Invité d’honneur de Cinespaña, le comédien Catalan Sergi López est venu présenter trois des 82 films de sa filmographie (…chiffres communiqués par lui-même), La propera pell d’Isaki Lacuesta et Isa Campo, en compétition, Un dia perfecte per volar de Marc Recha et Le Labyrinthe de Pan de Guillermo del Toro. Avec une bonne humeur contagieuse, simplicité et sincérité, il a répondu aux questions du public, à l’occasion d’une rencontre à la Cinémathèque de Toulouse, et de la presse lors d’une conférence.

L’invité d’honneur de Cinespaña
Un hommage c’est un peu gênant. Je deviens tout rouge (rire)… Je prends ça comme une preuve d’amour. Toulouse ce n’est pas loin de chez moi. J’y suis déjà venu en 2010. Je m’y sens un peu chez moi.
Ses débuts de comédien
En Catalogne, dans les villages, il y a une tradition de théâtre amateur, très populaire, ouverte à tout le monde. Il y a des bergers, très gentils, et le diable, très méchant. Sur le plan scolaire, j’étais très mauvais élève. Je venais de rater encore une fois ma terminale. Mon père était très inquiet pour l’avenir de ses enfants. Son désarroi était à la fois expressif et physique (rire). Un soir, je suis rentré très tard. Après une répétition, on est partis dans une discussion avec les copains de notre avenir après le bac et certains songeaient à faire du théâtre. Mon père m’attendait. Pour éviter sa colère, je lui ai dit : «j’ai décidé de faire une école de théâtre » ! Ça a marché. Il n’avait rien contre le métier de comédien, mais je n’avais rien décidé. Le lendemain, en me réveillant, je ne pouvais plus faire marche arrière et j’ai commencé à étudier le théâtre à Barcelone.
Puis je suis parti à Paris avec un copain pour suivre le cours de théâtre de Jacques Lecoq (ndlr : comédien, metteur en scène, chorégraphe et pédagogue qui a eu pour étudiants Ariane Mnouchkine, Luc Bondy, Yasmina Reza ou encore Yolande Moreau). Pour moi, devenir acteur c’était difficile, compliqué, douloureux. Il fallait lire beaucoup. Être acteur c’était réservé à une élite. Je n’avais même pas rêvé en faire un métier. Ses cours de théâtre étaient basés sur le corps, la gestuelle. Mais Jacques m’a aussi appris à avoir confiance en moi et à créer.
Au secrétariat, il y avait Michèle, un dame d’un certain âge, veuve dont l’époux était Catalan. Aussi, elle couvait les élèves catalans. Et au bureau j’ai vu un jour une annonce pour un casting « Cherche acteur avec accent espagnol». Jacques Lecoq nous avait interdit d’en faire en 1ère année. Pourtant, j’y suis allé. Et j’ai rencontré Manuel Poirier qui allait tourner La petite amie d’Antonio.
Les débuts au cinéma avec Manuel Poirier et Western (1992-1997)
Il n’avait pas le budget pour le film, mais au lieu d’attendre d’avoir le financement, comme il avait un peu d’argent, on a tourné, ¼ d’heure en à peine deux semaines. J’ai repris les cours. Manuel a montré cet extrait pour boucler le budget. J’étais en 2e année quand on a repris le tournage.C’était une façon d’entrer dans le cinéma, pas dans le « star system », ni d’apprendre le métier, mais plutôt de découvrir comment ça marche le cinéma, car Poirier est très particulier. Au départ, je pensais que tout le monde travaillait comme ça. Avec le temps je me rends compte qu’il n’y a que lui qui travaille de cette façon-là. Il tourne dans la chronologie, il n’aime pas que les comédiens soient parfaits. C’est un cinéma proche de la réalité. Il ne cherche pas des acteurs, il filme des gens.
