Les Balkans , la guerre et les conflits inter-ethniques qui engendrent la haine . Sur trois décennies le film raconte trois histoires d’amour contrariées par cette haine dont les séquelles perdurent . Présenté à la section Un certain Regard en Mai 2015 au Festival de Cannes , le film y a été distingué par le – mérité – prix du jury.

Le cinéaste dans la note d’intention du dossier de presse de son film ( Cliquez ici pour voir la Bande Annonce ) fait part d’une belle réflexion que nous avons eu envie de vous faire partager « Soleil de plomb est une célébration de l’altruisme et de l’Amour – ce que la nature humaine a de plus beau , mais qui peine à reprendre ses droits dans notre région . Car je ne suis sûr que d’une chose : à la fin les politiques et le nationalisme extrême ne gagnent jamais . Seul l’amour vaincra » , dit-il . Et son film inscrit tout au long de ces séquences cette quête , que la guerre et la haine inter-ethnique , ont brisée et transformée en une tragédie dont les conséquences sont restées vivaces au cours des décennies . Le point de départ et la belle idée du récit qui y inscrit – sur ces trois décennies ( 1991, 2001 et 2011 ) ces protagonistes des histoires d’amour contrariées – la très forte intention narrative qui va les impliquer dans des histoires différentes et interprétés par les deux mêmes comédiens ( Goran Markovic et Tihana Lazovic , admirables) . Comme si celà ne suffisait pas , pour offrir encore un peu plus d’ampleur à son récit , le cinéaste y ajoute des « signes » récurrents ( l’été , un lac , un chien , un cimetière …) qui traversent chacune des histoires comme une sorte de fil – rouge ( complétant celui des comédiens ) dont les signes répétitifs renvoient à la persistance de cette haine ancrée dans les coeurs, et dont les douleurs n’en finissent pas de se perpétuer – au long des décennies- comme une gangrène , dont le rayon de lumière pour s’en sortir , proposé par le cinéaste , trouve son écho dans sa note d’intention dont les trois histoires d’amour qu’il nous propose , laissent entrevoir la « faille » possible ….

Celle qui va permettre d’éteindre les feux de la haine et faire revenir à la surface cette « célébration de l’altruisme et de l’amour » ,évoquée ci-dessus . Ce n’est pas un hasard si au cœur des trois histoire s’y retrouve , ce lac comme rendez-vous des amoureux de la première histoire , et relie les deux autres , comme point possible d’une nouveau départ. Le plongeon symbolique dans son eau du premier récit qui renvoie les amants des deux camps, Jelena la croate et Ivan le serbe , au constat d’une réalité au sortir de cette douceur estivale du lac – la mise en place des barrages militaires qui vont les séparer – celui de la tragédie qui commence , qui fera dire à la grand-mère qui a vécu la seconde guerre mondiale « Hitler est revenu ! ». L’attirance de ce Lac et de son eau, qui devient dans les deux autres récits le point de retrouvailles, permettant d’éteindre ( ou éloigner … ) la haine et ouvrir la porte au possible pardon ( le très beau plan final du troisième récit ) . C’est tout l’enjeu du film que le cinéaste y inscrit,lui , comme un défi de mise en scène et en abîme . Celui, en 1991 , de Jelena et Ivan ( dont les familles ont été victimes, chacune du camp adverse ) et dont l’amour ne pourra rien contre la haine et la tragédie inexorable qui va les emporter . Celui en 2001 de Ante et Natasa qui ont perdu respectivement , père et frère dans le conflit , et dont les années passée n’ont pas fait oublier la douleur . Ante et Natasa qui vont mettre du temps à se rapprocher …et enfin, en 2011, entre Luka revenu au village pour retrouver Marija abandonnée ( et enceinte ), pour se faire pardonner son départ à la ville à cause d’ un passé resté vivace , ( encore sous tensions inter -ethniques ) qui avait rendu leur liaison difficile …

