Il fut une des victimes de la tristement célèbre « liste noire » qui au lendemain de la seconde guerre mondiale, et dans le contexte de la guerre froide voulut mettre au pas l’industrie hollywoodienne stigmatisant les artistes soupçonnés de sympathies communistes en les empêchant de travailler. Un superbe film rendant hommage à un grand scénariste qui refusa de baisser les bras … Un « biopic » très réussi , à ne pas manquer.

Après la seconde guerre mondiale , dans le contexte de la guerre froide , la commission des activités anti-Américaines installe ( dès novembre 1947 ) sous la férule du sénateur Mac Carthy une « chasse aux sorcières » visant les militants de gauche et notamment communistes ( 1 ), et Hollywood n’y a pas échappé pas, qui va voir son quotidien bouleversé par une « incitation » à la délation et à des interdictions de travail de tous ceux qui sont soupçonnés d’avoir assisté à des rassemblements , ou effectué des activités syndicales , ou ont étés en relations avec des membres du parti devenu « indésirable » . Dès lors une véritable situation de suspicion alimentée par la commission qui entraînera à des convocation et citations à comparaître de tous ceux qui dans les métiers du cinéma sont soupçonnés d’avoir eu des contacts et ( ou ) des activités jugées anti-Américaines passibles , au delà des interdictions de travail , de peines de prison. Certains persuadés du bien fondé de la « commission » n’hésitèrent pas dénoncer les prétendus coupables de trahison envers le pays , d’autres au non de la démocratie et de la liberté d’opinion résistèrent et évoquèrent les 1ers et 5èmes, amendements ( liberté d’expression et droit de ne pas témoigner contre soi-même ) de la constitution, permettant de refuser de répondre aux question du tribunal, tandis que certains cédant aux pressions et aux menaces , finirent par collaborer . Une période sombre dont Hollywood se remettra difficilement . Inscrit sur la fameuse « liste » des personnalités ( parmi lesquelles figurèrent les grands cinéastes : John Berry , Jules Dassin , Orson Welles , Joseph Losey , Herbert J. Biberman , Charles Chaplin, Jeff Corey …) , comédiens et gens de toutes les catégories de métiers considérées comme « indésirables » , Dalton Trumbo fut condamné à un an et demi de prison, et déchu de ses droits de travail …

C’est dans le contexte ci -dessus ( qui vit également les époux Rosenberg soupçonnés d’avoir livré des secrets d’état et être des espions Russes , furent exécutés ) que se déroule le récit des événements relatés par Dalton Trumbo lui-même dans sa biographie adaptée par Jay Roach ( Austin Pauwers , Mon beau père et moi …) et son scénariste , John McNamara ( remarquable travail que Trumbo aurait apprécié …) . Une biographie enrichie d’éléments et témoignages , des deux filles , Niki et Miki Trumbo, encore en vie de la famille du cinéaste ( décédé lui en 1976, sa femme en 1996 et son fils Christopher en 2011 ) . Les stigmates et les séquelles de cette période évoquées par Dalton Trumbo lui-même lors du discours ( d’une dignité et d’une intégrité exemplaire ) devant l’Académie des Arts lors de sa réhabilitation , sont énormes. Si le climat de suspicion s’atténua dans les années 1960 , certaines séquelles perdurèrent jusque dans les année 1975 pour que les réhabilitation de certains deviennent effectives … le scénariste Michael Wilson ne vit se concrétiser la sienne qu’en 1997 pour voir son nom crédité au générique … du Laurence d’Arabie de David Lean !. Si quelques films abordèrent le sujet, comme Charlie Chaplin évoquant la « paranoïa » anti-communiste dans Un Roi à New-York (1957, le film ne sera vu aux Usa qu’en 1973 et lui vaudra l’exil ) , ou, en font leur toile de fond ( Sydney Pollack dans Nos plus Belles années / 1973 , et Martin Ritt avec le titre de son film évocateur Le prête- nom / 1976 … ) . Le premier film à l’aborder directement en porte le titre significatif La Liste Noire réalisé par Irwin Winkler en 1991 , avec en tête d’affiche Robert De Niro en scénariste affrontant les même déboires que Dalton Trumbo . Adapté des mémoires du scénariste le film de Jay Roach qui en révèle le vécu et les épisodes de sa longue bataille menée contre cette « liste » inique qui a détruit des centaines de vie, période Noire de laquelle Hollywood mettra longtemps à s’en remettre . Mais qui révéla, aussi, une certaine solidarité dans la profession et permettra aux « artistes » des métiers du cinéma d’en tirer les leçons …

