Premier bilan de Cinélatino, les 28e Rencontres de Toulouse, qui s’est déroulé du 11 au 20 mars, et retour sur quelques films du palmarès. Des premières œuvres.
Cinélatino, Rencontres de Toulouse s’est achevé le 20 mars. En dépit des contraintes budgétaires (voir l’entretien avec Emmanuel Deniaud, vice-président de l’Association), cette 28e édition est une réussite. Elle a attiré 50.000 participants (autour de 25 000 spectateurs sur Toulouse, soit une augmentation de 5% et 3.500 entrées scolaires) pour 148 films programmés sur 400 séances réparties sur 20 lieux de Toulouse métropole et de nombreuses animations. 80 invités (cinéastes, acteurs, actrices, producteurs, productrices) de 12 pays différents étaient présents tout au long du festival et la plate-forme professionnelle a réuni 159 professionnels (producteurs, vendeurs, programmateurs de festivals, institutions, industries techniques, équipes des films de Cinéma en Construction, Cinéma en développement).

Placé sous le patronage de la Commission nationale française pour l’UNESCO, Cinélatino a été le cadre d’un séminaire de travail de deux jours réunissant les présidents et les représentants des Centres nationaux du cinéma et Instituts de cinéma d’Amérique latine et d’Europe. Cette Rencontre de haut niveau comptait 17 dirigeants : Brésil, Chili, Colombie, Costa Rica, Cuba, Équateur, Pérou, République Dominicaine, Uruguay, Venezuela, Allemagne, Belgique, Croatie, Espagne, France, Islande, Italie, Portugal. Une première mondiale et une première initiative qui pourrait peut-être amener l’Union européenne à revoir un jour sa position sur la subvention du festival…
Du côté de la compétition, parmi les œuvres récompensées ou remarquées par les différents jurys et le public figurent plusieurs premiers longs métrages dont quatre réalisés par des femmes.
Compétition longs-métrages de fiction :
Le Grand Prix Coup de cœur a été décerné à Siembra, coréalisé par Ángela Osorio et Santiago Lozano (Colombie, Allemagne, 2015, 1h23).
Siembra coréalisé par Ángela Osorio et Santiago Lozano – Colombie
Pêcheur de la côte pacifique colombienne, Turco vit avec son fils Yosner dans un bidonville de Cali. Yosner ne collabore pas beaucoup aux affaires de la maison et il passe son temps à danser dans la rue avec d’autres jeunes. Turco voudrait retourner sur la terre que le conflit armé, qui perdure, l’a obligé à quitter. En ville, il se renferme dans son sentiment de déracinement. Après un événement dramatique, les rêves de Turco volent en éclat.
Le film associe à la fois fiction, à travers la quête du personnage principal, et un aspect documentaire en montrant la réalité socioculturelle des déplacés afro-colombiens. Un premier long-métrage tourné en noir et blanc. « Les images donnent aux corps « des textures jouant sur toutes sortes de combinaisons ». Ainsi « le noir et blanc est l’idéal. Le cinéma est une esthétique impliquée. Elle n’est pas apolitique. Le noir et blanc permet de représenter de manière digne des situations économiques compliquées pour les gens »(Ángela Osorio Rojas)
Une mention spéciale a été attribuée à Dias extraños de Juan Sebastián Quebrada (Argentine, Colombie, 2015, 1h11).
À Buenos Aires, Luna et Juan, un couple de jeunes Colombiens, vivent une relation passionnée, nourrie à la fois d’une intense complicité et d’explosions subites de rage. Au fil de soirées festives, dans lesquelles ils jouent la séduction entre eux et vis-à-vis des autres, leur lien se noue et se distend au rythme de l’engouement et de la crainte de la monotonie d’une vie à deux.
Dans une Buenos Aires cosmopolite atypique, Federica et Carlos s’aiment et se déchirent, le sentiment d’appartenance est en permanence interrogé à l’instar de la relation de couple. Une première œuvre audacieuse, un peu provocatrice, pleine d’énergie et filmée en noir et blanc elle aussi. « Les espaces urbains deviennent un décor qui, détaché de la réalité, suscite un sentiment d’étrangeté, « que les personnages peuvent occuper comme des projections d’eux-mêmes » (Juan Sebastián Quebrada).
