Festival de Cannes / Deux films italiens magistraux

Absent de la compétition officielle, le cinéma italien fait néanmoins son grand retour sur la Croisette cette année avec 3 films à la Quinzaine des réalisateurs, un film à la Semaine de la critique et un film à Un certain regard.

 

Parmi eux, La Pazza gioia de Paolo Virzi, une comédie déjantée avec un duo d’actrices époustouflant et I tempi felici verrano presto de Alessandro Comodin au récit énigmatique, une sorte de « Alpine malady » pour faire un clin d’oeil à Apichatpong Weeresatakul.

Si le film de Marco Bellochio en ouverture de la Quinzaine des réalisateurs n’a pas fait l’unanimité ni de la critique ni du public, La Pazza gioia, le dernier film de Paolo Virzi a reçu un accueil enthousiaste, tous publics confondus.

La Pazza gioia renoue avec la grande tradition de la comédie italienne dans ce qu’elle a de meilleur : à la fois extrêmement drôle (un coup de chapeau tout particulier pour les dialogues, hauts en couleurs) et profondément grave.

la-pazza-gioia-770x513Le film se passe en effet à la villa Biondi, structure d’accueil, moins carcérale que bien d’autres, pour femmes étiquetées comme folles selon les critères médico-légaux communément en vigueur.

Parmi les patientes, Beatrice, rejeton hors norme d’une grande famille de la bourgeoisie italienne, jouée avec une loufoquerie jubilatoire par Valeria Bruni-Tedeschi, plus en forme que jamais. Volubile, très cohérente et naturellement extravagante, Beatrice est considérée comme suffisamment « atteinte » pour être totalement interdite de sortie.

Ses remarques sur la jet set politico-médiatique italienne peuvent passer pour un pur délire mythomane/people (sa tirade en défense de Berlusconi est en soi un morceau d’anthologie de même son couplet sur les « juges rouges » qui résonnera d’ un écho familier pour le public italien) , et elle a certes l’air hystérique, mais à première vue plutôt inoffensive. Cela dit, nous nous rendons compte très vite, dès l’arrivée de Donatella (magistralement interprétée par Micaela Ramazzotti ) à la Villa Biondi, qu’il y a vraiment du délire dans l’air. Donatella la prend pour le médecin de l’institution et Beatrice, loin de la détromper , passe derrière le bureau et lui fait un interrogatoire en règle, passant en revue tous les médicaments en grande connaissance de cause, et pour cause !

A partir de ce moment là, vont s’enchaîner sur un rythme endiablé moult péripéties qui vont faire se rencontrer vraiment et surtout se soutenir, Beatrice la fonceuse, dotée d’un culot qui renverse les montagnes et Donatella, l’introvertie dépressive qui observe plus qu’elle ne parle.

Une fois le décor posé avec une première scène au réfectoire ou encore une réunion de l’équipe thérapeutique , le film va aller crescendo à partir de la première sortie de Beatrice et Donatella qui bien sûr en profiteront pour ne pas rentrer au bercail.

Leurs aventures démarrent très fort avec le vol de la voiture du gros beauf qui se voyait déjà dans une partie fine et vont prendre très vite un tour de plus en plus dramatique. Paolo Virzi sait nous tenir en haleine et nous surprendre par la folle inventivité de Beatrice sans jamais perdre de vue pour autant la dure réalité des normes sociales et des institutions qui sont là pour les faire respecter.

La grande force du film tient en grande partie à son rythme qui colle parfaitement à l’intensité dramatique du récit, avec des accélérations vertigineuses (par exemple la scène où Beatrice retourne chez son ex mari) et des moments où le temps paraît comme suspendu (la rencontre avec les parents adoptifs du fils de Donatella).

Le film excelle dans la peinture de ces états limite où tout d’un coup tout bascule avec des moments de grande émotion ( par exemple la rencontre entre Donatella avec son père à l’hôpital ) et les moments de pur délire ( Beatrice dévalisant le coffre de son mari qu’elle a pris bien soin d’assommer par une grosse dose de valium etc….).

