Adapté du roman de Tatiana De Rosnay , après Complices ( 2010 ) le second long métrage du cinéaste Suisse , adopte la forme du thriller psychologique créant une ambiance oppressante autour de la traque obsédante et obstinée par cette mère envers , le prétendu chauffard qui a pris la fuite et coupable de la mort de son fils…

Le regard plongé dans le vide derrière les vitres de la fenêtre de la maison elle se cogne la tête a s’en faire mal, comme une oiseau prisonnier qui veut s’évader . Elle c’est une mère éplorée , Diane (Emmanuelle Devos ) qui vient de perdre son fils victime d’une accident renversé par une voiture dont le conducteur a pris la fuite . De maigres indices : la couleur Moka d’un vieux modèle de Mercédes et , celle , blonde des cheveux d’une femme qui aurait été vue au volant, sont les seules pistes fournies par les témoins, indices insuffisants pour l’enquête de Police qui piétine. La douleur augmentée par le sentiment d’impunité dans lequel vit , la coupable du crime qui a bouleversé et détruit sa vie , lui devient insupportable . L’oiseau blessé va dès lors briser ses chaînes et sortir de l’enfermement pour se « muer » en justicière . Se mettant en mouvement dans une quête libératrice . Elle va faire sa propre enquête aidée par un détective privé ( Jean-Philippe Ecoffey) qui finit par trouver dans la région , quatre spécimens encore existants de cette marque, correspondant au signalement et les adresses des propriétaires . Diane va se mettre en route pour retrouver la coupable et assouvir sa vengeance libératrice . La thématique classique du thriller de la vengeance est en marche . Thématique dans laquelle le jeune cinéaste Suisse dont le thème de la recherche de la vérité est déjà present dans son premier long métrage , va laisser s’infiltrer cette « ombre d’un doute » chère à Alfred Hitchcock qui va s’insinuer dans la confrontation entre victime et coupable, laissant sourdre au cœur de celle-ci le double questionnement sur la légitimité de son acte et sa portée morale…

C’est la belle idée du récit qui installe, constamment , dès lors, cette double réflexion dont la mise en scène se fait l’écho par la « dualité » de son regard scrutant les multiples états d’âme de la victime tentée par l’alibi de la vengeance meurtrière . Le basculement est porté constamment par la mise en scène et l’interprétation magistrale d’Emmanuelle Devos habitée par l’idée que seule « la vengeance pourrait lui faire accepter l’inacceptable » . Diane , qui, face à la présumée (?) meurtrière , Marlène ( superbe contrepoint humain apporté par Nathalie Baye ) qui a elle aussi ses raisons pour s’accrocher à la vie, va se retrouver confrontée au dilemme moral de la « légitimité » de son acte qui interpelle le spectateur :« qu’auriez-vous fait à sa place ? » ( sur l’affiche du film ). La confrontation des deux comédiennes est magnifique offrant au récit l’ampleur humaine nécessaire au suspense qui désormais se retrouve détourné sur un autre terrain. Frédéric Mermouz en fait la « clé » de son film , comme le confirme sa belle déclaration dans le dossier de presse « Peu à peu Diane se confronte à la complexité et à l’humanité de cette femme qui aurait brisé sa vie …et Marlène finit par l’émouvoir . Le désir de vengeance devient une étape dans le processus de compréhension et de deuil , un élan de survie qui permet aussi à Diane de découvrir des choses sur elle-même et son fils disparu. Alors elle peut rester à flots, donner progressivement un sens à ce qui en est dépourvu(…) ce mouvement de Diane qui va d’un désir de vengeance à une forme de réconciliation avec soi-même est la thématique qui articule Moka » , dit -il . Offrant une réponse sans ambiguïté , à contre-courant de celle souvent présente et galvaudée dans de nombreux films du genre où le héros , lui , ne se pose pas la question …

Un choix de récit qui se complète par celui d’une volonté de créer une atmosphère qui semble être aussi un de ses éléments de prédilection ( il a aussi signé la réalisation des quatre derniers épisodes de la première saison de la série Les Revenants ) où s’insinuent les tensions ( la scène de le promenade en montagne de Diane et Marlène), en même temps que le mystère ou la violence ( les séquences avec le compagnon de Marlène …) , imprégnant par l’utilisations des décors ( le lac léman , la montagne , les ville : Lausanne/ Evian ) et les oppositions ( styles de vie , atmosphère feutrée …) , accentué par le travail sur les cadrages inscrivant ambiguïté et tensions . Ou encore le choix et l’importance des seconds rôles , à l’image de celui du jeune Vincent ( Olivier Chantreau , épatant ) qui va jouer un rôle doublement libérateur et émancipateur pour Diane. C’est d’ailleurs cet autre aspect de l’étude des personnages féminins qui fait aussi l’originalité du film . Avec ce personnage de Diane vengeresse qui finit par s’émanciper doublement . A la fois du rôle dévolu habituellement à l’homme dans les films du genre , et dont l’amour maternel confronté à l’impuissance à lui fournir une « raison de faire le deuil » va la pousser à se mettre en action, pour assouvir cette vengeance à laquelle son mari tente de la soustraire . Tandis que Marlène restant , elle , en retrait ( et soumise ) va découvrir une réalité qu’elle n’imaginait pas .. .

Une tension psychologique dont Frédéric Mermoud a voulu investir son récit en l’ouvrant à cette originalité dont sont porteurs ses personnages féminins , et notamment celui de Diane auquel Emmanuelle Devos apporte toute la subtilité de son jeu et lui a offert la possibilité d’explorer une facette qui est rarement incarnée par les personnages féminins dans les films du genre. La comédienne déjà présente dans son premier long métrage dont il dit qu’elle « est inspirante et occupe une place singulière dans mon imaginaire » et qu’il la voulait « de tous les plans » dans cette histoire de vengeance maternelle » qui a fini par devenir et s’imposer lors du tournage comme une évidence , en un personnage » auquel la quête de vérité lui ouvre la porte à la résilience.
Autant d’éléments qui rendent la vision de ce Moka passionnante et attachante …
(Etienne Ballérini)
MOKA de Frédéric Mermoud – 2016-
Avec : Emmanuelle Devos, Nathalie Baye, David Clavel , Olivier Chantreau, Jean-Philippe Ecoffey, Diane Roxel , Samuel Labarthe…