Ah que voilà un spectacle qui fait chaud au cœur ! Une jeune troupe s’empare du célèbre roman de Cervantès, joue avec et nous le restitue à la fois irrévérencieusement mais aussi respectueusement… enfin à leur façon. Ce n’est pas, contrairement à ce qui fait florès, une nième visitation – il y a des couvents pour ça- voire pire, re-visitation, non, on va dire une incursion chez… Et, issa nissa ! *c’est jouée par une compagnie sise à Nice, Le collectif « La machine », et au TNN.

Au temps de la Rome antique, au théâtre, on utilisait des grues « mecane », ce qui donnera plus tard machina, puis enfin machine. Le nom du collectif est un clin d’œil aux origines de cet art et un petit hommage aux Machinistes, les techniciens qui travaillent hors-scène.
Septembre 2011 : Felicien Chauveau et Benjamin Migneco décident de créer le Collectif. L’enjeu est de rassembler une équipe de jeunes artistes (comédiens, danseurs, metteurs en scènes, scénographes, etc…) directement sortis d’écoles (CNR-Nice, ESRA-Nice, ESAD-Paris, CNSAD-Paris, ERAC Cannes, Studio de Formation Théâtrale de Vitry/Seine, OffJazz-Nice) et de se rendre compte du potentiel artistique, humain et technique.
Et voilà Don quiXote, l’invincible. Don quiXote ? Vous êtes sûr qu’il n’y a pas une faute de frappe ? Contrairement à une idée reçue, la prononciation Don Quichotte n’est pas une francisation du nom espagnol. À l’époque de Cervantès, le nom du héros s’écrivait Don Quixote avec un x. L’anglais a jusqu’à nos jours conservé la graphie d’époque (Don Quixote) mais dans l’actualité les locuteurs anglophones prononcent généralement le mot en tentant une prononciation proche de la prononciation espagnole moderne (don Quijote).
Et puis il y a cet « invincible ». Rappelons que le sous titre de Don Quixote est l’ingénieux hidalgo. Mais pariant sur l’humour dévastateur de la pièce et de ses créateurs je parierai plutôt sur un facétieux rappel de l’Invincible armada. L’Invincible Armada est, en 1588, le nom de la flotte d’invasion armée espagnole à destination de l’Angleterre. Pour faire court, disons que l’Invincible fut découragée et affaiblie (à 17% détruite) par la force des éléments naturels, si bien que l’on parla d’elle comme l’invisible armada.
« J’ai tous les droits. Je suis fictionnel. Je créerai moi-même mon histoire ! » Lorsqu’il entend son Créateur (personnifiée par la voix de J.L Dreyfus) lui annoncer que ses jours sont comptés, Alonzo QuiXana, un vieux paysan qu’on dit dément, décide de bousculer l’inéluctable en devenant le maître de sa propre vie. À l’image des chevaliers errants, ces héros littéraires qu’il idolâtre depuis toujours,
il part sur les routes d’Espagne pour combattre le mal et mettre fin aux injustices. Ici la vieille carne de Quixote, personnage estropié, est devenue un fauteuil roulant. Dans ses roues : un Sancho qui suit aveuglément son « maître », il en a d’ailleurs perdu la vue. Le jeu des rencontres, des rebondissements, offre une place de choix aux personnages secondaires : la duchesse, la dulcinée, ce fameux géant…. Les scènes s’enchaînent dans ce road movie visuellement très riche dont la bande son est jouée en live par Merakhaazan et sa contrebasse. Et pour rendre cette odyssée encore plus moderne, l’écriture s’autorise des incursions dans notre monde (bien réel). Tentative de dénonciation du capitalisme et d’une société à bout de souffle, comme Cervantès il y a quatre siècles?
Ne pas oublier que le livre est une critique des structures sociales d’une société espagnole rigide et vécue comme absurde. Don Quichotte est un jalon important de l’histoire littéraire et les interprétations qu’on en donne sont multiples, pur comique, satire sociale, analyse politique.