Le Prix Fipresci (Presse cinématographique internationale) et le Rail d’Oc (Prix des cheminots) sont revenus à : Alba d’Ana Cristina Barragán (Équateur, Mexique, Grèce, 2016, 1h38)
Alba d’Ana Cristina Barragán – Equateur
Alba, 11 ans mais déjà charismatique est saisissante. Elle passe une grande partie de son temps à s’évader dans son propre univers, à l’écart du groupe de jeunes filles de son âge. Sa mère est gravement malade. Lorsqu’elle doit être hospitalisée, Alba est placée sous la garde de son père, qu’elle n’a pas vu depuis des années. La cohabitation est au départ très difficile pour elle, et sa mère lui manque. Mais cette rencontre évolue lorsqu’Alba découvre la fragilité de son père.
Avec son premier long métrage à la mise en scène épurée, la réalisatrice pose un regard juste sur la préadolescence. Dans le rôle de l’enfant introvertie, la toute jeune Macarena Arias est étonnante.
La critique française a préféré La ultima Tierra de Pablo Lamar (Paraguay, Pays-Bas, Chili, Quatar, 2016, 1h17) et lui a remis le Prix Découverte.
Un homme âgé s’occupe de sa femme mourante. Ils vivent dans un lieu isolé au milieu des collines. La femme, alitée, s’apprête à abandonner son dernier soupir.
Dans ce qui est en train de devenir un rituel, il apprend à vivre la perte et la solitude.
« Un film-expérience », presque expérimental. Pas de dialogues, plans fixes et un remarquable travail sur l’image, le son et la lumière.
Le jury du Prix Documentaire a choisi El Legado de Roberto Anjari-Rossi (Chili, Allemagne, 2015, 1h22)
El Legado de Roberto Anjari-Rossi – Chili
Dans une petite ville du sud du Chili, deux femmes, une grand-mère et sa petite fille Laura vivent sous le même toit. Laura est jeune et indépendante. Mécanicienne, elle cherche du travail. Rosa, sa grand-mère, s’est retrouvée enceinte très jeune. Elle a appris à faire face aux adversités de la vie. Elle espère que Laura ne deviendra pas une mère-célibataire comme ses camarades de lycée, des mères seules et abandonnées.
Même s’il s’agit d’un film de fin d’étude, le réalisateur trouve la bonne distance pour ne pas perturber l’intimité et la complicité de Laura et de sa grand-mère. Un double portrait à la fois sobre et plein de tendresse de deux femmes que tout oppose, en apparence.
Une mention spéciale et le Prix lycéen ont été attribués à Juanicas de Karina García Casanova (Mexique, Canada, 2015, 1h18)
Juanicas est un jeune homme souffrant de trouble bipolaire. Après plusieurs années au Mexique, il revient vivre au Québec dans la maison de sa mère, diagnostiquée elle aussi de la même maladie. Sa sœur Karina le filme pendant dix ans documentant sa descente aux enfers. Un sujet douloureux et délicat traité sans voyeurisme, avec pudeur et qui peut être perçu également comme le portrait intime d’une famille d’immigrants mexicains au Canada.
Le Prix du public « La Dépêche du Midi » récompense Jonas eo Circo sem lona de Paula Gomes (Brésil, Pays-Bas, 2015, 1h37)
Né dans une famille d’origine circassienne, Jonas, 13 ans, rêve de cirque et y consacre la presque totalité de son énergie, surtout pendant les vacances. Il va aussi à l’école ; il y est plutôt bon élève, mais s’y ennuie. Alors, il inclut les copains du quartier dans son projet de cirque à domicile. Sa maman, qui voudrait pour lui une vie plus facile que celle qu’elle eut avant de quitter le cirque, lui oppose la réplique classique : « l’école d’abord ».
« Un film qui pose avec justesse, humour et tendresse les questions de la fin de l’enfance, tout en montrant la grande beauté de la jeunesse en mouvement ».
Regards sur le Chili
Nombre de Guerra : Miguel Enriquez de Patricio Castilla – Chili
Au gré des projections et des sections cette 28e édition aura permis de voyager au Chili, dans le temps. Le Chili d’hier, grâce au Focus, avec l’évocation de deux grandes figures chiliennes. Miguel Enriquez, Secrétaire général du Mouvement de la Gauche révolutionnaire (MIR), assassiné en 1974 par la dictature de Pinochet, avec le document historique Nombre de Guerra : Miguel Enriquez de Patricio Castilla (1975), et le président Salvador Allende sujet de deux documentaires, Salvador Allende de Patricio Guzman (2004) et celui, très récent, Allende mon grand-père de Marcia Tambutti Allende (2015). Mais aussi le Chili d’aujourd’hui, livré au néolibéralisme malgré un gouvernement de centre-gauche. Dans Aqui no ha pasado nada (2015), Alejandro Fernandez Almendras s’intéresse et s’interroge sur la justice. Il s’inspire de l’histoire du fils d’un ex-sénateur d’un parti de droite pinochetiste qui, en 2013, tua un homme en conduisant en état d’ébriété. Après plus d’un an d’enquête, il a été acquitté. Le film fait écho au documentaire de José Luis Sepúlveda, Crónica de un Comité, présenté en 2015, un comité créé en janvier 2012, après l’assassinat en 2011, par un policier, d’un étudiant, Manuel Gutierrez, quand la famille a été déçue par la justice promise et le coupable libéré trois mois après. C’est un autre fait réel, vécu par Karen Atala, une juge chilienne violemment discriminée pour avoir assumé publiquement son homosexualité, qui a servi de base à l’intrigue de Rara, premier long métrage de Pepa San Martin, qui pointe du doigt le conservatisme de la société toujours régit, malgré des amendements, par la constitution de 1980 établie sous Pinochet. Enfin, avec El Legado, son film de fin d’étude, Roberto Anjari-Rossi observe au quotidien deux femmes de condition modeste, Laura et sa grand-mère, dans une petite ville du Sud du Chili, au cœur d’une société machiste.