Avec Manuel on a tourné un deuxième, un troisième, puis un quatrième film et arrive Western en 1997. Avant, je pouvais dire que je connais quelqu’un qui fait des films, mais pas « je fais du cinéma ». Western m’a fait connaître, d’abord à moi-même. La veille de la présentation à Cannes, Sacha Bourdo (autre acteur principal du film) et moi on se promenait. On faisait des photos sur la plage, comme Sophia Loren (rire). Le film est très bien reçu et remporte le Prix du Jury. J’ai tout de suite pris conscience que j’étais acteur. C’était la naissance de « Sergi López ». Western m’a également fait connaître en Espagne. Avec le recul, je prends véritablement conscience que, pour moi comme pour Manuel, les choses auraient pu se passer différemment, prendre une tournure bien différente. A l’arrivée, on a tourné neuf films ensemble. De copains on est devenus des amis très proches.
Harry, un ami qui vous veut du bien représente une autre étape avec le César du meilleur acteur 2001 mais avec un rôle de méchant…
Harry n’est pas aussi antipathique que cela. Il a un humour noir très prononcé. Dans le scénario, à la lecture, il y a de l’humour quand même. Un scénar bien foutu, carré, brillant et le résultat a dépassé ce que l’on pouvait imaginer, avec ce César du meilleur acteur décerné à un comédien étranger ce qui ne s’était jamais fait auparavant et le Prix du cinéma européen du meilleur acteur 2000 . C’était une étape dans ma carrière. Ainsi, j’ai travaillé ensuite sous la direction de Stephen Frears, avec Chiwetel Ejiofor, dans Dirty Pretty Things (2002).
Ce personnage de méchant vous a-t’il collé à la peau ?
C’est une légende. Contrairement à ce qui a été écrit dans un article aux Etats-Unis, des personnages de méchants ou de mauvais, j’ai du en jouer 5 ou 6, pas plus. D’ailleurs, au départ, Dominik Moll m’avait proposé de jouer le rôle de Michel, le gentil, finalement interprété par Laurent Lucas. Au final, malgré Harry, je ne me suis pas du tout senti enfermé dans un rôle.
Son travail d’acteur
Je cherche à travailler le moins possible (rire). Ou, plus exactement, juste ce qu’il faut. Par exemple si j’interprète un officier à cheval comme dans Le Labyrinthe de Pan, le minimum est de savoir monter un peu à cheval. Je suis au service du réalisateur ou du metteur en scène. Avec le scénario, en le lisant, on déjà des indications. Ce n’est pas toujours évident, mais si c’est bien écrit, c’est plus facile pour la mise en scène. J’aime bien être dirigé, je fais confiance… même si je ne peux pas m’empêcher de donner mon avis, de l’ouvrir sur un tournage (rire)…

Des différences entre le cinéma français et le cinéma espagnol ?
Il n’y a pas beaucoup de différences. S’il y en a une, c’est surtout lié à la personnalité du réalisateur et non à sa nationalité. Maintenant, c’est un fait qu’en France le cinéma en tant qu’industrie tient une place plus importante qu’en Espagne.
Les comédiens, les réalisateurs qu’il admire
Je n’ai pas d’idoles. J’aime des artistes et des univers très différents. Je préfère assumer mon ignorance plutôt que de faire semblant. Je ne suis pas cinéphile, même si je le suis plus qu’à mes débuts. Grâce à mon métier j’ai été amené à connaître des gens du cinéma qui eux sont très cinéphiles. Les réalisateurs, mais aussi les techniciens.
