Cinéma / TOUR DE FRANCE de Rachid Djaïdani.

Révélé par Rengaine (2012 ) et son regard sensible et juste sur les jeunes des cités , le cinéaste double la mise et frappe fort avec son second long métrage en forme de Road -movie dans la France profonde. Bravant les pièges des clichés – il fait de son « duo » du jeune arabe Rappeur confronté à vieux un Franchouillard réac – qui se les renvoient , un superbe récit contre-poison à la haine , au racisme et à la discrimination … Un grand film citoyen à ne pas manquer..

l'affiche du film.
l’affiche du film.

Rachid Djaïdani avait surpris avec sa Rengaine en forme de film « fauché » et radical qui déjà brisait les tabous et les clichés sur les a-priori et autres préjugés, des regards sur les communautés dont il ne manquait pas non plus de fustiger les contradictions. Mais son attention sur les personnages dont il décrivait les blessures profondes et les espoirs , faisait mouche. Refusant de juger et renvoyant comme arme à la stigmatisation , la bienveillance , déjouant les pièges qui désamorcent les clichés porteurs de haine . Il récidive ici, avec une confrontation emblématique d’une état des lieux sur la France d’aujourd’hui dont il pose d’emblée l’enjeu du choc des civilisations et des cultures qui va y être décliné au travers de ses deux héros . D’un côté , le jeune rappeur de cité, Farouk ( Sadek ) contraint suite à un règlement de comptes de quitter la Capitale qui accepte la proposition de son ami producteur de le remplacer comme chauffeur de son père , Serge ( Gérard Depardieu ) dans le tour de France promis , des Ports sur les traces du peintre qu’il admire , Joseph Vernet . Entre le jeune Rappeur arabe qui fustige dans ses textes la discrimination et l’ouvrier veuf et réac à la retraite , la cohabitation s’annonce difficile , comme une sorte de match de Boxe. Le tour de France dans lequel ils sont embarqués devient le « tour de force »  du film distillant dans ses magnifiques séquences ( rounds ) de coups et échanges, ce contre-poison cité . Et c’est la belle idée du film et du récit qui au détour des vifs échanges et des confrontations -clichés , va finir par faire baisser la garde à chacun .. .

Sur la route ...
Sur la route …

Dès lors, le tour des ports de Dieppe jusqu’à Marseille dans la promiscuité du vieux camion qui va tomber en panne , et des autres aléas du parcours , va être rythmé par les disputes qui à chaque fois vont se heurter aux clichés que l’un et l’autre se renvoient . Mais il leur faudra bien aller au bout du voyage et tenir la distance… et mettre de l’eau dans son vin. C’est bien sûr , au début à qui réussira à prendre à défaut l’autre et se murer dans ses certitudes. «  ce sont deux ours , oui , c’est hallucinant ! », dit le cinéaste qui « connaît et a côtoyé cette radicalité » dont il a voulu chercher à décrypter les blessures sur lesquelles elle s’est figée , et sont devenues des masques derrière lesquels ils se réfugient … et s’obstinent. Et ces masques Rachid Djaïdani va les faire tomber , par petite touches , au cours des aléas d’un voyage dont le cinéaste utilise les situations , s’immisçant avec son regard extérieur dans le habits du Candide de Voltaire faisant l’expérience de l’injustice et  du monde . Dans ce récit en forme de conte moderne , il se « glisse » en observateur au cœur des clichés de chacun… avec cette empathie qui fait sa singularité , et qui, surtout lui permet de pointer les évidences qui interpellent. Celles qui dérangent et qui expliquent les raisons d’une certaine radicalisation des tensions «  ceux qui nous blessent sont des blessés. C’est le seul moyen qu’ils ont trouvé d’exister . Aujourd’hui tout est sur le Buzz et le Clash !. Tous ces mots qui se sont accumulés ont donné naissance à des montagnes qui deviennent infranchissables. Ce n’est même plus des ulcères , c’est dans la Tête !. Les médiocres sont très unis . Alors que les poètes et les humanistes sont très désunis , il travaillent au cas par cas.. . », pointe et constate , le cinéaste …

La visite des ports...
La visite des ports…sur les traces de Jospeh Vernet.