En miroir de la tragédie du premier récit en plein cœur de la haine et de la guerre dont les amants victimes sacrifiées sont sublimés en « Roméo et Juliette » par la mise en scène de Dolibor Matanic qui leur offre la dimension de la tragédie Shakespearienne, amants victimes d’une guerre, des deux camps , sans pardon. les récits des romances contrariées des deux décennies suivantes , sont construites de manière expérimentale cherchant des résonances et des « failles » qui permettraient d ‘ouvrir des « possibles » dans un contexte de haine qui perdure et les idées arrêtées des uns et (ou ) les blessures des autres ( comment oublier ses propres morts tombés sous les balles du camps adverse ? ) . La belle idée du cinéaste est de tenter d’explorer les raisons du cœur qui pourraient entr’ouvrir clés possibles , et chercher comment combattre les haines tenaces par d’autres motifs ( ou raisons ) raisons qui pourraient rénover les points de vues . Comme on renoue une relation rompue , ou comme on rénove une maison…. reconstruire pour tenter un nouveau départ . la tentative de renouer avec la femme délaissée en implorant le pardon à l’image de ce retour au pays de Luka pour n’avoir pas su affronter le regard des autres et lui avoir sacrifié son amour . A l’image aussi de La mère ( beau personnage) de Natasa dont la souffrance va trouver dans la rénovation de la maison qu’elle a du abandonner à cause de la guerre, la raison de reconstruire un présent et effacer les stigmates … en même temps que les ruines de sa maison , les stigmates d’une guerre …

Mais ce n’est pas possible pour tous , comme c’est la cas pour Natasa dont Ante venu rénover la maison familiale représente toujours l’ennemi et le camp de ceux qui ont tué son frère aimé !. Le défi du film ,c’est de relever ce défi de la haine . Comment faire tomber ( ou contourner ) l’obstacle ? … pour que la nature humaine retrouve ce qu’elle a de plus beau. La « haine de la haine » est donc inscrite dans chaque plan qui cherche la manière d’y échapper. A la répétition de celle-ci et de ses manifestations qui semblent ancrées dans les esprits comme dans les paysages , le cinéaste tente de trouver cette « faille » permettant de briser le silence , et lui oppose par exemple les mouvements qui permettent d’ ouvrir l’accès à l’autre . Cela peut passer par le silence qui refuse un nouveau conflit ( Ante reste muet face au rejet de Narasa , de la même manière que Marika à la demande de pardon de Luka ) , mais aussi par des défis inattendus comme l’illustre la magnifiques séquence où aux gestes d’Ante ponçant le bois, répond la provocation de Natasa qui le « singe » geste et bruit à l’appui . Provocation et tentaive de rompre le silence …La « faille » trouvée , la porte de l’accès à l’autre peut s’entr’ouvrir et laisser le temps panser les plaies … le plan superbe ( voir photo) d’Ante et Natasa dans l’ombre regardant la lumière de l’extérieur . Le chemin à faire peut , aussi , trouver un complice inattendu comme le chien qui montre la route à Luka … Dalibor Matanic offre même au travers de ses personnages d’amants de chacune des histoires , auxquels il donne l’opportunité de symboliser cette renaissance à la vie , les faisant revenir en fantômes « habiter » les autres histoires . Ce sont eux qui par leur présence permettent de se réveiller du cauchemar, comme le dit James Joyce « l’histoire est un cauchemar dont on essaie de se réveiller ».
Un film passionnant porté par la construction d’un récit qui ne l’est pas moins sur un sujet, la haine et le rejet de l’autre , toujours sensible . Ne manquez pas d’aller à la découverte de ce beau film….
(Etienne Ballérini)
SOLEIL DE PLOMB de Dalibor Matanic -2016-
Avec : Tihana Lazovic , Goran Markovic, Nices Ivankovic, Dado Kosic, Stipe Radoja , Tripimir Jurkic , Mira Banjac …