Le cinéaste Franco -Tunisien, nous plonge au coeur des quartiers chauds de la cité Marseillaise qui font souvent la une des médias avec ses trafics et ses meurtres. Dans le sillage de son héros, Sofiane étudiant qui a réussi à y échapper et qui, lors de son retour provisoire dans sa famille où son frère va être victime d’un règlement de comptes, va voir sa destinée changer …

C’est le troisième long métrage que le cinéaste consacre à Marseille , une ville qui lui est devenue chère et dont il a décrit la vie et les problèmes dans les quartiers populaires depuis Bye, Bye (1995) décrivant à la suite d’un drame familial provoquant le départ de leurs parents dans le bled, le quotidienne de deux frères dont l’un est lié a de dangereux trafiquants, et Khamsa (2008 ) racontant les difficultés d’un jeune Gitan échappé à sa famille d’accueil et décidé à renouer avec les siens . De ces quartiers laissés à l’abandon depuis des années et devenus des ghettos dans lesquels la violence n’a cessé de se radicaliser, le cinéaste a choisi avec Chouf de porter un regard « différent » de celui véhiculé ( et , parfois déformé ?…) par les médias dans ces quartiers qui font la « une » avec ce qui est devenu le lot quotidien des trafics et surtout des règlement de comptes et des morts qui en sont la triste réalité. C’est un travail de trois ans auquel le cinéaste s’est attelé avec la volonté d’en traduire le « réalisme » en choisissant ses comédiens « croisés au cours des rencontres et coups de cœur » dans la rue et avec lesquels il a travaillé en ateliers pour les « former » . Préférant un travail lui permettant de « canaliser » un terrain vierge afin de garder l’authenticité de ses personnages ..

Un choix qui s’avère être l’atout du film offrant ce « réalisme » naturel au travers duquel chacun apporte au personnage la dimension de sa propre ( vraie ) personnalité débarrassée de tout ce qui pourrait paraître un jeu appuyé ou forcé. Offrant dès lors aux attitudes de certains qui en font au quotidien leur propre « marque » pour se distinguer et se donner une sorte de légitimité réunissant tous les ingrédients destinés à marque leur personnalité et à définir et entretenir les rapports de forces. Car c’est bien de cela qu’il s’agit au cœur de ces groupes où chacun a son rôle à jouer et à tenir et où il ne faut pas « déraper » au risque d’en subir les conséquences . C’est aussi la capacité de certains qui s’y distingue à savoir cacher le « double-jeu » auquel on peut être contraints par les rivalités des bandes et des compromis multiples liés aux trafics . Ceux qui , lorsqu’ils sont découverts font dégénérer les rivalités où la suspicion et la trahison se révèle , se terminant dès lors en règlements de comptes et en meurtres. C’est cette mécanique de l’engrenage dans laquelle le récit de karim Dridi nous entraîne dans le sillage de son héros étudiant Sofiane ( Sofian Khammes ) qui y a échappé et dont semble-t-il l’avenir se dessine ailleurs et dans une possible future réussite professionnelle.Une réussite qui va être remise en cause …

En effet Sofiane dont le court séjour en famille est marqué par le meurtre de son frère dont il était très proche , pense que son rôle est désormais de rester dans la cité et qu’il pourra le venger au travers d’une démarche qui pourrait en même temps permettre de révéler tous les compromis qui y ont conduit, et changer la donne. Sa volonté qui l’a déterminé à partir pour s’extraire de ces quartiers et de l’engrenage de la violence, le conduisant à imaginer un parcours de vengeance, pouvant , en pénétrant les arcanes des trafics , permettre de démasquer les coupables pour les faire tomber . Déterminé , il refuse d’écouter les membres de sa famille qui tentent de l’en dissuader et le supplient ( sa mère ) de repartir à ses études. Ce dernier n’écoutera que son cœur : venger son frère et éradiquer le mal… entreprenant une sorte de croisade dont la dimension du « rêve » inconscient relève de l’utopie . C’est la question la cœur du récit et du film , celle du « déterminisme » qui est posée par le cinéaste dont il explique dans le dossier de presse « j’ai fait ce film pour échapper au déterminisme social qui nous régit tous. La plupart de ces jeunes n’ont jamais eu la possibilité d’étudier , d’avoir des vacances , des parents qui ont eu ou pris du temps pour eux , bref une vie normale de petits Français moyens . Ces jeunes sont nés dans un milieu dont il est très compliqué de se sortir , même quand certains accèdent à une éducation scolaire plus poussée . Mon héros est une jeune Français d’origine Maghrébine , doué à l’école , qui a eu la chance d’avoir des parents qui se sont occupés de lui et qui a fait des études supérieures de commerce mais qui est né dans un quartier dit difficile . Dès qu’il rentre chez lui il est ramené à sa condition et il devient presque impossible pour lui de s’en extraire , de résister à la fatalité qu’elle implique ».

Et c’est de celle-ci que le film construit sa dramaturgie de l’engrenage auquel malgré sa volonté Sofiane ne pourra se soustraire contraint pour son objectif de faire des choix et des compromis moraux pour y parvenir , finissant par employer les mêmes moyens qu’il dénonce .Mais , parvenant à démasquer les coupables il deviendra leur cible. C’est ce parcours , servi par un comédien remarquable ( Sofian Khammes ), débouchant sur une impasse qui est très intéressant. Servi par un travail qui l’est tout autant rendant compte d’un vécu quotidien où les personnalités des autres personnages se révèlent avec cette « gouaille » des gestes et des mots ( accent Marseillais, mêlant argot arable , gitan ou Marseillais ) enrobée dans une mise en scène qui apportent l’authenticité souhaitée. Dommage que pour la garder intacte , que le choix du cinéaste de ne pas les sous-titrer, certains échappent parfois à la compréhension du grand public qui n’y est pas habitué . Cela n’aurait pas altéré l’authenticité souhaitée par le cinéaste . Un « petit » regret qui n’e réduit cependant pas le constat auquel le film invite et les interrogations qu’il suscite …

La mise en scène est nerveuse à laquelle le cadre de l’image en cinémascope offre à l’approche réaliste souhaitée , l’ouverture des espaces urbains aux scènes d’actions s’inscrivant dans le genre des films du thriller et de vengeance dont il s’inspire ( Martin Scorsese …) dans le cadre desquels s’ajoute la dimension du romanesque et de la tragédie à laquelle le héros ses retrouve confronté . Un film au « discours social » ( à la Ken loach qu’il admire ) « empreint de divertissement », dont les images sont accompagnées par une bande- son qui se détache de la musique Urbaine ( Rap) avec Casey et la chanson originale « qartier maître » en ouverture du film , puis s’en éloigne , « au profit d’une mélodie volontairement lyrique pour soutenir la trame tragique du film » ( signée Chkrr ) , souhaitée par Karim Dridi. Le cinéaste n’ a pas hésité à s’éloigner des clichés médiatiques quitte à offrir un regard que certains pourront trouver « indulgent » sur une jeunesse délaissée qui sombre dans violence et dont il dit « je ne les excuse pas , je veux les comprendre . Depuis des années et des années on a crée une situation sans espoir , et on est en train de générer celle qui arrivera demain. On ne peut pas laisser les gens dans un ghetto et s’étonner que ça explose ! » , conclut-il
(Etienne Ballérini)
CHOUF de Karim Dridi -2016-
Avec : Sofian Khammes , Foued Nabba, Oussama Abdul Aal, Zine Darar, Naila Harzoune, Foziwa Mohamed, Mohamed Ali Mohamed Abdallah …