Et c’est la mise en évidence de ce constat qui fait le prix de son film , et surtout la justesse de celui-ci porté par les deux comédiens dont le « duo » improbable, finit par faire sourdre cette humanité .  Il suffirait de presque rien… d’un geste , d’un regard , d’une confidence en forme de justification pour répondre à un cliché . Comme celle qui finit par délier la langue de Serge interpellé par Farouk lui reprochant de mettre tous les « arabes » dans le même cliché de la violence ( y compris terroriste ) , Serge finissant par révéler son passé d’ouvrier qui a fini en prison pour avoir voulu se venger de l’Usine et de son patron qui l’exploitait !. La violence, la haine, la prison et la discrimination sociale,… il a donc connu ça lui aussi !. Et d’ailleurs , c’est celle subie dans un contrôle d’identité policier musclé de Farouk au cours duquel  Serge va s’interposer et prendre la défense du rappeur , et  qui les conduira tous les deux en prison … la violence subie et partagée , ça rapproche . Et Serge finira par faire découvrir des  pans  de cette ( sa ) France profonde qu’il aime à Farouk :  les ports et la peinture bien sûr, mais aussi les régions et leurs traditions ( coutumes et nourriture ) . De son côté , c’est par un poème de Baudelaire , L’Albatros , que Farouk répondra aux critiques  faites  par Serge ( «  insignifiants …et que du bruit !« ) de ses chansons et musiques Rap . Mais la chanson , ça peut rassembler et se partager  aussi … comme cette  chanson de Serge Lama que Farouk à la grande surprise de Serge, aime et connaît. La musique et les paroles qui émeuvent parce qu’elles renvoient au quotidien de chacun . A la révolte dont se font écho les Raps de Farouk ( …et de  la bande originale du film composée par Clément Dumoulin ) , ou à la blessure des rapports distants de Serge avec son fils réveillée par la chanson de Serge Reggiani ( « Mon enfant , Mon amour » ) . La musique et ses multiples influences , comme « fusion » de genres dont se fait l’écho  la séquence de la superbe « Marseillaise » qui en dit long …

Sur le tournage : Rachid Djaïdani et Gérard Depardieu...
Sur le tournage : Rachid Djaïdani et Gérard Depardieu…

On pourrait multiplier les exemples des séquences faisant de cette «  approche » entre deux radicalités opposées qui se toisent, quelque chose d’unique et finalement de bouleversant dans une démarche risquée qui est loin d’un certain « politiquement correct » , mais qui en même temps prend à rebrousse-poil les idées reçus, préférant pointer ce qui peut permettre de « rapprocher » plutôt que de diviser. Faire en sorte que chacun sorte de son isolement , se raconte à l’autre et partage ses maux … pour se délivrer de la haine et du rejet de l’autre . Cette haine  que certains exploitent à des fins politiques. Rachid Djaïdani a ce culot là, et la qualité de sa mise en scène fait le reste avec cette spontanéité qui lui est naturelle …
On aime son film et on conclura , en lui laissant le dernier mot avec le souhait qu’il exprime dans le dossier de presse, concernant le prolongement qu’il souhaiterait voir , à son film «  il y a un voyage dans mon film pour le spectateur et je souhaiterais qu’il le prolonge en dehors de l’expérience de la salle. Permettre d’ouvrir pour que l’on regarde autour de soi. Permettre de comprendre qu’un homme comme Serge ( Gérard Depardieu) ce sont plus les blessures qui l’ont poussé à avoir une pensée extrême que le dégoût d’une communauté. Lorsque j’étais maçon , j’ai travaillé avec ces gens là qu’on qualifie de « fachos » ou de « racistes » . Je les ai toujours désamorcés , en travaillant ma truelle sur le chantier, en les respectant…ils étaient tellement brisés par la vie que jamais je ne les ai jugés . Serge est l’un d’eux , pas un mauvais mais un perdu… » .
Des mots qui n’ont pas besoin de commentaires…

(Etienne Ballérini)

TOUR DE FRANCE de Rachid Djaïdani -2016- Durée 1h 35.
Avec : Gérard Depardieu , Sadek , Louise Grinberg, Nicolas Marétheu, Mabô Kouyaté ,Alain Pronnier ,Yasiin Bey …

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