Présenté en compétition officielle au dernier Festival de Cannes, le film y a remporté un mérité « grand Prix » du Jury. Pour son sixième long métrage le cinéaste y démontre une fois de plus son incroyable capacité à se renouveler pour faire corps avec son sujet et à « adapter » son regard et son approche pour lui rester fidèle dans sa radicalité et sa noirceur. A ne pas manquer…

Le cinéaste Québecquois après Mommy est revenu sur la croisette avec cette fois-ci, comme il l’avait fait pour son film Tom à la ferme , une adaptation théâtrale . C’est la pièce de théâtre écrite par le dramaturge Jean- Luc Lagarce en 1990 , sur laquelle il s’est penché et qui à l’évidence est liée aux thèmes qui lui sont chers . Dont celui des relations familiales qui sont au coeur de la plupart de ses films . Et son désir de les aborder par le miroir d’un autre regard et d’un auteur qui en décrit avec acuité toutes les nuances et les cruautés qui s’y cachent et qui sont finalement autant de « jets » ( de haine ou d’amour… ) irrépressibles . Ceux là même que la distance de l’éloignement n’a fait qu’en renforcer le ressentiment plutôt que de l’apaiser. En fait , c’est comme une sorte de lâcheté non avouée qui a fini par s’installer et qui permet à chacun de se protéger derrière les « postures » qui permettent de se cacher pour ne pas avoir à dire ce que l’on pense vraiment , ou à entendre ce que l’on ne veut désormais plus entendre !.

Après douze ans d’absence pour raisons de carrière et de succès littéraire , Louis ( Gaspard Ulliel ) décide de revenir dans son village natal et retrouver les membres de sa famille pour leur annoncer sa mort prochaine . C’est la décision et le dilemme que révèle la scène d’ouverture du film qui laisse déjà entendre que Louis va devoir affronter les éternelles « disputes » qui en sont le quotidien . Ces « malentendus » qui lui pèsent d’autant plus que le temps qui reste lui fait mesurer l’urgence de retrouver la paix avec ceux qui lui sont restés chers . Mais voilà, sur place c’est comme son éloignement et le temps n’ont fait qu’attise les rancunes. Et ça ne va pas manquer dès son arrivée , les mots sous-entendus ou les reproches directs fusent tout aussi vivaces qu’il y a douze ans . Bonjour l’ambiance! . On se demande d’emblée s’il va pouvoir annoncer cette triste nouvelle . On ne lui en laissera pas le temps , mais on devine dans tout ce qui se dit , et surtout dans l’intensité et la vivacité des échanges, que, peut-être on subodore et que l’on retarde volontairement l’aveu , qu’on ne supporterait peut-être pas . l’émotion sous -tendue est là….

Dans ces mots qui ne sortent pas ou ont du mal , dans ces colères ou ces flots verbaux qui ne laissent pas la place à l’autre . Soeurs, frère ( Vincent Cassel ) et mère ( Nathalie Baye ) sont là qui , s’engueulent pour lui ou contre lui , Louis est balloté et subit les coups de colàre ( la scène dans la voiture avec son frère, Antoine / Vincent Cassel ) , ou trouve un peu de compréhension du côté de sa belle- sœur , Catherine ( Marion Cotillard ) la plus réservée et qui a du mal à s’exprimer, soumise dans l’ombre de son mari.. Louis ne sait plus comment réagir , sa colère retenue et l’aveu qui reste cloué dans sa gorge . Il subit , tente de se révolter . Mais on ne l’entend pas . Chacun est enferme dans son monde et s’y complaît …ou fait semblant , ou se donne une posture, à l’image de la mère qui sur-joue les excentriques pour cacher son amour , tandis le frère Antoine se retrancher dans sa posture agressive de détestation de tous …et de rejet de Louis , et tente d’y entraîner tout le monde . La tension est palpable et l’étau se resserre sur Louis qui n’ a , ni les mots et ni les ressources pour y faire face . C’est comme si à sa mort programmée , une seconde venait s’y ajouter … celle que les mots et les postures du psychodrame de ses proches lui renvoient l’image d’ un douloureux rejet . « Je voulais que les mots de Lagarce soient dits tels qu’il les avait écrits . Sans compromis . c’est dans cette langue que repose son patrimoine et c’est à travers elle que son oeuvre a trouvé la postérité. l’édulcorer aurait été banaliser Lagarce » dit le cinéaste dans le dossier de presse.

Le défi de Xavier Dolan était de restituer cette texture si particulière de l’écriture de Lagarce , et il a fait le choix de la faire ressortir par une approche des personnages filmés quasiment tout au long de leurs échanges , en gros plans. L’approche des visages et des corps au plus près , fait sourdre la « vérité » des mots et la singularité et la personnalité de chacun . C’est la réussite de son pari qui n’était pas gagné d’avance et la théâtralité respectée de ce huis – clos familial servi par des comédiens en osmose et en « état de grâce », accompagné par une partition entrecoupé de superbes « aérations » musicales . Dès lors l’incommunicabilité chère au cinéma de Michelangelo Antonioni à laquelle s’ajoute celle des « cris et chuchotements » de celui d’Ingmar Bergman trouve un magnifique écho , sombre et tragique , porté le choix de mise en scène de Xavier Dolan sublimant les mots de Lagarce , plongeant le spectateur dans l’hystérie chaotique des envolées verbales , ou scrutant en gros plan les visages silencieux , ou , les regards qui se croisent et se défient … C’est du beau travail …
( Etienne Ballérini)
JUSTE LA FIN DU MONDE de xavier Dolan – 2016-
Avec : Gaspard Ulliel , Nathalie Baye , Léa Seydoux, Vincent Cassel , Marion Cotillard…
[…] ils ont d’autres plans pour Hideko. « Thriller à tiroirs ». OCS City à 20h40. Vendredi 22 Juste la fin du monde de Xavier Dolan (2016 – 1h50). Louis, un écrivain, revient voir sa famille dans son village […]