CHEZ NOUS de Lucas Belvaux

Le réalisateur de La raison du plus Faible ( 2006) et de Pas son genre ( 2014) poursuit son exploration d’une société en déliquescence économique et sociale où la radicalisation sert de terrain d’exploitation à un certain populisme extrême qui cherche à se donner une nouvelle légitimité . Dans une petite ville du Nord de la France une mère de famille infirmière à domicile , va devenir leur rampe de lancement pour les élections municipales ….

l'Affiche du Film.
l’Affiche du Film.

Le nouveau film de Lucas Belvaux bien avant sa sortie cette semaine sur nos écrans s’est retrouvé dans le « feu » de l’actualité , pointé du doigt ( sans l’avoir vu … ) par la voix du vice-président du Front National dès le mois de janvier 2017 , estimant « proprement scandaleux , qu’en pleine campagne présidentielle à deux mois du vote on sorte dans les salles Française une film clairement anti-FN » . Des propos largement relayés par les réseaux sociaux , ceux – là même dont dans son film le cinéaste y consacre des séquences expliquant la stratégie demandée à ses militants de «  présence et d’investissement quotidien» de la toile , pour y faire passer les messages. Une stratégie malheureusement assez coutumière , visant les films qui dérangent . Pas de quoi freiner l’ardeur de Lucas Belvaux dont la filmographie – s’il en était besoin- témoigne de sa manière d’aborder  de front ses sujets . A l’exemple de la révolte qui vire à la prise d’otage , d’anciens métallos au chômage cherchant à sa réapproprier une dignité bafouée dans Le droit du plus faible . Son cinéma,  se situe du côté des délaissés d’une société dont il fustige le cynisme ( comme dans 38 Témoins /2012 , où la loi du silence règne sur l’assassinat d’une femme en pleine nuit ) et dans laquelle la cohésion sociale a disparu. Dès lors le cynisme et la manipulation qui va avec, en sont souvent le miroir révélateur…

Au centre , Agnès Dorgelle ( Catherine Jacob ) , à Droite , Pauline ( Emilie Dequenne )
Au centre , Agnès Dorgelle ( Catherine Jacob ) , à Droite , Pauline ( Emilie Dequenne )

C’est ce que va cherche à démontrer le cinéaste Franco-Belge dans son nouveau film Chez Nous ( Voir la Bande-annonce  du film ) , situé dans une petite ville du Nord de la France où les élections municipales vont servir de prétexte à un parti populiste -le Bloc Patriotique- à mettre en œuvre sa « stratégie clean » pour faire oublier un passé de violence qui a freiné son implantation populaire. C’est ce que chercher à démontrer le cinéaste Franco-Belge dans cette petite ville du Nord de la France où un Parti Populiste va  tenter de convaincre une jeune femme infirmière à domicile et mère de famille appréciée de tous, de représenter leur parti aux élections  Municipales ,  afin de servir sa nouvelle image. L’ancrage dans la réalité ainsi que la référence au Front National est assumée par le cinéaste dont le choix de la fiction pour investir , comprendre et interroger le réel est une nécessité :  «  …peut-être la fiction est-elle la seule réponse audible , car comme le discours populiste, elle s’adresse aux sentiments , à l’inconscient. Et aux tripes. Comme les démagogues elle raconte des histoires. Mais contrairement à eux , qui essaient de faire passer des fantasmes pour la réalité , qu’ils simplifient à l’extrême , la fiction , elle , essaie de comprendre , de rendre compte de la complexité du monde, de celle de l’humanité , de son époque . Et elle seule peut , sans doute , faire ressentir à chacun ses tremblements les plus intimes » , explique-t-il dans le dossier de presse. Et c’est sans conteste dans cette approche que son film est aussi passionnant qu’il est important aujourd’hui…

A gauche , le ,père ( Patricj Descamps ) de Pauline (Emilie Dequenne )
A gauche , le père ( Patrick Descamps ) de Pauline (Emilie Dequenne )

