Début de la troisième édition « Shake ! » au Théâtre National de Nice : en janvier-février de chaque programmation, deux bonnes semaines, de, sur et autour de Shakespeare. Les débats ont été entamés ce 18 janvier avec une œuvre rare du dramaturge Elisabéthain par l’un de ses meilleurs « passeurs » : « Le Conte d’hiver », mis en scène par Declan Donnellan himself.
Le metteur en scène britannique, Declan Donnellan, l’un des plus grands directeurs d’acteurs de son temps est né en Angleterre de parents irlandais en 1953 : Il grandit à Londres et suit des études de Lettres et de Droit au Queen’s College de Cambridge
Il forme avec Nick Ormerod, scénographe et réalisateur britannique la compagnie Cheek by Jowl en 1981. Dans ce cadre, il met en scène des spectacles qui sont représentés sur les scènes du monde entier.
En 1989, il est nommé metteur en scène associé au Royal National Theatre de Londres. Il est l’auteur d’une pièce, Lady Betty et a également traduit On ne badine pas avec l’amour, d’Alfred de Musset et Antigone de Sophocle.
Quant au Conte d’hiver, il s’agit sans doute d’une des pièces de Shakespeare les plus mystérieuses et folles : une famille détruite par la jalousie, une suite de rebondissements extravagants, une ellipse temporelle de 16 ans en plein cœur de la pièce, un retournement final digne d’un conte de fées… Entre comédie et tragédie, Conte d’hiver ouvre, malgré sa fin heureuse, une réflexion sur le rapport au temps, à l’homme et au sacral.
Polixènes, le roi de Bohême, rend visite à son ami Léontès, le roi de Sicile, lorsque soudain une jalousie féroce, aussi inexplicable que destructrice, s’empare de Léontès. Il soupçonne Polixènes d’avoir eu une relation adultère avec sa femme Hermione, enceinte jusqu’aux yeux ; l’enfant ne serait pas le sien.
Dans le tourbillon dévastateur qui l’emporte, Léontès ordonne l’exécution de son ami, l’emprisonnement de son épouse et l’exil de la fillette à laquelle elle donne naissance.
Seize ans plus tard, on retrouve l’enfant dans sa famille adoptive. Comble du destin, la jeune fille est courtisée par le fils de Polixènes… Heureusement, comme souvent au théâtre, la jeune génération rétablira l’harmonie dans les deux royaumes à force d’intrigues, déguisements, voyages et autres stratagèmes farfelus.
Shakespeare donne, dans le titre l’indication du traitement de l’œuvre, il faut traiter cette pièce comme un conte : avec du Merveilleux, de l´Extraordinaire et de la Magie, même dans les moments les plus terribles surtout dans les moments les plus terribles. Et le magicien Donnellan est à la manœuvre, le charme opère.
« Quand il l’écrit, Shakespeare a quarante-huit ans. Il a fait le tour des grandes tragédies. La règle des trois unités est du dernier « chic » en Angleterre à ce moment-là. Or cette pièce d’une grande sophistication fait exploser les codes classiques à un niveau inimaginable. Deux pays peuvent servir de cadre, la première partie dure quatorze ans, l’intrigue est d’une fantaisie effrénée culminant dans des épisodes surnaturels et miraculeux, relevant du conte de fée et posant de sérieux problèmes. Voilà pour la forme. Et par son contenu, la pièce nous séduit aujourd’hui particulièrement parce qu’elle s’achève sur une ouverture, sur la possibilité d’une rédemption, d’une seconde chance explique Dunclan Donnellan.*
Tout s’appuie sur un décor minimal signé Nick Ormerod – des bancs et un genre d’armoire (qui se déploie) en lattes de bois -, des costumes contemporains… L’essentiel repose sur le jeu physique, d’une justesse et d’une précision sans faille, des comédiens.
Car ce Conte d’hiver repose sur un travail de direction d’acteur impeccable, et au plus chaque acteur est cerné dans la finition de son travail au plus le ressenti de son personnage nous le fait apparaître comme un joyau.
Toute la finition de ce travail est lancée dés le premier tableau avec le jeu puissant et torturé du sublime Orlando James, éclate la jalousie du roi Léontès, délirant et paranoïaque, qui accuse sa femme Hermione de l’avoir trompé avec son meilleur ami, le roi de Bohème.
Et chaque personnage bénéficie de cette précision du trait, quelle que soit son importance dans l’ordre de la dramaturgie. Que cela fait plaisir de voir un directeur d’acteur de cette trempe ! Diriger un acteur, c’est l’aimer. Face au minimalisme apparent du décor la dramaturgie se lit aussi bien par le texte que par la tessiture – si vous me permettez l’expression – de l’œuvre à voir : cette précision dans le tracé de chaque personnage, dont nous avons parlé, mais aussi l’art de l’occupation de l’espace. On retrouve encore le grand souci de l’acteur : chacun se livre à nous non seulement par la gestique de son dit mais aussi par la peinture qu’exécute son corps par son déplacement et son rapport avec l’autre. Comme si la chorégraphie était un instrument de langage théâtral. Elle l’est, c’est une évidence, mais la elle est à son apogée.
Et, à propos de peinture, j’ai eu souvent l’impression que nous étions dans une esthétique qui se nourrissait au lait des grands tableaux d’Edward Hooper, notamment la série « Noctambules », comme si ce chantre de la solitude avait ici trouvé terrain fertile.
Ce « conte d’hiver » (finalement pour toute saison) m’a plongé dans un bain d’émerveillement, porté qu’il est par une troupe inoubliable de 14 comédiens. God save William. Thank you véry much, Lady Irina.
Jacques Barbarin
* Interview au mensuel La Terrasse, propos recueillis par Marie Emmanuelle Galfré
Le conte d’hiver mise en scène Declan Donnellan
avec Orlando James, Edward Sayer, Natalie Radmall-Quirke, Eleanor McLoughlin, Joy Richardson, Grace Andrews, David Carr, Ryan Donaldson, Sam Woolf, Peter Moreton, Sam McArdle, Joseph Black, Guy Hughes, Tom Cawte
scénographie Nick Ormerod lumière Judith Greenwood musique Paddy Cunneen chorégraphie Jane Gibson
Crédits photos : Declan Donnellan par John Haynes / Le conte d’hiver par Johan Personn
Je le vois bientôt à Londres ! =-)