Adapté du roman de Colm Toibin , le nouveau film du Cinéaste remarqué par Boy A ( 2009 ) raconte l’histoire dans les années 1950 , de la quête de liberté d’une jeune Irlandaise attirée par une vie meilleure , qui va tenter sa chance en Amérique . Mais lorsqu’un deuil familial la rappelle au pays, elle va devoir faire le choix des attaches sentimentales qui désormais la lient aux deux pays. Le pari d’un récit sensible pour une romance qui va droit au cœur …

Eilis ( Saoirse Ronan) jeune Irlandaise du comté de Wexford , d’une famille de la petite Bourgeoise provinciale moyenne , n’a pas de travail fixe malgré ses diplômes de comptabilité elle doit se contenter de petits travaux épisodiques comme celui de l’aide intermittente à l’épicerie centrale du comté . Elle souffre de ce manque de perspectives d’avenir , mais aussi de cette vie provinciale quelque peu étriquée marquée par les commérages de l’après- messe du Dimanche, et semble désireuse d’indépendance. Malgré un attachement au pays et à la famille, notamment à sa sœur aînée , Rose , avec laquelle elle est très proche. Mais sa décision est prise de changer d’atmosphère et tenter sa chance en cette période des années Cinquante où son pays s’ouvre , lui aussi à l’extérieur . La nécessité d’un choix individuel qui concorde avec celui d’une réalité historique , c’est ce qui fait le « sel » du récit et du film , qui s’enrichit à chaque instant de ces notations d’une ouverture au monde dont l’immigration et ses difficultés , est le reflet emblématique , qui va trouver son prolongement et son écho dans le vécu des situations individuelles par la tonalité romanesque qui s’y inscrit. Le désir de liberté qui l’emporte s’inscrit remarquablement, dans la scène du voyage en mer vers Brooklyn , avec cette compagne de cabine qui initie , Eilis la discrète , aux astuces ( habits , maquillage…et comment affronter le contrôle d’immigration) d’une certaine affirmation de soi nécessaire pour affronter le monde extérieur. C’est cette touche subtile de la mise en scène qui fait , la belle surprise et le prix du film , qui offre à ses personnages une forte résonance au cœur de leur quête de rêves et d’espoirs …

D’ailleurs la découverte du nouveau monde sur le quai des immigrés s’ouvre comme une porte symbolique vers un lumière à conquérir , dont la marche va permettre d’éloigner la nostalgie du mal du pays et la douleur de la séparation d’avec les siens afin d’affronter les problèmes liés à l’intégration à un nouveau pays et culture . Le classicisme , assumé , de la mise en scène et du mélodrame s’y inscrit d’autant plus habilement, qu’un contrepoint via l’humour des dialogues et complété par les ellipses du montage , viennent lui faire écho . Le personnage d’Eilis et ses émotions intimes gardées au plus profond, comme une sorte de barrière de protection qui lui permet de garder sa liberté de choix intacte , est sans doute un des éléments du récit le plus surprenant et percutant. Pour ses différents interlocuteurs , comme pour le spectateur auquel sera retardé jusqu »au dernier moment la décisions de ses choix . Comme le souligne , après son installation et adaptation à Brooklyn et sa place faite dans le nouveau pays , le retour au pays pour l’enterrement de la sœur aimée … et une mère déprimée et souffrant de la solitude , qui espère l’y retenir . Les perspectives d’un travail qu’on lui offre et un homme fortuné ( Domhnall Gleeson ) qui l’aime, est-il de nature à lui faire tourner le dos à cette liberté gagnée du côté de Brooklyn et à cet amour sincère que lui voue , l’italien Tony ( Emory Cohen ) auquel elle s’est promise ?. Dans la « dualité » du choix difficile , Eilis , va devoir y faire celui de son bonheur qui ne peut pas se permettre d’être prisonnier des compromis. Entre les deux rives sa conquête du nouveau monde passe par celle de sa liberté. Le magnifique final dans lequel elle se concrétisera ( et son clin d’oeil à la jeune passagère candidate à l’exil ) , ne laissera pas de place aux regrets , qui, portés par les conventions sociales ou guidés par les émotions, ne doivent pas dominer la raison et conduire à un choix que l’on pourrait justement regretter …