Le Palmarès des 28e Rencontres Cinémas d’Amérique Latine
Compétition Fiction
Grand Prix Coup de cœur
Attribué par le jury composé de : Karim Aïnouz (cinéaste, Brésil), Jean-Pierre Garcia (critique et historien du cinéma, fondateur et directeur (1979- 2012) du Festival International de Cinéma d’Amiens) et Zita Morriña (programmatrice du Festival de cinéma de La Havane)
Siembra, d’Ángela Osorio et Santiago Lozano
Mention spéciale
Días extraños, de Juan Sebastián Quebrada
Prix du Public fiction « La Dépêche du Midi »
El acompañante de Pavel Giroud (Cuba – Drame, 2015, 1h44)
Prix Fipresci, Prix de la Fédération Internationale de la Presse Cinématographique
Décerné par un jury de trois journalistes internationaux, il récompense un premier film. Le membres de cette année : Pere Alberó (critique Cinéma, Espagne), Giovanni Ottone (critique Cinéma, Italie), Marilena Iliesiu (critique Cinéma, Roumanie).
Alba de Ana Cristina Barragán
Prix Découverte de la Critique française
Attribué par trois journalistes membres du Syndicat Français de la Critique de Cinéma, il récompense le meilleur premier. Le jury de cette année : Baptiste Etchegaray (journaliste, France Musique, Arte)Guillemette Odicino (journaliste, Télérama, France Inter), Alex Vicente (journaliste, El País, Les Inrockuptibles)
La última Tierra, de Pablo Lamar
Prix CCAS, Prix des Électriciens Gaziers
El acompañante de Pavel Giroud
Prix Rail d’Oc, Prix des Cheminots
Alba de Ana Cristina Barragán
Compétition Documentaire
Prix Documentaire Rencontres de Toulouse, sous l’égide des Médiathèques de Midi-Pyrénées
Cette année, le jury était composé de : Gonzalo Arijón (réalisateur, Uruguay)
Annie González (productrice, France), Florence Barthélémy (vidéothécaire, médiathèque Luc La Primaube, Aveyron), Émilie Charrier (vidéothécaire, médiathèque Empalot, Toulouse)
Jean-Baptiste Mercey (vidéothécaire, Médiathèque départementale de l’Aveyron).
El legado, de Roberto Anjari-Rossi
Mention spéciale
Juanicas, de Karina García Casanova
Prix du Public Documentaire « La Dépêche du Midi »
Jonas e o circo sem lona, de Paula Gomes
Prix Signis du Documentaire
Paciente, de Jorge Caballero (Colombie, 2015, 1h10)
Prix Lycéen du Documentaire
Juanicas, de Karina García Casanova
Compétition Court-métrage
Prix SIGNIS du court-métrage et Prix Révélation
Polski, de Rubén Rojas Cuauhtémoc (Cuba, 2015, 0h22)
Prix « Courtoujours»
Forastero, de Iván Gaona (Colombie, 2015, 0h21)
Plate-forme professionnelle
Prix cinéma en construction 29 – Prix cinéma en construction Toulouse
El invierno, d’Emiliano Torres (Argentine, France)
qui remporte également le Prix spécial Ciné+
Prix exceptionnel Mactari – Commune Image
Los Niños, de Maite Alberdi (Chili, France, Hollande)
Prix des Distributeurs et Exploitants européens
Don’t swallow My Heart, Alligator Girl !, de Felipe Bragança (Brésil, France, Pays-Bas)
Pour revenir sur les 28e Rencontres de Toulouse, rendez-vous sur le site officiel Cinélatino
(Philippe Descottes)