C’est le passionnant récit dans lequel le film nous souhaite entraîner, dans le sillage du « combat » d’un homme Dalton Trumbo , les spectateurs et cinéphiles des nouvelles générations qui n’ en ont pas connu la portée et pour qu’ils ne l’oublient pas . D’ailleurs Les frères Coen dans leur dernier film Ave César ! (2016 ) , sur les studios Hollywoodien dans les années 1950 , y font référence -à leur manière- avec cette intrigue policière et l’enquête sur l ‘enlèvement et la prise en otage , par les scénaristes revendiquant leurs droits et libertés , du célèbre Comédien ( George Clooney ) interprète de César dans la superproduction des studios , dont le tournage est menacé par leur action.
On retrouve dans le film de Jay Roach le combat que décida de mener Dalton Trumbo devenu « paria » , déterminé à travailler dans la clandestinité sous des noms d’emprunt afin de continuer à écrire de scénarios, avec le soutien de sa famille et de quelques fidèles amis . Dans le but avoué de démontrer la contre- productivité d’une « commission » inique qui n’ a fait qu’affaiblir la créativité ( en poursuivant les artistes pour de supposées opinons anti -Américaines ), en la soumettant à leur diktat et en la privant des libertés essentielles. Continuer à écrire dans l’ombre avec la complicité de certains producteurs qui acceptent le défi de le faire travailler, sa revanche de voir son travail clandestin … couronné de deux oscars ! ( pour Vacances Romaines de William Wyler /1953 , et Les Clameurs se sont tues d’Irving Rapper /1956 ) . Défiant ainsi l’establishment en sachant que la vérité finirait un jour par éclater : l’auteur inconnu des scénarios de l’ombre suscitant la curiosité, et surtout, attirant l’intérêt de certains cinéastes ou comédiens qui lui permettront de retrouver une dignité trop longtemps bafouée…

Les figures de cette « solidarité » qui dès les premiers jours fit entendre sa voix , comme celle de Gregory Peck à la radio appelant à « respecter la liberté d’opinion » ( et son triomphe avec Audrey Hepburn dans Vacances Romaines ) , ou celles des comités de soutien et des comédiens ( Humprhey Bogart, Lauren Bacall, John Huston , Willima Wyler, Groucho Marx , Gene Kelly , Sterling Hayden , Frank Sinatra…) qui feront entendre leurs voix, n’hésitant pas à s’impliquer. Les soutiens se font dès lors plus efficaces et se concrétisent par celui du comédien Kirk Douglas qui engage Trumbo pour l’écriture du scénario de Spartacus (1960) réalisé par Stanley Kubrick ; et celui du metteur en scène Otto Preminger pour l’écriture de celui d’Exodus / 1960 ( belles séquence et beaux portraits ), dont tous deux se serviront de leur célébrité pour faire pression, afin que le nom de Dalton Trumbo … soit crédité au générique , lui permettant de sortir de l’ombre et par la grande porte. Le film que Jay Roach lui consacre va au delà de l’hommage respectueux à l’homme , c’est surtout un hymne à la liberté créatrice défendue » bec et ongles » par un grand Monsieur qui est cité en exemple . Et le film servi par une mise en scène classique spectaculaire et efficace , complété par une distribution et interprétation remarquable, dont celle de Bryan Cranston ( apprécié dans la série Breaking Bad ) qui incarne Trumbo , et une conduite de récit servi par des dialogues « à la Trumbo » , tout aussi palpitante que la vie de ce grand scénariste dont la mémoire et le combat , méritaient qu’on le fasse ( re ) connaître et serve d’inspiration aux nouvelles générations de cinéastes , pour le plaisir des spectateurs, comme le souligne le comédien John Goodman : « L’histoire de Dalton Trumbo reste un modèle pour nous tous , il s’agit du parcours d’un homme qui a eu le courage de s’opposer au système . Beaucoup de vies ont été ruinées , comme la sienne et celle de sa famille, mais il a continué à se battre , et il l’a fait avec une formidable élégance et un grand sens de l’humour . il est presque impossible que la Liste noire ait pu exister ou que des gens aient pu avoir peur les uns des autres . Cela nous rappelle qu’il faut rester vigilants car une telle situation peut se reproduire n’importe quand » .