Au delà de la folie, le sujet du film porte aussi sur les relations familiales et les dysfonctionnements profonds qui en découlent. Il le fait dans cette alternance de dérision et de gravité qui est le propre de la comedia all’italiana et tous les amoureux du cinéma italien en seront bien reconnaissants à Paolo Virzi .

i-tempi-felici-verranno-presto-2016-alessandro-comodin-cov932-932x460I tempi felici verranno presto. Alessandro Comodin signe avec ce deuxième film une œuvre étrange, pétrie de mystère où l’onirique rejoint la légende laquelle irrigue le réel. Film contemplatif par sa manière de s’immerger dans la nature, dans la matière même de la forêt et des éléments, I tempi felici n’est pas pour autant un film désincarné, loin de là. Les corps y sont très présents, au même titre que les arbres, les biches ou les brebis. Mais ce qui frappe peut-être le plus c’est la virtuosité du réalisateur à jouer avec les ombres et la lumière, la pénombre, le clair obscur ou même la nuit noire. C’est peut-être là le véritable fil conducteur du film.

Quelque part au Piémont, dans une vallée hors du monde et qui semble aussi hors du temps , deux hommes sautent un mur de clôture , se débarrassent de leur lourde capote et s’enfuient dans la forêt . C’est visiblement une évasion (de quoi, on ne le saura jamais). Ils vont essayer de survivre comme les premiers hommes en mangeant des champignons et en inventant des pièges pour les lapins. Mais comme nous ne sommes plus à la préhistoire, ils trouveront bientôt un fusil… qui leur sera bien évidemment fatal… La découverte de l’arme nous vaut de très belles scènes qui avec une grande économie de moyens nous disent tout ce que les armes à feu comportent de fascination, de pouvoir de manipulation et de rapport de force. Cette première partie semble ensuite une fausse piste sans rapport avec le déroulement du film, mais qui sait ? peut être finalement pas tant que ça, au vu de la dernière scène.

On le voit, Alessandro Comodin ne fait pas dans le cinéma explicatif, c’est une nouvelle fois au spectateur à se débrouiller avec les éléments qu’il nous distille savamment.

Car en fait, après cette longue introduction atemporelle , le film s’inscrit sans le moindre doute dans la réalité d’aujourd’hui, dans un de ces villages reculés où l’élevage et la chasse constituent les principales activités des hommes. Une nouvelle étape dans le parcours de l’humanité en quelque sorte.

Comodin excelle dans cet exercice qui mêle le présent le plus actuel et les temps les plus reculés, la peur du loup étant immémoriale chez l’homme. En effet, les loups ont été ré-introduits ici il y a quelques années, comme un peu partout dans les Alpes et dans ce petit village de montagne circule toujours le récit / la légende/ le conte de la jeune fille malade venue de Paris (sic) pour se soigner au contact de la nature et qui finira par rejoindre le loup. Un loup aimant, protecteur qui deviendra mauvais à la mort de la jeune fille malade : « d’une méchanceté presque humaine » … Une histoire, nous dit le narrateur, que lui racontait sa grand-mère qui elle même la tenait de sa grand-mère. … C’est cette histoire que Comodin va habilement mettre en scène au présent.

A son arrivée au village, la jeune fille retrouve son père et prend un plaisir visible à l’accompagner dans la forêt et à conduire son tracteur. Elle est attentive et remarque une source qu’elle entreprend de dégager. Elle est grande et maigre, mais pas souffreteuse comme la jeune fille de la légende. Elle n’hésite pas à manier la pelle et la pioche. Pour ajouter au mystère, le film va se faire spéléologue, la jeune fille se glissant dans l’ouverture étroite qu’elle a mise au jour. On craint un instant qu’elle n’entre ainsi dans la tanière d’un animal sauvage, mais elle avance dans une succession de salles de plus en plus profondes que l’on entrevoit à peine dans le ballet de la lampe de poche. C’est très certainement un des moments les plus forts du film. Le sentiment du danger, de la menace potentielle ne faiblissant jamais jusqu’à ce qu’un rai de lumière naturelle apparaisse enfin. Ariane – puisque c’est son nom – se retrouve à l’air libre, face à un lac dont la rive est argileuse. En un seul plan nous avons l’eau, la terre et l’air. La jeune femme s’avance prudemment et prend plaisir à malaxer la glaise. Mais le feu viendra de la rencontre, à pas de loup justement, avec un mystérieux jeune homme surgi de nulle part ( joué par l’un de deux acteurs du début du film).

Entre traque à l’homme et traque au loup, la différence n’est pas très nette dans ce film et nous retrouvons le jeune homme en prison. Des murs blancs, des angles nets, des contrastes tranchés, tout le contraire de la forêt. Pas un recoin où se cacher. Était-ce de cette prison que ce sont échapper les premiers hommes ? On en vient tout naturellement à se poser la question.

Josiane Scoleri

 

 

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