La cinéaste de Le lait de la tendresse humaine (2002) et de Grandir ( 2013) poursuit son exploration des individus au cœur de la société et de ses inégalités. C’est du coté de la grande bleue et de la corniche Marseillaise que son regard s’est porté sur un groupe d’adolescents qui s’y lancent le défi du plongeon pour oublier le quotidien des cités et les différences de classes . Un joli regard empreint d’humanité …

Adapté du roman de Maylis de kerengard « les minots de la corniche » ( 1) , la cinéaste s’est immergée pour les besoins du film dans la cité phocéenne au sein d’un groupe de jeunes adolescents se retrouvant quotidiennement sur cette Corniche Kennedy ( cliquer ici pour voir la bande -annonce ) , pour y retrouver une forme de liberté . Celle dont rêve la jeune lycéenne , Suzanne ( Lola Creton ) qui habite le quartier bourgeois et cossu , et qui les observe de la terrasse de son domicile et les filme avec son portable. Un jour elle « ose » aller vers eux et les approcher , après quelques réflexions « tu n’es pas de notre univers », sa curiosité et son insistance finissent par faire céder les réticences. Suzanne à qui le défi du plongeon qui lui permettrait d’être « adoptée » est lancé, et qui avoue la peur et le vertige qui la bloque . Cette liberté et ces « défis » qui sont leur raison d’être qui la fascine et qu’elle envie , cette capacité à s’inscrire dans un lieu et le faire sien , comme une sorte de seconde maison . Une maison à ciel ouvert ( ouverte aux possibles… ) au cœur de laquelle on s’installe et on se sent bien parce qu’elle est aussi l’ouverture vers un horizon immense que l’on savoure et dont personne ne peut s’approprier les rêves qu’il suscite . De la même manière que ces plongeons défiant le danger sont une façon de défier le monde en occupant l’espace et , en l’apprivoisant , de marquer son territoire , son empreinte …

C’est cette approche dont la cinéaste nous fait spectateurs-témoins du regard extérieur de Suzanne qui nous entraîne dans sa fascination . Et c’est la belle réussite du film de nous entraîner à la rencontre de ces « minots » Marseillais , venus chercher sur cette corniche ouverte aux possibles , le besoin d’air pur , de poésie et d’évasion qui leur permet d’oublier le triste quotidiens des cités Nord de la ville . Comme Suzanne ( Lola Creton, ) , Dominique Cabrera est allée à la rencontre d’un groupe qui se retrouvait régulièrement sur cette Corniche et s’est faite accepter et fait fondre leurs réticences, suscitant leurs confidences « ils m’ont raconté leurs histoires » . Le « lien » ainsi noué , les choses ont vite évolué « on a compris ce que tu veux… on va t’aider » dans une forme de collaboration . Ateliers , écriture … et même pour certains ( Alain Demaria et Kamel Kadri) le passage derrière la caméra . La cinéaste n’en est pas à se première expérience avec de non -professionnels dans ses films où la recherche de l’authenticité est au cœur de son cinéma . Dès lors , la forme de son récit et de l’adaptation du roman « sa dimension documentaire ouvertes, sa dimension poétique et mythologique » qu’elle souhaitait mettre au cœur de son film devenait possible . Lui permettant de surcroit au travers de ce décor naturel de la corniche et du groupe qui en a fait son terrain d’évasion laissant hors-champ le quotidien des cités et les différences de classes , d’y faire sourdre celle-ci , comme un élément majeur qui y est au cœur…et finalement déterminant. La corniche représentant le cadre d’évasion qui leur permet de révéler leurs personnalités et leur humanité et cet élan de vie essentiel , et rêver ( faire le plongeon ) de se libérer du déterminisme social …

Sur ce plan , l’approche via le hors-champ est une belle réussite portée par l’ensemble du groupe . Dominique Cabrera réussit superbement les portraits sensibles de chacun des membres du groupe qui se sont investis dans la dimension de la fiction pour la dynamiser de leur vécu . Difficile de ne pas y être sensibles et tout à coup le regard extérieur que l’on pose sur eux se détache des « caricatures » qui souvent en sont faites, dans les médias . A cet égard le choix du hors-champ et du décor finit par rendre bouleversantes les confidences par exemple de Mehdi ( Alain Demaria ) – fils d’une Bretonne et d’un père arabe qu’il n’ a presque pas connu – sur son quotidien ( son frère en prison, sa mère malade dont il s’occupe) dans la cité . De la même manière que l’est celui de ( Kamel Kadri) dont les « liens » plus dangereux au cœur de celle-ci , en font une proie dépendante « la question sociale est là très forte dans le film mais dans le mots , dans les situations , pas dans le décor . Ces jeunes sont poussés à se dépasser par ce paysage naturel sublime … et gratuit » , explique la cinéaste qui explore avec eux , les possibles pouvant leur permettre d’échapper à cette fatalité ( la drogue et le crime organisé …) qui est devenue la plaie quotidienne , de la cité phocéenne .

C’est encore ce regard extérieur sur celle-ci qui lui permet au delà des inévitables clichés à l’intrigue policière qui se dessine en toile de fond, d’en brosser un portrait où les « discours stéréotypés des policiers » sont évacués par la cinéaste pour retrouver un certain réalisme grâce à des « confidences recueillies sur le terrain » de certain d’entr’eux dont elle s’est servie . l’intrigue policière la cinéaste , la cinéaste la traite de la même manière que son approche du monde des adolescents cherchant à s’éloigner des stéréotypes et e A cet égard les personnages incarnés par Aïssa Maïga et Moussa Maaskri viennent apporter la note juste qui offre au déroulement habituel de l’intrigue policière , la dimension humaine permettant d’exprimer la dure réalité sociale de ce hors-champ évacué de la Corniche . Et dès lors , le jeu des rapports de force Police, mafieux , dealers et (ou ) informateurs , y gagne en réalisme. Et à la fatalité de la tragédie , la cinéaste esquisse même ( la scène finale ) la possibilité d’une autre issue . » je voulais montrer des adolescents dans leur élan vital , dans leur beauté , leur humanité , leur grâce , leur force , leur poésie , leurs liberté . ils ont vingt ans , l’âge des possibles ( … ) le système ferme ses protes aux jeunes venus des quartiers populaires leur refuse la possibilité de réussir , c’est une violence extrême qui leur est faite et ils deviennent des proies éventuelles pouvant être enrôlées par le monde du crime ( …) le miracle pour moi a été cette rencontre avec eux , son intensité …c’était magique . Leur prise de risques est une manière de sentir qu’on est vivants . et de penser sa vie en action …c’est une manière métaphorique de chercher à penser et à expérimenter de ce qu’on peut faire de sa vie , se propulser dans l’espace , comme on se propulserait dans l’avenir » , conclut la cinéaste .
CORNICHE KENNEDY de Dominique Cabrera – 2016- Durée : 1 h 34.
Avec Lola Creton , Aïssa Maïga , Alain Demaria, Kamel Kadri, Hamza Baggour , Mélissa Guilbert , Mamaa Bouras …
(1) Corniche Kennedy de Maylis de Kerengal , publié aux éditions Verticales ( 2008, Paris )