Cinéma / L’ECONOMIE DU COUPLE de Joachim Lafosse.

Après Les Chevaliers Blancs (2015 ) sur l’affaire de l’Arche de Zoé, le cinéaste revient au cadre plus intimiste des rapports humains explorés déjà dans Elève Libre (2009 ) ou A Perdre la raison ( 2012) en s’attachant , ici, à ceux des rapports de désamour du couple déjà esquissés dans Nue propriété ( 2006 ) dont il prolonge ici l’introspection des conflits au travers du symptôme déclencheur de l’Argent dont le titre du film se fait l’écho …

l'Affiche du film
l’Affiche du film

La séquence d’ouverture nous plonge d’emblée en plein cœur de ces rapports de désamour qui se sont installés , après quinze années de bonheur et deux jumelles    ( Janet et Margaux Soentjens) qui en ont été le fruit , dans le couple formé par Marie ( Bérénice Bejo ) et Boris ( Cédric Kahn ). On y voit Boris – qui rentre au domicile conjugal dans lequel la séparation en cours a installé des règles de vie commune « adaptées » à une situation particulière contraignant à une cohabitation forcée – se faire reprocher vertement par Marie de ne pas s’y tenir et s’ensuit une énième dispute faisant resurgir toutes les exaspérations qui en sont le lot et focalisant les multiples rancoeurs qui se sont installées comme miroir négatif de leur passion d’hier . Tout ce qui les avait réunis , aujourd’hui les insupporte « tout en lui m’exaspère …je ne peux plus être dans la même pièce que lui » , confiera Marie à ses amis . La guerre qui s’est installée désormais au sein du couple semble rendre inéluctablement son avenir impossible accentué par le fait que Boris n’a pas les moyens financiers de se reloger et d’aller habiter ailleurs. En effet Boris issu d’un milieu assez défavorisé a toujours eu du mal à trouver un travail stable et la rupture du couple a dû s’accommoder de cette « cohabitation » forcée en attendant que sa situation s’améliore ? . Mais dans cette maison où ils ont vécu heureux et achetée par Marie avec l’apport financier de sa famille , et  Boris avec ses dons de décorateur et d’architecte y a effectué des travaux qui l’ont embellie et ont fait grimper sa valeur marchande. Désormais , compte tenu des rapports de plus en plus tendus, le nerf de la guerre du couple va se décliner sur le terrain du patrimoine commun  , auquel chacun prétend et qui en sera l’enjeu …

Boris ( Cédric Kahn) et Marie ( Bérénice Bejo)
Boris ( Cédric Kahn) et Marie ( Bérénice Bejo) en plein  dile de séparation

Et c’est sur ce terrain sur lequel le conflit se déplace et se « focalise » que Joachim Lafosse a choisi de cristalliser son regard et en décrypter le véritable enjeu. La scène d’ouverture du film en question et ses premières répliques qui reflètent déjà le véritable terrain sur lequel le conflit s’est déplacé le confirment. Cette « Valeur » en question de la maison sur laquelle l’enjeu de la séparation se focalise , est désormais claire pour chacun. Elle , propriétaire de celle-ci achetée avec l’argent de sa mère et à laquelle , alors , Boris désargenté n’avait pu apporter sa part , lui propose aujourd’hui de  lui en  laisser, le Tiers de sa valeur … à condition qu’il s’en aille !. Lui, faisant valoir les travaux qu’il y a effectués gratuitement et ont embelli la demeure qui a pris de la valeur , en réclame son dû  , celui de son travail : ce sera la moitié ou rien !. C’est dans le cadre de cette cohabitation houleuse avec ses règles strictes imposées par Marie et dont Boris refuse le « diktat » Bourgeois ressenti comme une forme de rejet , de classe ( « tu n’es pas capable d’avoir un travail fixe et de rapporter à la maison l’argent nécessaire … » ) ,et désormais devenu paria et exilé dans la maison qui fut celle de leur bonheur . Celle dans laquelle les petites jumelles sont soumises constamment aux disputes de leurs parents et en souffrent «  si vous vous séparez vous ferez comment si tu n’a pas d’argent ? » , dit l’une d’elle. Et c’est cet argent devenu emblématique de la discorde qui finalement se fait le miroir d’une réalité bien plus simple dont Joachim Lafosse va traduire ( traquer ) tout au long de son récit , le visage du symptôme dont il est le révélateur , comme l’explique le cinéaste « Ce n’est pas à cause de lui que Boris et Marie n’arrivent plus à s’aimer . Derrière le sujet de discorde qu’il représente il y a la manière dont l’un est reconnu et l’autre ne l’est pas il n’y a pas d’effort. Boris et Marie n’arrivent pas à s’entendre sur la manière dont ils auraient à reconnaître ce qu’ils se sont apportés l’un l’autre , parce qu’ils n’ont pas eu la lucidité d’aborder concrètement, et dès le début , l’investissement de chacun dans leur couple. Les bons comptes font aussi les grandes histoires d’amour » .

