Le grand cinéaste Italien après Sangue del mio Sangue ( 2015) change de registre et nous propose une approche originale sur le traumatisme de la perte et l’impossible acceptation du deuil par un jeune garçon de Neuf ans dont la mère meurt mystérieusement. Adapté du livre autobiographique de Massimo Gramellini , le récit au cœur des espaces temporels , explore magnifiquement le lent cheminement vers la résilience…

Les premières images du film nous font les témoins de la relation « fusionnelle » entre la mère ( Babara Rochi) de Massimo et son fils de 9 ans ( Nicolo Cabras) . Dans le quotidien de la maison rythmé par les devoirs au retour de classe, les jeux ( le scène où elle lui apprend à danser ) et le partage des séances devant la télé à regarder les divertissements , les séries ( dont celle du feuilleton Belphégor ) et les films . Une intimité qui est d’autant plus forte que le père pris par son travail est peu présent et rentre souvent tard . Un soir ,alors que Massimo est dans son lit , la mère rentre discrètement et lui murmure un « fais de beaux rêves » ( Cliquer pour voir la Bande-annonce) . Plus tard un cri dans la nuit réveille Massimo , la police est là qui amène son père au commissariat et l’enfant inquiet à qui personne ne dit rien ,qui insiste pour voir sa mère . On le dissuade et on lui dit qu’elle est à l’hôpital . Puis la « chape de plomb », et le silence s’installent , la mère qui ne revient pas et le père de Massimo qui le conduit chez un prêtre qui lui explique « qu’elle est désormais au paradis ». Massimo refuse d’accepter la disparition brutale et inexpliquée de celle-ci qui va l’entraîner dans une impasse …d’une trentaine d’année qui ne cessera de le miner et le hanter. Retrouvant l’une des thématiques de son œuvre partagée entre évocation et réflexions historiques sur l’histoire de son pays ( Buongiorno notte / 2003 et Vincere / 2009 ) et celles plus personnelles des relations familiales parfois tumultueuses dont il prolonge , ici , l’exploration des liens mère- fils jadis rejetés ( Les poings dans le Poches / 1965 ) , puis aplanis ( Le sourire de ma mère./ 2002 ) dont la douleur de la perte de celle-ci , va constituer pour Massimo son héros ici , un véritable tsunami amplifié par le silence qui l’entoure …

Et c’est sur celui-ci que Marco Bellocchio inscrit son adaptation du récit biographique de Massimo Gramellini ( gros succès en Italie ) au cœur duquel le cinéaste attiré par l’une des thématiques qui n’a cessé de traverser son œuvre , y intègre sa propre approche du « mystère » qui s’y inscrit porté par la liberté de son regard extérieur envers le drame évoqué . Utilisant un montage où les flash- backs et les sauts dans la temporalité créent une sorte de « distanciation » Brechtienne qui enrichit sa complexité en même temps qu’elle fait peser encore plus le poids du traumatisme . Notamment en ce qu’il révèle du poids de l’imaginaire ( l’image récurrente du feuilleton Belphégor ) s’y inscrivant comme un « suspense » jusqu’au final dont l’analogie de la fiction et du vécu , devient un des éléments majeurs . Le récit construit à cet égard une sorte de Puzzle duquel la vérité ( ou une part de celle-ci ) peut , être approchée. Se faisant aussi le moteur du parcours de Massimo et de ses difficultés à se ( re ) construire. Le secret de famille entretenu et le souvenir du passé heureux avec la mère qui le hante devenu adolescent ( Dario Dal Pero ) et cet imaginaire qui deviendra une forme de refuge dont Massimo , devenu adulte ( incarné par le grand comédien ,Valério Mastandrea) , va tenter d’apprivoiser les échos toujours aussi forts en les confrontant à sa carrière de journaliste et au réel au cœur duquel il travaille .
C’est la belle idée du récit qui fait se télescoper la dramaturgie du passé et du présent dans une double reflet du désordre . Le désordre du monde extérieur ( le scandale financier , la guerre des Balcans …) qu’il côtoie , et celui de son univers intime , qui se télescopent, construisant un magnifique parallèle , où les influences de l’un et de l’autre ne font qu’amplifier le malaise …

Dès lors le trouble de Massimo Adulte subissant une sorte d’assaut simultané des ses souvenirs douloureux auxquels font échos ceux des événements et des tragédies du monde , ne peut que s’amplifier . d’autant que la mort du père ( Guido Caprino ) va le ramener à cet appartement et à ces souvenirs entassés qu’il va falloir trier . Comme il va lui falloir désormais faire table rase du passé . Et tenter de mettre à jour les raisons des silences ( du père , de sa tante… ) et des mensonges sur la mort de sa mère . Faire le deuil devient un nécessité , mais il faut que la vérité lui soit dite … et non plus que celle-ci soit «arrangée » comme pourrait l’être une photo mettant en scène ( belle séquence) une tragédie de guerre . Massimo désormais en journaliste -témoin et peu concerné d’un scandale financier, ou encore, d’un suicide . Victime de crises d’angoisse qui sont le reflet de son mal-être auquel il va lui falloir mettre fin . Désormais l’orphelin de mère et en deuil récent du père , va tenter d’exorciser la douleur d ‘une plaie trop longtemps laissée béante . Cherchant à faire tomber le tabou du secret familial avec sa Tante ( autre séquence forte ) et éloigner le spectre du mensonge entretenue entretenu par une certaine résignation religieuse ( les mots du prête à l’enfant ) proférée comme une nécessité d’acceptation « Dieu l’a rappelée à lui mais de la-haut , elle te garde son amour et te protège » , et de résignation qui ne guérit pas . Seule la vérité peut le faire , et c’est dans l’ignorance de celle-ci qu’il a été laissé …

Massimo après avoir longtemps galéré avec ses souvenirs enjolivés et cherché à éloigner les fausses résignations qu’on lui présentait en remèdes, va tenter de bousculer tous ces éléments afin de pouvoir renaître à la vie . Ses angoisses qui vont trouver une soignante ( Bérénice Béjo) à l’écoute et qui l’ouvre à une nouvelle prise en charge de lui-même . La rubrique du » courrier des lecteurs » du journal restée orpheline qu’il va reprendre lui ouvrant la possibilité d’évoquer indirectement sa blessure . La tante qu’il va affronter et mettre en demeure de lui dire la vérité. Petit à petit le chemin se fait , celui ouvrant à cette « étincelle de la vie » , évoquée par professeur d’Astronomie. Et pouvoir se dégager des mensonges et de hypocrisies, soigner la douleur de la parte en affrontant les vraies raisons de celle-ci qui permettront d’en faire le deuil. Ouvrir la porte à l’amour et à la possibilité de résilience , éloigner les silences menteurs et la résignation religieuse . Ne plus faire du refuge entretenu des souvenirs douloureux qui ont brisé l’enfance , mais transcender l’imaginaire ( magnifique séquence de la danse) permettant de soigner les angoisses et chasser les fantômes , ouvrant à la possibilité de résilience et d’une renaissance à la vie …
(Etienne Ballérini)
FAIS DE BEAUX REVES -2016- Durée : 2 h 10 –
Avec : Valério Mastandrea, Guido Caprino , Bérénice Béjo, Nicolo Cacras, Dario Dal Pero, Babara Ronchi , Emmanuelle Devos….