Quartiers / Nice et l’ancien Bagne du Port.

Nice , Le  Port et les Bagnards
Nice , Le Port et les Bagnards

Ami lecteur, lorsque vous flânez comme il m’arrive bien souvent, sur le port de Nice et que vos pas vous mènent sur le quai oriental ou quai des Docks, anciennement quartier du Barri Lonc (le long mur) vous êtes frappés par une curieuse bâtisse toute en longueur. Sans vous en douter peut-être, vous côtoyez l’ancien bagne de Nice établi là depuis le XVIIIè siècle. Le site était composé à l’origine d’un bâtiment central allongé qui était les dortoirs des forçats, encadré par deux tours latérales, le pavillon de l’horloge, au nord, dédié à l’administration de cet établissement pénitentiaire et, plus au sud, un autre bâtiment dévolu au logement des gardiens, aux cuisines et à l’infirmerie. Seule subsiste actuellement la tour nord avec son horloge à aiguille unique(*) et le bâtiment central.

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Une entrée du Bagne

Vers le milieu du XVIIIe siècle, les galères de Villefranche faisaient place au bagne de Nice, d’autant plus utile que les travaux d’aménagement du nouveau port Lympia et de ses dépendances et son entretien, nécessitaient une main-d’œuvre abondante quoique peu spécialisée: il fallait surtout disposer de bras pour extraire les blocs de pierre de la carrière de Rauba-Capeu voisine et les transporter à pied d’œuvre, il fallait aussi curer les bassins pour permettre aux navires d’accoster. Le peintre Rennais Louis-Joseph Dutertre a laissé une image saisissante de l’activité des forçats (vers 1840) où l’on voit une colonne de détenus en blouse et bonnet rouge charriant péniblement un énorme bloc de rocher sous la surveillance d’un garde sarde et le regard compatissant de Charles-Félix.
Le bagne était réservé aux délinquants dont les forfaits n’étaient pas suffisamment graves pour les conduire à l’échafaud, mais ce n’était pas un cadeau pour autant! Les conditions d’existence et de travail étaient particulièrement pénibles voire inhumaines. Au commencement des travaux du port, en 1750, il y avait 300 forçats sur le site, environ 150 au premier Empire, en majorité des militaires condamnés pour désertion ou insubordination. Ce chiffre va se stabiliser à la Restauration sarde et diminuera beaucoup à la moitié du XIXe siècle.

La Pavillon de l'Horloge
La Pavillon de l’Horloge

Par ailleurs, sous le 1er Empire, les portefaix du port, ceux qui déchargeaient les navires à quai se plaignirent d’une concurrence déloyale exercée par certains bagnards qui, en fin de peine, pouvaient bénéficier d’une certaine liberté leur permettant ainsi de se constituer un pécule pouvant leur servir à se réinsérer dans la vie civile après leur élargissement évitant ainsi de replonger dans la délinquance, avec toutefois le risque d’évasion que rendait possible cet accès à une semi liberté. Le préfet Dubouchage déplorait également que des détenus puissent ainsi concurrencer des travailleurs libres. Cela étant, il existait au sein de l’administration pénitentiaire une réelle volonté de «récupérer» les détenus et d’espérer les voir réintégrer la société civile dans de bonnes conditions.
En 1851, Cavour et Victor-Emmanuel II suppriment le privilège du port franc, la statue de Charles-Félix y perdra quelques doigts de la main gauche alors qu’il n’y était pour rien. En 1860, c’est le Rattachement à la France. Le bagne vit ses derniers moments. En 1887, les quelques dizaines de forçats restants sont dirigés vers les Nouvelles Prisons toujours en place aujourd’hui. Les lieux sont transformés en caserne militaire au début du XXe siècle et seront classés aux Monuments Historiques le 16 septembre 1943.La modernisation des installations portuaires modernes fera disparaître le pavillon sud.

Les Bât-Flancs
Les Bât-Flancs

Le site est resté longtemps sous son ancien aspect avec son mur extérieur bâti en partie en belles pierres de taille par, sans doute, des maçons professionnels alors que la partie restante a du être édifiée par du personnel peu qualifié, peut-être les forçats eux-mêmes, d’ailleurs. Des portes massives munies de lourdes serrures donnent accès à l’intérieur et, en avril 2016, au début des travaux, on voyait encore les bat-flanc en ciment servant autrefois au repos des occupants de ce lieu alors sinistre.
En 2016, où en est-on? Récemment, une volonté visant à réhabiliter ce lieu emblématique s’est manifestée au niveau du Département et, depuis le printemps, des travaux ont été entrepris et, en cette fin décembre, sont actuellement en voie d’achèvement pour donner naissance à un «Espace culturel du port de Nice» comprenant des salles d’exposition dans l’ancien bagne et dans le pavillon de l’horloge, une terrasse visitable avec vue imprenable sur le port.
Espérons toutefois qu’un espace sera consacré à une rétrospective historique de ce bâtiment avec iconographies, documents d’archives etc….

(*): A Mézel près de Digne (vallée de l’Asse), la chapelle dominant le village, N.D. du Rosaire s’orne également d’une horloge à aiguille unique. Il faut dire qu’aux temps anciens les gens n’étaient pas à cinq minutes près et qu’une mesure du temps au quart d’heure suffisait largement pour gérer leurs activités quotidiennes.

Yann Duvivier
Sources:
«Le port de Nice, des origines à nos jours», Academia Nissarda (2004).
Bibliothèque du Chevalier Victor de Cessole, Nice.
Collection particulière (Le port par Dutertre).

Illustrations :
Le pavillon de l’horloge
Nice, le port et les bagnards
Une entrée du bagne
Les bat -flancs

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