Théâtre / Le voyage de Miriam Frisch

Une nouvelle création au TNN et je dirais « bougrement » intéressante : un théâtre interrogeant, qui examine, approfondit, fouille. Bref, ne peut nous laisser indifférent : Le voyage de Miriam Frisch
Qu’en est-il ? Miriam Isabel Coretta Frisch, jeune allemande de 25 ans, a décidé de passer 7 semaines en kibboutz à l’été 2012. Brouillant les frontières entre fiction et récit, la pièce raconte ce voyage à partir des matériaux collectés avant, pendant son séjour et à son retour.
Miriam croit à l’utopie d’un renouveau. Si elle n’identifie pas précisément les raisons qui la poussent à faire ce voyage, elle mentionne le poids d’une histoire allemande qui lui a été transmise malgré elle et une « culpabilité abstraite et familiale ». Elle dit vouloir vivre une aventure initiatique qui lui permettra de faire table rase du passé et de se réapproprier son histoire.
Mais à son arrivée, elle découvre que les kibboutz vieillissants ne sont pas les lieux d’utopie auxquels elle rêvait et surtout, que sa démarche est loin d’être singulière : dans ces paysages exotiques, elle est sans cesse confrontée à d’autres jeunes allemands partis, comme elle, « régler » leur passé.
Sommes-nous condamnés à porter l’héritage qui nous a été transmis ? Peut-on espérer faire table rase et « recommencer » ?
Voilà ainsi synthétisé le sujet argumenté dans la pièce (non, vous ne me ferez pas écrire le barbare pitch, mot utilisé par les journalistes fatigués). Mais, tel qu’il est énoncé, il ne se départit point d’un « formalisme fictionnel ». Or Le voyage de Miriam Frisch se présente sous une forme radicale. Il ne s’agit pas de « vivre », d’ « incarner » ou autres billevesées. Les quatre comédiens ne sont que les passeurs du récit de Miriam Frisch, récit qui a été recueilli en de longs interviewes par Linda Blanchet. Ces fragments passent de l’un à l’autre avec, entre autre, comme illustrations, des photos prises par Miriam Frisch au cours de son voyage. Cette Verfremdungseffekt (littéralement effet d’étrangeté, et non distanciation) nous fait entrer dans le caractère épique de la fable (au sens de de te fabula narratur)
Mais attention, il ne s’agit pas de « théâtre du réel » ni à proprement parler «d’ « autofiction ». Entre autre par le fait que chaque fois qu’un comédien cite le nom du personnage principal, il ne dit pas « Miriam » mais « Linda », double processus à la fois d’appropriation et d’étrangeté. Linda Blanchet) devient – si je puis dire – « la passeuse en chef » l’entité la plus proche de nous-mêmes.

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Au demeurant, le parti -pris scénographique est fort : il est élément fondamental, cette scénographie n’est pas à l’arrière-plan mais à l’avant plan, comme Lotte Eisner parlait de la prégnance du décor expressionniste. Car la scène est une cène : la cinquantaine de spectateurs (nous sommes dans une jauge limitée) sont regroupés autour de tables étroites disposées en long, assis comme pour un repas. Une cène, vous dis-je. C’est à quoi l’on pense immanquablement en entrant dans la salle de répétitions du TNN, où se déroule la représentation. Et je trouve que cette salle porte bien son nom, puisque, au cours des représentations, il s’agira de répéter les mêmes questionnements, d’interroger. Nous sommes des spect-acteurs.
Ainsi, chaque spect-acteur partagera les rituels de cette soirée avec les comédiens : boire le vin, partager le pain, raconter une histoire… Les rites réunissent acteurs et spectateurs dans une communauté liée par la représentation en cours. Une histoire commune commence. La table semble créer une communauté rassurante qui porte l’espoir de pouvoir offrir un recommencement, une forme d’association à la fois originelle et englobante, un lieu authentique et naturel. Une table pour effacer les histoires individuelles, oublier l’Histoire et faire page blanche.
A une question de Caroline Audibert : « Pourquoi avoir choisi cette création au tour du parcours de cette jeune allemande ? » Linda Blanchet répondait « J’ai trouvé ce parcours étonnant : une allemande de 25 ans qui veut découvrir l’organisation collective en kibboutz et en même temps comprendre son histoire. Ce sont les raisons qui l’ont poussé à partir autant que le voyage en lui-même qui m’intéressaient. »
Jacques Barbarin

Le voyage de Miriam Frisch écriture collective sous la direction de Linda Blanchet, mise en scène Linda Blanchet, Compagnie Hanna R, avec Calypso Baquey, Cyril Texier, William Edimo, Angélique Zaini , scénographie Bénédicte Jolys, musique Miriam Schulte, vidéo Florent Gouelou, lumière Alexandre Toscani, Gildas Goujet

TNN 04 93 13 90 90 – salle de répétitions – jauge limitée – 1h10
Jeudi 5, 19h et 21h – vendredi 6, 19h30 – samedi 7, 19h et 21h – dimanche 8, 15h30

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