Et j’ai l’impression que Félicien Chauveau, qui a fait l’adaptation et la mise en scène s’est servi de la distance des 4 siècles entre L’Ingénieux hidalgo et L’Invincible pour enrichir le discours par d’autres littératures « dénonçantes » ( non n’est plus à un barbarsime près) : l’estropié Quixote, qui ne peut difficilement quitter son fauteuil roulant et l’aveugle Sancho qui doit parcourir tout l’espace scénique avant d’atteindre son but font irrésistiblement penser à Ham et Clov dans Fin de partie. Et le climat général de l’œuvre, son ambiance, sa démesure, me font penser – je me trompe peut-être – à l’univers du Journal d’un fou.
Et, en voyant ce Don quiXote on a tangible sous les yeux ce principe constitutif de « La Machine » : un collectif d’artistes. D’acteurs, bien sûr, et il n’y en a pas un pour être en dessous des autres ; la mise en scène, quel sens de l’occupation d’espace, de la maîtrise des rythmes ; la musique live de Jean Christophe Bournine, alias Merakhaazan, jamais en redondance mais toujours à l’écoute de la fiction ; l’univers des lumières, une véritable création picturale, n’hésitant pas à utiliser le vert, symboliquement couleur du hasard (chance ou malchance) ; la science des maquillages, transformant les visages en masques expressionnistes…
Don quiXote est une œuvre qui se constitue comme une somme d’autres œuvres ; chacune de ses instances, à chaque moment nous parlent, nous attirent, mais jamais ne nous distraient de la route a effectuer. Je dois avouer que j’ai rarement été captivé, et que j’ai grand ‘hâte de voir une autre fabrication de cette machine-là.
« C’est avec Don Quichotte que j’ai réellement découvert la littérature, à l’âge de quinze ans. Avant ça, je n’ai pas souvenir d’avoir eu autant de plaisir à voir des mots se suivre… j’étais aussi bien fasciné par l’œuvre que par son héros. Don Quichotte, c’est une superposition d’une infinité de strates donnant matière à réflexions. Ou à rêveries. Selon les caractères.
Et à la fois si Don Quichotte génère cette étrange attraction, cette mystérieuse fascination, c’est parce qu’il a le génie masochiste d’être son propre bourreau. Être Don Quichotte, c’est se jeter audacieusement dans des problèmes que quiconque déclarerait insolubles. C’est une malédiction que j’ai trouvais mille fois désirable : la métaphore parfaite de notre présence sur Terre, de la vie elle même. » Felicien Chauveau
Jacques Barbarin
don quiXote, l’invincible d’après Miguel de Cervantès
Avec Jean Christophe Bournine, Felicien Chauveau, Guillaume Geoffroy, Benjamin Migneco, Jean-Baptiste Nallino, Eva Rami, Irène Reva, Christophe Servas et la voix de Jean-Claude Dreyfus
scénographie & masques Jean-Baptiste Nallino Violante chef costumière Jennifer Beteille création musicale Merakhaazan lumière & son Gregory Campanella.
A ne pas oublier un jovial coup de chapeau pour la possibilité de cette merveille Anthéa – Théâtre Communautaire d’Antibes, la Cie Miranda, l’Entrepont (un lieu pluridisciplinaire pour la création contemporaine, implanté dans l’ancienne halle Spada) et l’Espace Magnan.
*Je cherchais une expression niçoise équivalente à cocorico ! et c’est mon ami Richard Cairaschi qui m’a fourni celle-ci. Baïetas (bises), Richard.
[…] connaissent Félicien Chaveau puisqu’il présente au TNN en 2017 Don Quixotte l’invincible https://ciaovivalaculture.com/2017/02/14/theatre-don-quixote-linvincible/ -rappelons que Quixotte est la graphie originale- et en 2019 l’épatant Dracula Asylum […]