Ce nom, c’est tout ce qui lui reste après que l’administration sociale anglaise lui retire peu à peu tous ses droits.
Daniel Blake, menuisier proche de la retraite, victime d’une attaque cardiaque, ne peut plus travailler mais la médecine du travail tarde à juger son dossier. Il doit pointer au chômage, ne rater aucun de ses rendez-vous et remplir des questionnaires sur un ordinateur, une machine qu’il n’a jamais utilisée et qui, pour lui, représente une véritable torture. Peu à peu, il s’enfonce dans le système kafkaïen déshumanisé du « pôle emploi » anglais où les actes de solidarité sont presque toujours punis. En effet, que ce soit lorsque sa conseillère essaye de l’aider ou quand il décide de prendre la défense de cette jeune mère arrivée quelques minutes en retard à son rendez-vous et qui va voir ses aides supprimées, le système ne permet rien à qui ne se soumet pas.
Heureusement, Daniel Blake garde en lui l’humanisme et la solidarité, propre aux classes populaires, aidant notamment cette jeune mère sans emploi et en recherche de logement refoulée ainsi du système d’aide. Ken Loach, 80 ans et son fidèle scénariste Paul Laverty signent le film le plus révolté de l’année (si ce n’est pas plus) et récompensé d’une Palme d’or méritée au Festival de Cannes 2016. Derrière une simplicité apparente et déconcertante, l’histoire s’attache avec une mise en scène d’une finesse incroyable, à éviter le pathos pour se concentrer sur l’humain et délivre un film à la fois dramatique et beau, positif (comme tous les films de Loach puisqu’il croit en l’homme) mais terriblement triste.
Loach a repris la caméra alors qu’il avait annoncé sa retraite car il ne pouvait rester sans rien faire face à la dégringolade du système social britannique, face à cette population défavorisée ou modeste sur la paille avec la libéralisation des services publics engagée par les technocrates libéraux d’un gouvernement qui dirige contre son peuple :
« Les dirigeants le font consciemment. Ils se servent de la santé des citoyens pour faire baisser les statistiques. Ils savent que les gens malades qui font appel de leur radiation des listes de chômage gagnent. Mais beaucoup sont démoralisés ou se sentent trop faibles pour faire appel. Les tentatives de suicide augmentent. Mais le gouvernement gagne puisque ces gens perdent leurs allocations. Le problème est idéologique. Ils veulent faire croire aux pauvres qu’ils sont des incapables et feignent d’ignorer que près de 2 millions de personnes sont sans emploi. « Si vous n’avez pas de travail, c’est parce que votre CV n’est pas bon, parce que vous êtes arrivé en retard à un rendez-vous, parce que vous ne maîtrisez pas la technologie ou parce que vous n’avez pas postulé pour tel travail. Quelle que soit la raison, vous avez échoué par votre propre faute. » Si les gens n’admettent pas qu’ils sont responsables, ils vont s’en prendre au système. Ce que les dirigeants veulent éviter puisqu’ils sont là pour le protéger et l’étendre. »*
Réussir un tel film sans effet de style, sans discours moralisateur, avec l’humilité artistique des braves, c’est du très grand art. C’est un cinéma des Justes. Depuis le milieu des années 1990, Laverty et Loach dessinent à travers les époques une topographie de la société britannique et de ses politiques désastreuses pour les êtres humains. Moi, Daniel Blake est sans aucun doute un de leurs films les plus minimalistes, les plus forts en terme de message mais sans que celui-ci ne soit jamais énoncé clairement dans la lignée de Riff-Raff (1991)**, It’s a Free World (2007) ou encore La Part des Anges (2012). C’est bien là tout leur talent. Les différentes étapes et humiliations que doit subir Blake ne sont qu’une suite logique que personne ne pourra accuser d’être trop appuyée. Loach a notamment tourné en décor réel avec, lors de la scène dans la banque alimentaire de vrais bénéficiaires comme figurant… mais payés au tarif syndical : « Car on ne peut pas faire un film sur l’exploitation en exploitant les gens. »
Alors quand Daniel Blake, pointe sa bombe de peinture sur ce policier (et sur nous aussi) alors qu’il écrit son nom sur les murs… nous devrions tous nous sentir des Daniel Blake.
Julien Camy
*http://www.humanite.fr/ken-loach-ils-veulent-faire-croire-aux-pauvres-quils-sont-des-incapables-618762
**Le scénariste était alors Bill Jesse. Ken Loach a commencé à travailler avec Paul Laverty sur Carla’s Song en 1995 et ils ne se sont plus quittés.
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