On jubile au long des séquences passionnantes qui décrivent son combat contre l’obscurantisme dont les figures phares , John Wayne ( David James Elliott ) le président de la Motion Picture alliance for the preservation of Americans ideals ( la commission chargée de veiller à « la préservation des idéaux Américains ») , John Wayne son adversaire le plus coriace qu’il défie mais qui précipitera sa chute , comme sera tout aussi coriace et efficace , cette Hedda Hopper ( Helen Mirren , géniale ) chroniqueuse ( sur CBS) avec ses « potins » et autres bruits de couloirs Hollywoodiens , se servant de son « audience » pour fustiger les « ennemis de la patrie » qui se cachent dans les studios. Tous deux en prennent d’ailleurs pour leur grade , ainsi que quelques figures ( Ronald Reagan , Robert Taylor … ) sombres de délateurs zélés . On a cité les portraits » pour » de Kirk Douglas et d’Otto Preminger et sa légendaire prestance autoritaire dont il se sert ici pour imposer le nom de Trumbo au générique de son film . Mais il y a de nombreux autres portraits passionnants de ceux qui ont croisé la vie du scénariste dont celui d’Edward G. Robinson ( Michaël Stuhlbarg ) qui permet de faire une belle description de l’évolution des rapports entre les deux hommes , dont le cinéaste se sert pour enrichir son regard sur la période et faire au travers de celle-ci , le portrait emblématique de tous ceux qui furent emportés par le tourbillon des pressions de toutes sortes, et qui ont fini y céder et trahir leurs amis et leurs cause ( comme ce fut le cas aussi d’Edward Dymtryck ou Elia Kazan …). Une trahison , dont il évoquera les terribles conséquences ( suicides , carrières brisées ) qu’elle causera à l’industrie du cinéma qui aura du mal … à évacuer les effets néfastes qui persisteront encore pendants des années .

On vous laisse aller à la découverte de ce film passionnant , réhabilitant la mémoire d’un grand monsieur qui mérite qu’on n’oublie pas son combat, et qui , à la fin de sa vie réalisa un film magnifique en forme de pamphlet contre la guerre , Johnny Got is Gun (Johnny s’en va-t-en guerre /1971) qui remporta le Grand prix du jury au Festival de Cannes . Un film-choc , bouleversant ( devenu culte ) que l’on vous conseille de découvrir en DVD , ou de ne pas le manquer lors des diffusions TV ( trop rares ces dernières années) , mais que le superbe film consacré aujourd’hui à son auteur , permettra certainement de remettre dans leurs programmes .
(Etienne Ballérini)
DALTON TRUMBO de Jay Roach – 2016 –
Avec : Bryan Cranston , Diane Lane , Helen Mirren ; John Goodman , Louis C.K, Dean O’Gorman, Michaël Stuhlbarg , Christian Berkel ….
(1) entre 1947 et 1953 , il a été estimé que près de 30 000 personnes de l’Administration Fédérale ont été l’objet d’enquête visant leurs appartenances politique dites subversives , ou d’avoir des comportements « d’immoralité sexuelle » , ou soupçonnés de pratiques homosexuelles … ou encore de consommations de drogues . Elles ont entraîné de nombreuses démissions ou sanctions. Dans le milieu du cinéma , le chiffre des « artistes » toutes métiers confondues , ayant été « écartés » de studios n’est pas connu , mais selon le cinéaste qui a énormément travaillé avec ses collaborateurs sur les archives et documents » des milliers de personnes ont été touchées par la Liste Noire d’Hollywood » … sans compter les » effets secondaires » sur la création : sujets sociaux abandonnés , laissant place aux divertissements excluant les risques de contamination subversive ( adaptations littéraires , comédies musicales et autres genres ) … pourtant Le Western et le Polar grâce à l’inventivité et « à la symbolique allusive » de la mise en scène de certains grands cinéastes , firent allusion aux « excès » du Mac Carthysme : le Johnny Guitar de Nicholas Ray , La soif de Mal d’Orson Welles ou encore Le Rodeur de Jospeh Losey ( le cinéaste qui sera poussé l’exil ) avec son personnage trouble et fascisant … dont le scénario est signé Dalton Trumbo !.