectif et mental sur le vécu d’un double enferment. «  d’une manière ou d’une autre le visiteur d’une prison a le sentiment d’être incarcéré à son tour lorsqu’il entre dans une prison » dit la cinéaste . Dès lors , le choix original d’organiser autour de ce double enfermement une mise en scène où le dispositif scénique du huis -clos , superbement mis en mouvement et en images ( en cinémascope et en gros plans ) , offrait la possibilité de renforcer le ressenti expressif des tensions et crises au cœur du groupe visiteur , mais aussi vis à vis des gardiens …

 l’attente  inquiète  dans le Sas  ( Zita Hanriot )

La » choralité » ainsi organisée permettant de traduire les dimensions du vécu quotidien de cette longue attente , au cœur d’une journée de chaleur caniculaire qui les attise . Le choix des comédiens ( un mélange de comédiens professionnels et non- professionnels , dont la « synergie » nécessaire devient un éléments fondamental des rapports du huis-clos ) , les choix formels de mise en scène ( de la stylisation , des cadrages, de gros plans , ou des plans séquences…) constamment mis au service du sujet . Dès lors ce qui se dégage de ce huis -clos , c’est l’insupportable d’une condition et l’énergie de vie qui s’en dégage pour y faire face par cette solidarité commune , comme dernier rempart. Celui qui fait sourdre l’espoir et efface toutes les peines , lorsque après l’insoutenable de la longue attente la porte s’ouvre enfin . L’émotion, la vraie , est là présente à chaque plan par un détail ( les couleurs de sacs des visiteuses , des robes , ou des casiers …), par les liens ou les rivalités qui s’installent , qui disent  la morale absente , les rapports de forces ( avec les gardiens ), la violence omniprésente. Et chacun « qui a sa stratégie pour résister » . La prison est un vase clos, «  une bulle de non-droit (…) il n’y a pas de morale unique entre ces murs . Ni bonne méthode , ni vérité . Chaque groupe va avoir sa dynamique propre , des meneurs et des passifs. Elle n’est pas stable , elle évolue de sas en sas . Les liens entre les gens sont fragiles et se reconfigurent en permanence… » . C’est une sorte de brasier prêt à tout instant à s’embraser … mais tant que la violence peut être contenue, il ne faut rien laisser percevoir comme le suggère cette scène où les femmes visiteuses inquiétées par les cris  des détenus derrière les murs , sont confrontées au silence des autorités et tentent de se révolter . Au cœur du récit , c’est un magnifique moment de possible  bascule qui en dit long , sur le fragile équilibre …

On s’inquiète , on tourne en rond ( Fabienne Babe ( à gauche )

Celui-ci Rachida Brakni,  le décrit magistralement au cœur de son choix de mise en scène où tout semble constamment se lier et se défaire en fonction des circonstances et des rapports   ( de forces ) qui s’y inscrivent. Dès le passage du premiers Sas de dépôt d’objets pour les prisonniers où l’on cherche à s’attirer les « bonnes grâces des gardiens pour faire passer des trucs …». On est prêt à tout tenter pour arriver contourner le règles et l’autorité qui la représente . Il y est question de survie, et de manière de résister . D’ailleurs Rachida Brakni insiste et multiplie les exemples reflétant cette « peine indirecte » ressentie , et ce sentiment de responsabilité qui emprisonne à leur tour, les visiteuses . A l’image de cette mère qui confie son sentiment de culpabilité pour n’avoir pas été à la hauteur dans l’éducation de son fils , et de cette autre qui dira sa honte d’être mariée à un criminel . A quoi bon continuer à « vivre ainsi ? », et on envisage même de ne plus venir gâcher son temps et sa vie au Parloir . Alors parfois dans l’attente les discussions s’enveniment , les tensions s’attisent et l’on s’envoie les quatre vérités en pleine figure pour ne pas se sentir plus « coupable » que sa voisine . Ce sentiment de culpabilité dont on cherche à se dédouaner , se révélera être une impasse , et laissera place à cette solidarité nécessaire qui permettra de faire face…

Le groupe des « visiteuses »…

Rachida Brakni distille à merveille,  ces va- et -vient d’une attente insupportable dans un cadre qui vous enferme dans l’attente de la visite des hommes ( maris , enfants, frères…) que l’on ne verra pas  à l’image . Cette attente et cette absence qui ronge les esprits et attise les douleurs et la haine qui se reporte sur les Gardiens . C’est d’ailleurs aussi ,la belle idée de son film que d’avoir cherché à montrer une image opposée au cliché du « maton » des films de prison , et ce choix renforce d’ailleurs son regard sur les «  visiteuses » qui les interpellent ou les insultent , ne sachant pas qu’ils sont eux aussi confrontés à un « vécu » d’enferment     ( les rapports entre chef et son jeune subordonné inexpérimenté , leurs réactions face au groupe de femmes visiteuses …) . La cinéaste qui les a rencontrés pour son film , raconte :    «  j’ai compris qu’ils étaient eux aussi des enfermées en proie à la même violence » , et pointe les conditions de travail «  des surveillants et leurs familles dont les fenêtres de l’appartement donnent sur l’enceinte du pénitencier, salaire faible , alcoolisme , absentéisme … » . Dès lors , c’est le « lieu clos » de la prison comme cadre institutionnel dans ce qu’il représente, devient représentatif et emblématique  de ce qu’il dit d’une société et de sa violence….et c’est passionnant.

(Etienne Ballérini )

DE SAS EN SAS de Rachida Brakni – 2017- urée : 1h 24.
Avec : Zita Hanrot ,Samira Brahmia , Judith Caen, Fabienne Babe, Lorete-sixtine , Souad Flissi, Meriem Serbah, Salma Lahmer, Djamila Lemouda, Boubacar Samb, Simon Bourgade, Luc Antoni, Sacha Bourdo , Serge Biavan.

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