Dans son approche des personnages , la manière  de les regarder sans les juger dans leur perception d’un discours , comme dans celle des « coulisses » du parti , le récit se fait à la fois percutant et inquisiteur afin de ne rien évacuer «  des fractures dans la terre et dans les âmes , dans la société aussi » . La fracture sociale si souvent évoquée et vécue , ici, plus que jamais      (chômage , violence …) au quotidien, celle qui fait se distendre les liens et pousse à la radicalisation , au rejet de l’autre , à la haine. Les première séquences du film en offrent au travers de l’infirmière à Domicile , Pauline ( Emile Dequenne, une fois encore remarquable ) le ressenti , auquel , fait écho celui du père ancien métallurgiste ( Patrick Descamps ) et son vécu de militant communiste d’hier. La symbolique ( renforcée par la magnifique scène de dispute lorsqu’elle lui dévoile son engagement ) sur les  contradictions et les espoirs déçus en vaines attentes , est révélatrice du cheminement d’un discours qui finit par s’insinuer insensiblement dans le esprits. Et comment il finit par faire céder les réticences de Pauline… qui , cherchant une forme de reconnaissance , cède à la flatterie , ne mesurant pas l’instrumentalisation dans laquelle elle va se retrouver piégée. Emilie Dequenne , est bouleversante dans son jeu tout en nuances face à la duplicité des rapports et des sentiments, où confrontée à certaines révélations , c’est la sidération qui l’envahit . Et Lucas Belvaux , la suit comme son ombre dans ce cheminement d’une duperie dont elle aura du mal à se relever, qui  en fait une « proie » prisonnière d’un discours qui, dit-il ressemble « à un chant de sirènes »…

Pauline ( Emilie Dequenne ) et Stéphane ( Guillaume Gouix)

Et l’habileté du récit de Lucas Belvaux est de nous y immerger dans son sillage pour découvrir , sous la forme du suspense , les coulisses et les personnages qui s’y révèlent , avec leur zones d’ombres et leur humanité complexe . C’est la force du regard du cinéaste qui refuse la simplification pour mieux nous faire pénétrer au cœur de l’énigme que chacun porte en lui , et de ce mystère qui peut en faire un monstre. Cet « œuf du serpent » qui semble toujours prêt à resurgir du plus profond , pour venir semer l’abjection et la haine . A cet égard deux personnages qui se meuvent dans l’ombre de la crinière blonde de la Présidente du Parti , Agnès Dorgelle ( Catherine Jacob ) , sont emblématiques . Celui du docteur de la famille de Pauline , Philippe Bertier ( André Dussollier,cynique à souhait ) dont le passé et le rêve de voir sa «  Révolution Nationale » aboutir , l’a fait participer à  toutes les compromissions et ne veut surtout pas manquer… la dernière marche . Et puis il y a celui du jeune militant d’hier, Stéphane ( Guillaule Gouix , épatant ) écarté pour ses excès néo-nazis , qui s’est engagé dans la légion. Puis, un retour au pays, une idylle ancienne renouée avec Pauline, un passé qui refait surface …et  peut nuire  au Parti . Passionnant et complexe personnage au cœur du dilemme de cette «  image » du parti que l’on cherche à faire oublier …mais toujours présente dans l’ombre des coulisses. Comme pour les autres personnages , Lucas Belvaux nous donne à voir ses contradictions pour « essayer de comprendre son cheminement , sa démarche(…) je veux que le spectateur puisse penser ce qu’il veut . Mais essayer de comprendre une démarche , ce n’est pas la partager , l’excuser … » dit-il .

le docteur ( André Dussollier )

Et c’est ce qui fait, la force de son film . En artiste et cinéaste témoin de son temps, Lucas Belvaux cherche à instaurer entre lui et le spectateur « un dialogue intime  » sur des questions de société qui l’interpellent « j’ai la faiblesse de penser que ce qui m’interpelle intéresse mes semblables, que ce qui m’interroge les interroge aussi » . Et en ce sens sa Note d’intention est révélatrice «  ça se passe ici  , en France, chez nous , chaque jour. Un discours se banalise , une parole se libère disséminant une parole abjecte qui dérange de moins en moins C’est une marée qui monte , qui érode les défenses, les digues. C’est un discours qui change selon ceux à qui il s’adresse , qui s’adapte à l’époque , qui caresse dans le sens de tous les poils.Un discours qui retourne les mots , les idées , les idéaux. Qui les dévoie.
Un discours qui dresse les gens les uns contre les autres . Et les gens glissent imperceptiblement d’abord, puis plus franchement. De la solitude au ressentiment, du ressentiment à la peur , de la peur à la haine, puis à la révolution Nationale. On le dit , on en parle , on le montre et pourtant rien n’y fait. Sentiment de déjà vu, d’impuissance aussi . De sidération. Impression d’avoir tout essayé . Que chaque mot , que toute tentative de s’opposer se retourne contre celui qui la tente… » .

CHEZ NOUS de Lucas Belvaux -2017- Durée : 1h 54-
Avec : Emilie Dequenne, André Dussollier , Guillaume Gouix, Catherine Jacob , Patrick Descamps, Anne Marivin, Charlotte Talpaert …

Publicité

Un commentaire

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s