A chacun son tour : Marie et ses jumelles ( Jade et Margaus Soentjens )
A chacun son tour : Marie et ses jumelles ( Jade et Margaux Soentjens )

Et dès lors c’est le refus de céder à l’autre qui ne veut pas reconnaître cette part d’investissement, un comportement faux-fuyant (?) installant encore un peu plus le désordre … comme l’illustrent les magnifiques scènes où tels des fantômes qui s’ignorent désormais , Boris  errent dans l’espace guettant la faute de l’autre ou échangent « amabilités » et autres humiliations. La mise en scène -et en espace -de Joachim Lafosse installe ce climat oppressant qui s’y joue , dont ils deviennent prisonniers par leurs comportements . Il y installe un véritable jeu de représentation que conforte l’utilisation d’une nouvelle caméra, la Stab-One ( une sorte de Mini-Steadycam  utilisée  par  Innaritù  pour Birdman et  The Revenant,   qui permet de travailler en espace réduit ) qui lui  a facilité  la  restitution de celui-ci  dans l’espace clos de  l’appartement  .Y installant , un véritable « ballet » de mouvements et de rapports des corps qui se défient  ( superbe travail du chef- opérateur : Jean- François Hensgens ). Les règles de partage des espaces ( Boris relégué à sa petite chambre , Marie qui occupe le reste de la maison ) et du temps ( les jours de Boris et ceux de Marie pour s’occuper…) à respecter , et pas question de transiger comme le souligne la scène du frigidaire et des compartiments de celui-ci destinés à chacun et sur lesquels il est interdit d’empiéter , comme le fera un jour , Boris !. Toutes ces petites mesquineries que l’on s’envoie en pleine figure et qui finissent par refléter une sorte de guerre des nerfs aussi insupportable que terrifiante . Une guerre qu’aura du mal à comprendre, Christine ( Marthe Keller , toujours aussi impeccable ) la mère de Marie restée dans la logique de sa génération et qui tentera , en vain, de réconcilier le couple , et finit par s’emporter «  avant on savait réparer les choses …maintenant dès qu’il y a un problème on s’emporte , on jette !, plus de désir , plus de  couple! » .

...Au tour de Boris pour s'occuper des petites jumelles.
…Au tour de Boris pour s’occuper des petites jumelles.

Et Joachim Lafosse construit autour de ce couple en désamour la belle symbolique de la maison qui devient un personnage à part entière et qui , par l’enjeu dramatique qu’elle revêt se fait miroir révélateur d’un couple «  dont elle est l’incarnation de ce qu’il a eu envie de construire ensemble, et la preuve tangible de ce qui a été désiré auparavant, mais qui ne l’est plus ». Le cinéaste qui été «  un enfant du divorce avant de devenir un père du divorce » raconte avec une acuité particulière un « vécu » qu’il a connu , en même temps que cette térrifiante litanie des incéssants réglements de comptes dont il distille, le venin.On retrouve dans son film la sourde réalité des rapports de forces et humains qu’avaient explorés avec une acuité incomparable dans leurs films, John Cassevetes ( Faces , Opening Night …) ou de Maurice Pialat ( A nos amours ) . Son film dans la manière de capter la vérité et l’intimité des personnages  se hausse au niveau de ses maîtres , à l’image de la désormais inoubliable scène où Boris se fera humilier par les invités au dîner de Marie, et ce dernier « jouissant » d’une certaine manière de ce sentiment de rejet qui le conforte dans son rôle d’exclu . Et puis il y a ces moments ( et ce regard ) de tendresse sur les personnages qui y fait écho dans l’autre magnifique scène du film où Marie et Boris ,  mettent un « bémol» à leur conflit  qui  met en colère leurs  filles  et  que l’espace  d’une réconciliation, une belle harmonie s’invite alors dans une moment de communion magnifique dans la scène de la danse et du coucher , où père et mère retrouvent – l’espace d’un instant- leur rôle , celui que leurs filles attendent. Il y a dans cette superbe scène la volonté affichée du cinéaste de laisser entrevoir au delà de l’échec du divorce « un atout qui permet d’ envisager un  possible » . De la même manière que le récit , habilement , laisse le spectateur se faire son opinion sur les comportments de Marie et de Boris, ne cherchant as à « charger » l’un au détriment de l’autre . Marie qui cherche à s’émanciper et Boris en quête de cette reconnaissance à laquelle il n’a pas – jusque là – eu droit. Pour l’une comme pour l’autre , il s’agit de conquérir , ou garder , son libre-arbitre ..

Ajoutons enfin , que pour servir cette économie du couple un beau travail d’interprétation ( et de direction…) de comédiens en osmose ( y compris les deux petites filles ) , avec une Bérénice Bejo étonnante à la fois de détermination et de fragilité et un cédric Kahn cinéaste dont on apprécie le talent ( L’Ennui / 1998, Roberto Succo/ 2001 , l’Avion/2005 , Une Vie Meilleure/ 2012 , Vie Sauvage/ 2014 ) , et qui, derrière la caméra se révèle aussi un comédien remarquable de justesse et de sensiblilité .
C’est un grand film que signe Joachim Lafosse , on vous le conseille vivement …

(Etienne Ballérini)

L’ECONOMIE DU COUPLE de Joachim Lafosse – 2016-
Avec : Bérénice Bejo , Cédric Kahn , Marthe Keller , Jade Soentjens , Margaux Soentjents …

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