L’histoire se passe en juillet 1996. Je suis à Avignon, j’assiste au Cloitre des Carmes à un spectacle dont le nom m’intrigue : Bonjour Madame, comment allez-vous aujourd’hui, il fait beau, il va sans doute pleuvoir, et cetera. Je venais d’assister à mon premier « « Platel » et depuis les effets sont permanents.
Alain Platel, né en 1959 en Belgique est un chorégraphe et un metteur en scène. Il est le fondateur de Les Ballets C. de la B. C’est en 1980 qu’il commence à créer ses propres chorégraphies qui mélangent différents arts : danse, théâtre, musique, cirque. Pour ses productions il travaille tant avec des artistes professionnels qu’amateurs.
Il a également travaillé comme orthopédagogue auprès d’enfants handicapés à l’hôpital d’Armentières et s’intéresse particulièrement aux troubles psychologiques dans ses créations. Comme chorégraphe, Platel cherche des danseurs qui ont une certaine timidité même s’ils n’ont pas peur de s’exposer et de bouger et qui le font d’une manière très personnelle.
La compagnie Les Ballets C. de la B. fonctionne comme une plateforme de travail où se croisent des artistes de tous horizons. Si les propositions sont de fait très différentes, la « Platel touch » se caractérise par des frictions improbables entre danse, chant, musique, acrobatie, mais aussi entre politique, religion, culture pop, ainsi que par un engagement unique des interprètes, souvent issus de background très divers.
Je ne dirais pas que j’ai vu tous les « Platel » depuis 1996, mais, allez, disons une petite dizaine dont pas mal au TNN. Dont le savoureux « Iets op Bach », que l’on peut traduire par « Un petit truc sur Bach ». Et, dans tous les opus de Platel, je retrouve de qu’il dit dans une interview à l’Humanité, « je cherche ce qui lie les gens entre eux, pas ce qui les sépare ».
Ainsi en est-il de son nouveau spectacle, « En avant, marche ! », inspiré de la tradition des fanfares musicales. Un bon aperçu du style « populaire, éclectique, anarchique et engagé » caractéristique des Ballets C de la B.
Et la fanfare est devenue la métaphore de la vie sociale. La musique comme une métaphore de quelque chose qui dépasse l’existence anecdotique d’une fanfare. Quelque chose de beaucoup plus grand, la société peut-être, ou la vie dans sa totalité.
Ce qui me touche dans les spectacles d’Alain Platel c’est que, au-delà de l’angle d’attaque – donc, ici, la fanfare-, c’est toute une perspective de la vie en société qui est élaborée. Que du chaos initial, des initiatives individualisantes va naître une enharmonie, un vouloir-vivre en unité, une fraternité, une humanité.
L’humour est largement requis, voire le loufoque, les situations sont à la limite du débordement, y tombent généralement – et généreusement-, nous flirtons- flairons le grotesque. Il ne faut pas oublier qu’il y a –à la louche- une quarantaine d’actants sur scène et que les chorégraphies nous disent le mouvement brownien, le magma, le calme d’une mer, l’orage. La parole se voit, se lit.
Peut-être plus que dans tout autre « Platel » j’ai eu ce sentiment d’être en phase avec la culture d’outre-quiévrain* : outre la grande tradition des fanfares en Belgique, la fanfare –il y en à 91 en Belgique- comme pivot de la culture, la culture surréaliste profondément encrée en Belgique, le rire de soi, la biomécanique**, les portes larges ouvertes sur la fête, la bonne humeur qui se donne et qui se livre.
Dans un décor sobre, des chaises et un mur à fenêtres, une troupe de musiciens prend place. C’est une fanfare d’écorchés vifs mené par Wim Opbrouck – incroyable acteur .Le récit s’articule récit autour d’un personnage, musicien « avec une fleur dans la gorge » qui ne peut plus jouer des cuivres. Il se contente de deux cymbales.
Cette pièce n’arrête pas d’être inventive. La scénographie joue sur plusieurs niveaux vie, les costumes et la présence des majorettes accentuent le côté nostalgique et désuet. La fraternité, les adieux, la plaisanterie, la joie d’être ensemble..Ici c’est le tempo de la vie qui bat la mesure, et l’on se surprend souvent à rester contemplatif devant les envolées lyriques et truculentes de cette communauté d’êtres réunis pour l’amour de la musique et de la fête.
Quatre comédiens et sept musiciens issus d’une célèbre fanfare flamande se font accompagner par une harmonie municipale.
Jacques Barbarin
En avant, marche ! hélas 2 représentations, 18 et 19 mars
NTGent / les ballets C de la B
mise en scène Alain Platel & Frank Van Laecke direction musicale Steven Prengels avec Wim Opbrouck, Chris Thys, Griet Debacker, Hendrik Lebon, interprétation musicale KMV De Leiezonen et l’harmonie municipale de la ville de Nice, dramaturgie Steven Heene, Kœn Haagdorens
*L’expression Outre Quiévrain est utilisée en France comme figure de style pour désigner la Belgique. Elle fait référence à la ville frontalière belge de Quiévrain, ancien important point de passage ferroviaire entre les deux pays
**La biomécanique est l’étude et la reproduction des mécanismes qui aboutissent à un mouvement déterminé du corps. Il s’agit avant tout de la mécanique articulaire.