Après Festen (1998 ) It’s all about love (2003 ) et La chasse ( 2012), le cinéaste Danois continue à explorer la thématique des relations de groupe , ici c’est l’autopsie d’une vie collective et d’une communauté des années 1970, gérée d’une manière collégiale et démocratique qu’il ausculte . Le rêve du vivre ensemble spassé au scalpel des individualismes qui s’y révélent et le mettent en danger…

Vous vous souvenez sans doute de Festen et des règlements de comptes qui viennent envenimer à la manière d’une tragédie grecque cette réunion familiale destinée à fêter l’anniversaire du père de famille vieillissant et au cours de laquelle toutes les rancoeurs et secrets accumulés des uns et des autres, faisaient voler en éclats les retrouvailles . De la même manière que, dans un monde qui s’en va à sa perte , le couple confronté à la célébrité dans it’s all about love, se désagrège. Le cinéma de Thomas Vinterberg questionne la perte des valeurs et des rêves ( familiaux , communautaires…) et les individus qui finissent par se radicaliser et peuvent sombrer dans les pires réflexes à l’image de la communauté villageoise dans La Chasse , qui s’en prend à un homme injustement soupçonné de pédophilie !. La noirceur qui caractérise ses films est à l’évidence le constat d’échec d’une société qui se réfugie dans le repli « on traverse des jours sombres on ne sait plus aimer , c’est pour cette raison que certains préfèrent quitter ce monde… », comme il est dit dans la scène finale de La Communauté ( cliquer ici pour voir la Bande-annonce ) qui va devoir faire face à la tragédie de la mort et faire le deuil de l’un des ses membres . Mais au sombre constat le cinéaste cette fois-ci y laisse sourdre une petite lueur d’espoir qui le tempère un peu , laissant à la jeunesse les rennes de l’avenir dont ils pourront peut-être , changer la donne …

Le cinéaste qui a fait l’expérience de la communauté lors de son enfance et adolescence, en a repris au long des séquences quelques- unes des scènes qui l’ont marqué au cœur du quotidien de cette expérience tumultueuse « empreinte de folie et des excentricités des différents résidents …les dîners de groupe qui se transformaient généralement en soirées parfois chaotiques … les réunions , les échanges et les décisions démocratiques comme celle où il fut décidé que le loyer serait payé proportionnellement au revenu de chaque membre de la communauté…et de la naïveté et l’idéalisme qui y régnaient » , explique t-il . Aidé par le scénariste Tobias Lindholm ( qui a signé les célèbres séries Danoises Summer / 2007 , et Borgen (2011-14) et réalisé un premier long métrage passionnant , Hijaking en 2012 – voir la critique est sur notre site ) , et devenu son scénariste préféré , Thomas Vinterberg se lance dans l’aventure . On y retrouve donc cet idéal de rêve incarné par le couple d’Eric (Ulrich Tomsen ) professeur d’Architecture , et surtout d’Anna ( Trine Dirholm, Prix d’interprétation au Festival de Berlin ) journaliste -présentatrice du Journal T.V ) qui en rêve . D’autant plus qu’ils viennent d’hériter d’une vaste demeure de 450 Mètres carrés dans un quartier huppé de Copenhague . Si le mari est réservé , sa femme elle et Fréja sa jeune fille de 14 ans , vont tout faire pour le convaincre. Et lorsqu’un ami d’Anna se présente en premier pour tenter l’aventure, le contact fonctionne et le « casting » des prochains amis ou nouveaux venus et adeptes , s’organise …

Celui-ci qui se construit sous la forme d’un « panel » où l’on retrouve notamment une amie d ‘Anna, un couple dont l’enfant est atteint d’une maladie incurable …ou encore cet inconnu Allon ( Fares Fares ) , travailleur occasionnel que le groupe va soutenir (« tu pairas ton loyer quand l’argent rentrera… » ). Le récit qui inscrit chaque personnage et sa personnalité propre confrontée à cette organisation communautaire , est le prétexte à une étude sociologique et de mœurs qui va finir faire apparaître les dissensions, les autoritarismes refoulés , comme les « suivismes » qui , en la circonstance, sont exploités à l’image de la nouvelle donne qui risque de mettre la pérennité de la communauté en danger , lorsque Erik délaisse sa femme au profit d’une de ses jeunes étudiantes, Emma ( Helene Raingaard Neumann ) devenue sa maîtresse . Et que la communauté est soumise au vote : accepter ou refuser la nouvelle arrivante !. Les rituels de la vie communautaire qui risquent d’être « pollués » par le désamour du couple fondateur , Erik et Anna . L’harmonie de la communauté qui peut être mise en question par l’un des éléments de celle-ci , le choix d’une liberté sexuelle et privée qui se déclinait alors comme un des pôles tant au niveau masculin et féminin à l’intérieur de celle-ci . Les dissensions se révèlent en même temps que le couple devient l’objet d’un débat amplifié par la personnalité d’Erik dont l’autoritarisme qu’il avait relégué au second plan ( pour le bien de la communauté.. .) , revient au premier , et libère certains individualisme au cœur de celle-ci . Tandis qu’Anna ( plus habile?) s’en remet à la décision communautaire, refusant le conflit personnel …

Dès lors , les rituels communautaires s’en trouvent parasités et les règlements de comptes dont le cinéaste de Festen maîtrise une fois encore ici magnifiquement la description en même temps que la violence des mots et des postures . La séquence du plongeon de groupe nu pour saluer la naissance de la communauté , laisse place aux scènes ( fortes ) de règlements de comptes et de dissensions. Tandis que le miroir du rêve communautaire s’estompe et que revient au galop un certain conformisme ( liberal?) , c’est par le regard de la jeunesse que la communauté en péril , va finir par être scrutée . Le Jeune garçon , Vilads ,malade et à la santé et avenir incertain qui fait fi – imperturbable – de toutes ces règles et conventions et dont la vitalité et la quête d’amour provocatrice est une exemple qui fait écho aux déchirements de la communauté . Et il y a aussi le joli portrait de la fille, Frija, qui prend ses distances et s’inscrit dans l’ombre de ses parents et de la communauté cherchant son propre chemin de vie , et dont la quête de son propre parcours sentimental qui va se concrétiser , renvoie au groupe un autre modèle possible pour l’avenir…
(Etienne Ballérini)
LA COMMUNAUTE de Thomas Vinterberg – 2016- Durée 1h 50 _
Avec: Trine Dirholm, Ulrich Thomsen, Helene Reingaard Neumann, Martha Sofie Wallstom Hansen, Lars Ranthe , Fares Fares , Magnus Milang ….