Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes en 2016, Neruda sort dans les salles en ce début d’année 2017. Le réalisateur chilien Pablo Larrain s’intéresse au grand poète chilien Pablo Neruda, Prix Nobel de Littérature 1971. Un film qui n’a pourtant pas grand chose à voir avec un biopic.

Après la trilogie Tony Manero, Santiago 73 post mortem et No!, qui évoquait le régime Pinochet au Chili, et El Club (2015), inspiré d’un exemple chilien et abordant le sujet de la pédophilie et l’Eglise, Pablo Larrain s’aventure à nouveau dans l’histoire de son pays et s’intéresse au grand poète chilien et d’Amérique latine Pablo Neruda, Prix Nobel de Littérature 1971 et mort le 23 septembre 1973, à l’âge de 69 ans, à Santiago du Chili, douze jours après le coup d’Etat militaire d’Augusto Pinochet.
Neruda est-il «a biopic or not a biopic », sujet prisé des studios hollywoodiens ? Telle n’est pas la question. Comme le réalisateur a eu l’occasion de le préciser au cours de différents entretiens : « (il n’a) jamais songé à prendre au sérieux l’idée de brosser le portrait du poète, tout simplement parce que c’est impossible ». Il a également déclaré : « Quand on s’intéresse à Pablo Neruda, on se rend compte qu’on a une telle image de lui – il est perçu comme un artiste d’une telle complexité et d’une envergure extraordinaire – qu’il est impossible de le faire entrer sagement dans une case ou dans un seul film qui résume sa personnalité et son œuvre. »

En 1948, la Guerre froide s’est étendue au Chili. Le sénateur et poète Pablo Neruda (Luis Gnecco), membre du Parti communiste, s’en prend violemment au gouvernement et au président Videla (à ne pas confondre avec le dictateur argentin) qu’il a pourtant fait élire mais auquel il reproche désormais sa politique de droite. Celui-ci ordonne de le faire arrêter. Alertés, Neruda et son épouse, la peintre Delia del Carril (Mercedes Morán), entrent dans la clandestinité puis cherchent à quitter le pays. Voilà pour le contexte historique et la partie biographique. Après, le cinéaste et son scénariste, Guillermo Calderón, ont donné libre cours à leur imagination. Tout n’est que fiction ou, plus exactement, un subtil mélange de faits réels et de fiction. Ainsi, Oscar Peluchonneau a bien été directeur de la police dans les années 1950, mais il n’a rien à voir avec l’inspecteur chargé d’arrêter le poète et interprété par Gael Garcia Bernal. Dans l’une des toutes première scènes, le sénateur Neruda et un adversaire politique s’invectivent dans ce qui ressemble à un grand hall ou un salon majestueux du parlement, mais on découvre rapidement un mur avec une rangée d’urinoirs. Le ton est donné et le film va devenir à la fois une comédie grinçante, un thriller politique, un film policier, un road-movie et un western épique dont la trame est la course-poursuite entre Peluchonneau et Neruda. Un jeu du chat et de la souris que contrôle malicieusement le fugitif qui a toujours un coup d’avance.

Le cinéaste diversifie à l’occasion les points de vue. Ainsi, Pablo Neruda occupe l’écran pendant la plus grande partie du film, mais la voix off d’Oscar Peluchonneau accompagne le récit en commentant la traque. A un autre moment, l’inspecteur, au cours d’une conversation avec Delia del Carril, qui donne lieu à une scène ubuesque qui ressemble à un intermède destiné au spectateur, s’inquiète de savoir s’il n’est qu’ « un personnage secondaire… » après que l’épouse fidèle lui eut déclaré que « dans cette fiction on gravite tous autour du héros » ! On est très proche du réalisme magique ou du surréalisme de la littérature latino-américaine, qui s’apparentent ici à une « réalité augmentée » de fantasmagories.
Avec Neruda, Pablo Larrain « dresse un portrait » irrespectueux de Pablo Neruda, présenté comme un bourgeois jouisseur, amateur de fêtes et de femmes, imbu de lui-même (un garde du corps lui conseille d’ailleurs de faire preuve de modestie) et manipulateur. Cependant, en même temps, sa légende est en train de se construire. La première partie du film est ainsi ponctuée de vers qu’il écrit (ou déclame) au cours de cette période, lesquels traduisent la souffrance des opprimés (« Canto General », son œuvre majeure, paraîtra en 1950).

Malgré la qualité du jeu de l’actrice Argentine Mercedes Morán le film repose principalement sur les épaules des deux principaux protagonistes. Le comédien Chilien Luis Gnecco est plus que convaincant, par sa ressemblance physique mais aussi grâce son interprétation qui saisit les contradictions de son personnage. En face de lui, son double antinomique, Gael Garcia Bernal tire parfaitement son épingle du jeu, en flic « moitié abruti, moitié con« , dit de lui un paysan, pourtant habité par un idéal, rigoureux, inquiétant, mais pathétique et courageux.
Neruda est la première bonne surprise cinématographique de ce début d’année. Le film sort quelques semaines avant un autre « biopic » de Pablo Larrain, Jackie, son premier film en langue anglaise, qui suscite déjà la curiosité (le 1er février)…
Neruda de Pablo Larrain (Chili/Argentine/France/Espagne – Drame – 1h48). Avec : Luis Gnecco, Gael García Bernal, Mercedes Morán, Diego Muñoz, Pablo Derqui
Voir la bande-annonce du film (Wild Bunch Distribution)
Le site officiel de la Quinzaine des Réalisateurs
Une biographie de Pablo Neruda (en français)
Un site sur Pablo Neruda (en français)
Philippe Descottes
[…] Parmi eux Ixcanul de Jayro Bustamente, Tony Manero de Pablo Larraín (le réalisateur de Neruda et de Jackie), Gloria de Sebastián Lelio, Sangre de Amat […]
[…] de Volker Schlöndorff (2014) avec Niels Arestrup et André Dussollier. Arte à 20h50. Puis : Neruda de Pablo Larraín à 23h15 sur Arte.Julieta de Pedro Almodovar. Mercredi, Ciné+ Emotion à […]
[…] 13 Neruda de Pablo Larrain (2016 – 1h43). Avec Luis Gnecco et Gael Garcia Bernal. Un biopic […]
[…] 19 Neruda de Pablo Larrain (2017 – 1h43). 1948, la Guerre Froide s’est propagée jusqu’au […]