Jazz / Jay Jay ! Milteau

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Quand il se rend à Memphis, les musiciens américains saluent l’harmoniciste français Jean Jacques Milteau par un chaleureux « Jay Jay ». Un accueil bien mérité pour celui qui a su depuis des années évoquer l’histoire chargée de ce Sud des Etats Unis où sont nées les plus belles pages du blues. En tournée(1) depuis l’enregistrement avec le chanteur guitariste américain Eric Bibb pour un hommage au célèbre blues-man décédé en 1949 Leadbelly, les deux musiciens se sont arrêtés sur la Côte d’Azur au Cap Cinéma de Cagnes sur Mer (2) à l’initiative de All That Jazz(3)

Après la disparition du belge Toots Thielmans, Jean Jacques Milteau reste l’un des plus en vue harmoniciste de la planète blues. Que ce soit dans son émission « Bon Temps Rouler » sur TSF Jazz ou sur les scènes internationales,l’artiste, à la veste aux nombreuses poches qui renferment toutes sortes d’harmonicas, a su nous donner toute l’émotion que renvoie le blues, de plus, sa façon de présenter un titre n’a d’égal que son interprétation et , depuis sa rencontre avec le chanteur et guitariste américain Eric Bibb, on est encore plus fortement imprégné par cette musique. Un sentiment partagé par un confrère de Jazz Magazine Christian Gauffre qui disait « le blues ? Une inspiration, Memphis ? Une aspiration, l’harmonica ? Une respiration.
Jean Jacques Milteau : Je crois que c’est une musique première, on dit, il y a des Arts Premiers,le blues fait partie des Arts Premiers, il y a quelque chose d’élémentaire et en même temps d’indispensable. Ou il se passe quelque chose, ou il ne se passe rien , ce n’est pas un problème de technique, de productions, de chose comme çà, ou il y a une communication, je dirais entre le musicien et son public ou elle n’existe pas, le blues repose là dessus.
Jean Pierre Lamouroux : Vous n’êtes pas d’une famille forcement déshéritée, comment ce côté humaniste vous touche à ce point pour revisiter ce patrimoine culturel.
JJ M : Duke Ellington et Miles Davis ne venaient pas de familles déshéritées mais ils jouaient aussi le blues. Je crois que çà c’est l’imagerie populaire, c’est l’origine qui vient, non pas de l’esclavage mais l’après esclavage, les noirs se sont retrouvés rejetés, avant les esclaves étaient nourris, après, ils étaient affamés sur les routes, ils n’avaient pas le choix entre être seuls ou bien être artiste, musicien itinérant ou encore pasteur, c’étaient les trois alternatives…le blues, c’est une musique à la première personne, les artistes disent JE, c’est la première fois que que les afro-américains s’exprimaient à la première personne.p1050982

 

 

JP L : Comment vous êtes vous rencontré avec Eric Bibb ?JJ M : On se connaît depuis une douzaine d’années, on avait joué à l’Alliance Française à Paris, il y a bien 10 ans. Ce qui a déclenché ce projet c’est un producteur Philippe Langlois, il nous a offert un petit déjeuner et, devant les croissants, il nous a dit, est ce que vous accepteriez de faire un hommage à Leadbelly…on s’est regardé, on a dit oui. C’est toujours intéressant d’avoir une commande de la part d’un producteur, on sait que l’on va être soutenu dans un projet et que ça va être plus facile.

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JP L : Si on en vient à l’instrument , la guitare et l’harmonica se prêtent énormément à cette musique, y-a-t-il une raison ?
JJ M : l’instrument traditionnel à corde, c’était le banjo, c’est vrai que la guitare a des notes qui durent, c’est plus facile à la faire parler parce qu’en fait, l’histoire du blues, c’est faire parler l’instrument comme les chanteurs, c’est rapprocher les instruments de la voix et pour l’harmonica, c’est assez évident parce que c’est quelque chose de physiologique. Si vous voulez, on joue beaucoup en aspirant, dans l’harmonica blues, il y a quelque chose qui est lié à la morphologie, il y a un côté gustatif .
JP L : Il y a une façon très différente de jouer avec un harmonica chromatique ou diatonique (avec un piston )?
JJ M : Sur un diatonique, on joue beaucoup avec des altérations, la forme de la bouche change, la hauteur de la note c’est un peu comme un trombone à coulisse, c’est une question d’air…on en avait parlé avec Toots Thielmans, lui c’était un fantastique musicien qui jouait surtout chromatique… un jour j’avais mis la main sur son ventre quand il jouait, il m’expliquait qu’il ne jouait qu’avec le haut de la colonne d’air parce qu’il était asthmatique, il avait commencé l’harmonica quand il était gamin, c’est un docteur qui lui avait conseillé.
JP L : Découvrez vous encore des sons nouveaux avec votre harmonica après une si longue carrière ?
JJ M : Oui, bien sur, la liaison avec un instrument, c’est comme un couple, on a le droit de se connaître, de s’aimer, de gueuler aussi un peu, ce n’est pas tous les jours l’entente cordiale, l’instrument ne veut pas faire ce qu’on veut ou, on n’est pas ingénieux pour ce qu’on recherchait. Ce qui est intéressant sur l’harmonica, ce n’est pas franchement académique, on ne l’enseigne pas dans les Conservatoires ou très peu. Ce qui est intéressant c’est qu’il donne une certaine originalité à l’expression. Vous savez le blues techniquement c’est simple en fait, c’est basé essentiellement sur trois accords. La question, c’est à quel moment on change, ce n’est jamais pareil avec la personne avec qui vous jouez, c’est totalement différent. Le groove n’est pas le même, les accentuations ne sont pas les mêmes, ça se renouvelle toujours d’un soir sur l’autre, on pourra jouer chaque fois la même chanson, ça ne sera jamais la même chose.
JP L : J’ai lu un article où vous disiez que vous n’étiez pas un blues-man, qu’en est-il ?
JJ M : On pourrait dire d’Eric qu’il est un blues-man, il a l’héritage de sa famille, en ce qui me concerne, je suis amateur de cette musique depuis ma tendre adolescence , j’essaie de la valoriser, j’essaie surtout de rendre les gens curieux autour d’elle, à la fois par les concerts, sur les radios…que les gens se disent, tiens, c’est curieux, on va en savoir un peu plus sur la musique, sur l’histoire des gens parce que la musique, c’est une histoire de génération.
JP L : Peut-on faire le même blues avec l’actualité de ces dernières années avec le problème des banlieues, de l’immigration, de la pauvreté, pourriez vous composer avec l’histoire d’un syrien, par exemple, qui fuit son pays, ou un gosse errant dans la jungle de Calais ?
JJ M : Oui, bien sûr, pour l’instant justement, on a enregistré au Canada avec Eric Bibb un album intitulé Migration Blues, qui parle beaucoup de l’actualité américaine, les problèmes avec le peuple mexicain…il y a des textes très émouvants qui expriment que la terre est à tout le monde…sur le panneau, il y a Interdit d’entrer mais, en fait, on est de l’autre côté du panneau…j’aimerais ajouter, en ce moment de turpitudes que l’on devrait inscrire sur les frontons Liberté, Égalité, Fraternité et Dignité.

Jean Pierre Lamouroux

1 – Gilles Michel à la basse et Crockett Larry à la batterie
2 – Eric Truffaz le 1er avril – Madeleine Peyroux le 9 mai
3 –Groupe Cap Cinéma créé par Didier Bergen qui organise des concerts de jazz dans 9 villes françaises

Cagnes sur Mer
Madeleine Peyroux le 9mai

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