La motivation pour choisir les rôles
Le plaisir de jouer. J’aime jouer comme le fait un enfant. Je suis un mauvais exemple. 90% des acteurs doivent prendre les rôles qu’on leur propose. Comme il est impossible d’accepter toutes les propositions, j’ai l’énorme privilège d’être obligé de choisir. Pour certains, c’est l’argent qu’il va gagner, pour d’autres c’est le personnage… Chez moi, c’est l’histoire qui me motive. Elle peut très bien ne ressembler à rien, mais si ça me paraît intéressant, je donne mon accord. J’ai besoin d’avoir un auteur. Aux Etats-Unis, mais en France aussi d’ailleurs, la mentalité est de concevoir un projet qui va devenir un produit. Du coup, tu te retrouves à parler avec un producteur alors que le scénario n’est pas forcément terminé et que le réalisateur n’est pas encore désigné. Chez moi, c’est l’inverse, j’ai besoin de rencontrer quelqu’un qui veut raconter une histoire, qui la défende. Même si les réalisateurs ont leur propre façon de travailler. Chez Recha ou Poirier, il y a une part d’improvisation, Poirier n’aime pas que les choses soient trop propres, trop carrées. Guillermo del Toro, c’est l’extrême. Tu comptes trois, tu tournes là tête comme ça. Tu comptes quatre, tu tiens ta tasse comme ça. Je me sens bien dans les films où il y a une part d’impro, mais peu importe. L’important, c’est que le film soit bien. C’est le cas pour Le Labyrinthe de Pan.
En 2015, vous avez joué à Paris 30/40 Livingstone, une pièce que vous avez écrite et mise en scène avec Jorge Pico. Songez vous à la réalisation cinématographique ?
Je ne sais pas. Au cinéma, il y a non seulement le scénario, mais il y a aussi, en plus, l’écriture cinématographique. Bien sûr, j’ai des idées, mais ça fait déjà tellement d’années… Le passage à la réalisation, ce n’est pas pour le moment.

En dehors de Manuel Poirier, vous avez travaillé plus d’une fois avec différents réalisateurs (*). Marilyne Canto avec laquelle vous avez tournée a dit de vous « C’est un grand acteur doté d’une empathie réelle avec les gens ». C’est l’explication ?
Je ne sais pas… Il y a peut-être de cela. Sur un tournage, j’aime bien vivre un aventure avec une famille… sans pour autant faire du camping non plus. C’est vrai, je me sens bien avec les gens en général..Maintenant, il y a aussi des réalisateurs qui s’en foutent complètement. L’acteur doit arriver à 8 heures, il bosse et il puis il se casse (rire)…
D’où vient ce capital sympathie en France ?
Je ne l’explique pas. Peut-être, l’accent (rire)? C’est la faute des Français (rire) ! En France, c’est une histoire d’amour énorme, c’est vrai !
L’engagement politique
Je n’hésite pas à m’engager, pour l’indépendance de la Catalogne ou de la Palestine. Tout est politique. Il faut redonner le pouvoir au gens d’en-bas et non plus la laisser à des gens qui se prennent pour « des pères », qui considèrent que la politique est trop compliquée et continuent de nous traiter comme des adolescents. Je suis engagé, oui. Pour autant, n’ai pas la prétention à devenir le porte-parole d’une cause. Par exemple, concernant la Catalogne, je ne suis pas le porte-parole des indépendantistes, car je ne suis pas d’accord avec les positions de certains responsables.
– Les prochains mois, Sergi López sera à l’affiche d’Orpheline d’Arnaud des Paillères, avec Adèle Haenel, Adèle Exarchopoulos, Solène Rigot et Gemma Arterton (annoncé pour le 5 avril 2017) et d’En amont du fleuve de Marion Hänsel, avec Olivier Gourmet et John Lynch. (annoncé pour 3 mai 2017).
- Sergi López dans les films de Manuel Poirier voir la video
- Pour revenir sur la 21e édition de Cinespaña : le site officiel
(*) Parmi les cinéastes avec lesquels Sergi López a travaillé à plusieurs reprises :
Marion Hänsel : La Tendresse (2013), En amont du fleuve (2016)
les frères Larrieu : Peindre ou faire l’amour (2004), Les Derniers jours du monde (2009), 21 nuits avec Pattie (2015)
Dominik Moll : Harry, un ami qui vous veut du bien (2000), Le Moine (2011)
Arnaud des Pallières : Parc (2007), Michael Kohlhaas (2013), Orpheline (2016)
Marc Recha : Petit indi (2009), Un dia perfecte per volar (2015).
Propos recueillis à Toulouse le 07 et 08 octobre 2016 (Cinespaña – Toulouse)
Crédits photos : Jean-Jacques Ader, Jean-Claude Wolf
Philippe Descottes
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