Après Take Shelter et Mud , le nouveau film du cinéaste poursuit l’exploration de ses thèmes favoris , et notamment celui de la filiation, ici, au cœur d’une cavale familiale dans une Amérique profonde . Un road – movie sous influence qui joue avec les codes du genre (science -fiction ) , où l’enfant aux pouvoirs surnaturel cherche sa place , entre le monde réel , rêvé et ( ou ) invisible . Imaginaire , poésie , inconnu et mystère au rendez-vous . Passionnant . ..

La scène d’ouverture de Midnight Spécial , nous entraîne d’emblée dans le mystère avec cet enfant de huit ans , Alton (Jaeden Lieberher) ) plongé dans la nuit d’une chambre , caché sous un drap entre deux lits , et agité de soubresauts d’un cauchemar, dont les rayons de lumière aveuglants sortant de ses yeux évoquent au spectateur une sorte de « possession » et une dimension surnaturelle , que les lunettes noires ( protectrices ) semblent destinées à vouloir cacher son regard du monde et des dangers qui l’entourent . Pendant ce temps les actualités T.V diffusent une annonce d’enlèvement d’enfant , Alton est-il l’enfant en question ?. Le doute est rapidement évacué par le récit car la « piste » de l’enlèvement cache une réalité bien plus complexe . En effet ce dernier enlevé par son père ( Michaël Channon, émouvant , acteur fétiche du cinéaste ) aidé par un ami policier ( John Edgerton) , l’a été afin de le soustraire à une « secte » religieuse ( nommée le Ranch) dans laquelle il vivait jusque là . Secte sous surveillance des autorités ( F.B.I , N.S.A …) dont témoigne la scène- étonnante – de l’interception de tous les membres amenés dans un gymnase , pour interrogatoire . Des autorités alertées par des messages codés secrets intégrés dans les discours du chef de la secte et qui semblent avoir une relation , avec un possible danger terroriste visant la sécurité nucléaire du Pays . Alton dont les « pouvoirs » supposés sont considérés par la secte qui le retenait comme « l’élu » devant les conduire à la découverte de cet autre monde supérieur …dont la scène d’ouverture citée ci-dessus laisse entendre qu’il est, pour l’atteindre , le « lien » ( guide ?) possible entre les deux mondes : le monde réel ( physique ) et cet autre monde , invisible ( imaginaire?) au dessus de nous…

Un monde avec lequel , La Rencontre du Troisiéme Type et de l’enfant de E.T de Steven Spileberg , est un référence revendiquée par Jeff Nichols . La situation rapidement mise en place et sans détours au long de la cavale en forme de Road- movie qui va s’ensuivre entre les poursuivants ( Secte , autorités ) et la famille d’Alton à laquelle se joindra en cours de route, la mère ( Kristen Dunst ) retrouvée du couple séparé depuis la détention de l’enfant par la secte . Une cavale qui va révéler bien des mystères sur ce « lien » invisible entretenu par Alton ( manipulé par la secte ?) et ses pouvoirs de communication entre les deux mondes, qui s’inscrivent sous la forme de ruptures de récit et de tonalités , au cœur du road-movie de la famille d’Alton , le conduisant à ce rendez-vous mystérieux , que les autorités veulent empêcher , et dont on vous laissera la surprise du magnifique final auquel il aboutira . L’échappée et la poursuite étant pour le cinéaste , le cadre ( comme celui de La Ballade Sauvage de Terrence Malick , un de ses films préférés… ) qui lui permet d’intégrer au cœur de celle-ci , sa réflexion sur les thèmes qui l’obsèdent et dont sa filmographie est habitée depuis le début ( Shotgun Stories /2007 ) . Celui d’une violence du monde de laquelle il faut chercher à se préserver et se protéger par la fuite et la quête d’un autre possible . Celui-ci passant, ici , par une émancipation dont la différence d’Alton est sans doute porteuse , et qui pourrait lui permettre de trouver sa propre voie . Quitte à ce que celle-ci se fasse , comme dans Take Shelter (2011 ) ou dans Mud (2012 ) , dans la douleur et l’angoisse , ici , pour des parents qui doivent apprendre à se résoudre à devoir couper le cordon ombilical. C’est , l’un des aspects les plus passionnants du film auquel le père et la mère d’Alton , sont confrontés . Jeff Nichols qui inscrit au cœur du chaos cette démarche lui offre une belle dimension tragique , qui , dans le contexte va permettre aux parents de trancher dans le vif , face à quelque chose qui les dépasse … le seul objectif, étant cet acte d’amour par lequel il passe , de la séparation salvatrice …

Le cinéaste n’est jamais aussi à l’aise que dans l’introspection des individus, qu’il s’agisse de comprendre leurs blessures intimes ou les mystères qui les accompagnent . Dans le registre des mystères , il y a celui qui l’obsède des rapports père -fils dont il propose encore ici une plongée au cœur de l’insondable qui s’y ajoute avec ce fils enlevé à la secte , dont il n’a pas eu la maîtrise de l’éducation et dont il va devoir comprendre l’état dans lequel il se retrouve ( autiste ou ayant des pouvoirs surnaturels? ) et pour lequel il n’y a pas d’autre issue que de laisser s’en aller… vers son véritable monde ( destin ) . La beauté par laquelle Jeff Nichols traduit ce « passage » est dans la manière dont il trouve ( ou apporte ) la réponse, par de magnifiques idées de mise en place de scènes ( ou mouvements de caméra ) qui en traduisent l’évidence . Ainsi , celle du plan décisf , cadrant et saisissant d’abord le visage du père admirant le lever du soleil , puis réunissant ce dernier et son fils dans le plan suivant et dans l’évidence, du choix qui a été fait. De la même manière que c’est en petites touches ( ou détails… ) que le personnage de l’ami policier qui aide la famille , prend forme et finit par devenir un membre à part entière de celle-ci , et assisteta impuissant à sa séparation . On relèvera encore la subtilité avec laquelle Jeff Nichols inscrit le face à face entre l’agent spécialiste « en communications » du F.B. I ( Adam Driver ) et le jeune Alton , lorsque ce dernier refuse de parler aux autorités et n’accepte de négocier qu’avec lui, dont il a compris qu’il était le seul à savoir le comprendre et ne pas le traiter en ennemi, comme il le lui prouvera par la suite…

Comme dans Take Shelter où le héros, atteint de surdité était assailli de troubles délirants , de visions ( tornades ) et de rêves de dangers et de violences contre lesquels il devait protéger sa famille , dont la mise en scène traduisait les obsessions psychologiques par une introspection à laquelle le spectaculaire ( les nuages d’étourneaux …) venait se faire le miroir du désordre de l’esprit . Ici , le spectaculaire qui offre son miroir aux troubles d’Alton et aux angoisses de ses parents, trouve dans le genre de la science -fiction et l’imaginaire spectaculaire auquel elle se réfère , les éléments qui permettent de traduire au cœur de ces scènes nocturnes l’emblématique et chaotique parcours de l’enfant et de sa famille . Ce dernier, usant ici, de ses pouvoirs surnaturels pour se protéger ( les images des écrans multiples de la NSA , les explosions de lumière , les secousses de tremblements de terre , la spectaculaire chute du satellite sur la station -service…) , afin de sortir de cette nuit qui l’enferme derrière ses lunettes noires , et pouvoir enfin regarder et affronter , serein , la lumière salvatrice…
(Etienne Ballérini )
MIDNIFGT SPECIAL de Jeff Nichols -2016- Avec : Michaël Shannon , Jaeden Lieberher , Joël Edgerton , Kristen Dunst , Adam Driver, Sam Dhepard …