Après Le Conte d’hiver, tout autre chose avec le nouvel opus présenté en fin de semaine dernière. Tout autre chose à la fois quant à la thématique et quant au traitement du nouvel opus , Timon d’Athènes (1607)
La pièce possède une construction particulière avec plusieurs ellipses et, pour cette raison, est souvent considérée comme inachevée ou rédigée par plusieurs auteurs voire comme une pièce expérimentale.
Elle est habituellement classée dans les tragédies, bien que certains spécialistes la classent dans les « pièces à problème », considérant qu’elle relève de la comédie malgré la mort tragique du personnage principal.
Personnellement, je la considérerais comme une « pièce à thèse » dont la traduction anglaise de cette expression, problem play, a été utilisée rétrospectivement par la critique shakespearienne et traduite par « pièce à problème » en français. Et tout est bien…
Timon est un noble de d’Athènes, très (trop) généreux avec ses amis qu’il invite régulièrement à des festins somptueux, auxquels il offre des cadeaux hors de prix, à tel point qu’il se retrouve un jour sur la paille et ne peut plus payer ses créanciers.
Sûr de la qualité de l’amitié, il se tourne vers ceux à qui il fait nombre de cadeaux pour leur demander de l’aide. Ceux-ci trouvent mille excuses pour ne pas aider Timon qui sombre dans la colère envers Athènes et ses nobles, s’exile dans les bois, et maudit la ville et ses habitants hypocrites et avilis par l’appât de l’or.
De son côté, Alcibiade, général athénien, se voit refuser l’aide du Sénat, quitte la ville avec son armée pour mieux l’assiéger ensuite. Il essaie d’obtenir le soutien de Timon exilé qui le maudit aussi et fait finalement la paix avec les sénateurs. Timon meurt seul dans les bois laissant pour épitaphe une dernière malédiction pour qui la lira.
Deux metteurs en scène et une joyeuse troupe de six comédiens s’en sont emparés à bras le corps en nous servant tout le « jus » de ce texte, en nous mettant sous le nez comment il sonne, comment il résonne à nos oreilles. En nous demandant de l’écouter, simplement, attentivement. Nous sommes dans le même temps des contemporains du début du XVIIème siècle et du début du XXIème siècle.
J’avais plus qu’apprécié l’audition que nous avait donné Cyril Cotinaud avec cette tragédie des Atrides : Electre, de Sophocle, Oreste, d’Euripide et Agamemnon, d’Eschyle, dont une « intégrale » avait été présenté au TNN le 14 mars 2015. Et, bizarrement (mais est-ce le mot correct), dans l’histoire de Timon, généreux philanthrope, qui perd son argent, ses amis et sa foi en l’humanité s’allume les feux d’une tragédie fondatrice qui puise ses racines dans la Grèce ancienne.
Timon d’Athènes est placé sous le signe déterminant du fatum, destin qui dépasse l’homme, à la fois inéluctable et sacré. Par une ironie tragique, le destin semble se jouer du héros pour mieux le prendre au piège et retourne contre lui tous ses actes.
En quelque sorte comme prologue de la pièce, les comédiens utilisent l’adresse directe au public: un personnage parle directement aux spectateurs rompt l’illusion théâtrale. Il ne faut pas oublier que le texte de théâtre se caractérise par la double énonciation: les personnages dialoguent entre eux comme si le public était absent, mais à travers leurs paroles, l’auteur s’adresse aux spectateurs.
Les comédiens, durant cette ouverture, vont nous envoyer, nous diriger vers des pistes de réflexion, dont nous ne saisissons pas d’emblée les potentialités. Et il s’agit bien ici d’une ouverture au sens d’une ouverture d’opéra qui nous donne à entendre les thématiques d’une œuvre, que, à ce moment là, nous ignorons.
Et c’est là qu’il nous faut repartir vers ce que j’appelais une pièce à thèse : à travers la fiction, l’événementiel, Timon d’Athènes plonge dans des thématiques de toute éternité : le rapport aux autres, la méfiance envers l’humain, mais aussi la critique de l’argent et de la consommation, la corruption : toutes les formes de dérives politiques démagogiques qui étaient déjà présentent dans le monde grec du Timon originel jusqu’à nos jours. Comme la plupart des œuvres shakespeariennes, cette pièce est écrite à des fins d’éducation politique pour les dirigeants comme pour le peuple.
Est-ce l’aisance de cette jeune troupe qui sait passer sans coup férir disons d’une textualité contemporaine à un dit shakespearien, mais elle nous rend tangible la contemporanéité du propos et nous donne à entendre que Timon, son destin, n’est pas victime de son quant-à-soi mais bien victime d’un système.
Curieusement j’ai pensé, pendant le déroulement de la pièce, à une forme de parallèle avec le destin d’un héros de pièce d’Ibsen et l’analyse de questions sociales d’actualité, souvent à travers le dilemme auquel doit faire face le protagoniste, pensant notamment à Un ennemi du peuple. Au demeurant le critique littéraire F.S. Boas considère que les pièces de Shakespeare présentaient des caractéristiques analogues à celles d’Ibsen.
Jacques Barbarin
Timon d’athènes William Shakespeare & Étienne de la Boétie, Karl Marx, Machiavel
adaptation, traduction & mise en scène Cyril Cotinaut, Sébastien Davis
avec Julien Aubrun, Aliénor De Georges, Frédéric de Goldfiem, Yann Lheureux, Thomas Rousselot, Cyrielle Voguet musique Henry Purcell Son Gwenaël Gaudin
Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres (Gramsci)