La belle réussite du film est là , dont le réalisateur dans un magnifique va-et -vient entre les deux continents et les communautés dont il décrit avec habileté , réalisme , humour et le romanesque s’y distille , pour en faire sourdre le portrait . Celui d’un pays d’immigration choisi , où Eilis retrouve au cœur de la communauté Irlandaise qui s’y est installée , à la fois la solidarité nécessaire qui lui permet de l’aider à s’intégrer et trouver logis , formation et travail . Si le poids des traditions et de l’aide communautaire, qui , via celui de l’église catholique ( le prêtre qui y veille ) y perpétue , pour Eilis , la vigilance d’un patriarcat protecteur ; auquel s’ajoute celui de la logeuse , Mme Kenoe ( Julie Walters) se substituant en la circonstance en mère protectrice au cœur de sa pension où elle a bien du mal à entretenir une certaine discipline face à ses jeunes locataires gentiment volubiles à la recherche du « boyfriend » , qui usent de stratagèmes pour désobéir. Plus discrète et disciplinée Eilis , trouve sa propre voie au cœur de cette protection bienveillante , et préfère se « lover » en douceur , dans l’anonymat de la grande ville, pour y construire son propre chemin . Et y trouver , en dehors des clichés et réflexes communautaires , cette possible âme – sœur , avec laquelle elle pourra construire sa vie. Cette âme , aura le visage du beau et jeune plombier Italien , Tony , qui a décidé de venir à cette soirée Irlandaise afin de s’ éloigner des copains de sa communauté dont il n’apprécie pas la manière de se comporter en « machos » avec les filles. Son approche absente de tout « rentre dedans », finit par séduire Eilis qui voit, peut être, la porte s’entr’ouvrir …

Dès lors le récit, via cette romance s’ ouvre, lui , à la rencontre des communautés dont les « rivalités entre ritals et Irlandais » , sont habilement mises en évidence par l’inénarrable petit frère « gaffeur » de Tony qui ne manque pas de la rappeler lors de la présentation d’Eilis à la famille Italienne pour laquelle cette dernière pour y faire bonne figure , s’est entraînée … à apprendre à rouler les spaghettis « à la cuiller » , afin de manger le plat national Italien dans les formes !. La tonalité de l’humour , comme élément permettant de se tenir à distance des conflits et se construire son propre chemin, en rejetant toutes les formes d’oppression et de conflits que peuvent générer les racismes et autres préjugés s’inscrivant dans les réflexes communautaires. Eilis et Tony, à l’évidence entendent se situer à l’extérieur de ces archaïsmes passéistes qui empêchent de s’inscrire dans l’avenir que leur propose ce nouveau monde dans lequel ils veulent s’intégrer et pouvoir y vivre en harmonie , leur bonheur . Celui-ci mis à l’épreuve , comme on l’a souligné , par le retour au pays d’Eilis , est servi par la mise en scène qui l’illustre par une belle et très soignée reconstitution d’époque agrémentée d’une bande sonore ( de chants traditionnels Irlandais et Américains ), offrant au choix d’Eilis la référence culturelle et la dimension Universelle que tout individu – de quelque pays qu’ils soit – confronté à une situation semblable peut être amené à vivre …

Et le film , est servi par deux comédiens dont la sensibilité du jeu fait mouche à chaque séquence. Emory Cohen ( Tony ) compose , un jeune mâle italien sensible à mille lieues de l’éternel « italian lover » que le cinéma propose habituellement , dont la justesse de comportement et des mots qui l’accompagne est, troublante et touchante . Et Saoirse Ronan ( Eilis) est d’un naturel qui n’a rien de « composé » ,et, à l’évidence cette Eilis que le film lui a donné l’occasion d’incarner, est une sorte de « double » qui s’est retrouvé sur sa route. Née à New-York de parents Irlandais et ayant connu elle aussi deux cultures, le personnage d’Eilis l’a profondément touchée , comme elle l’a déclaré « C’est une histoire près de mon cœur parce qu’elle parle de ma famille ( …) ils ont vécu le même type de situation même si c’était à une époque différente (…) cette expérience fut encore plus forte pour moi , parce que j’avais le sentiment d’appartenir à ces deux communauté » . Et puis , de surcroît le rôle d’Eilis qui lutte pour la conquête de son indépendance et de sa liberté , ne pouvait que lui être prédestiné , puisque son prénom « Saoirse » en gaélique… n’est autre que, « Liberté » .
(Etienne Ballérini)
BROOKLYN de John Crowley -2015-
Avec : Saoirse Ronan , d’Emory Cohen, Julie Walters, Brid Brennan , Domhnall Gleeson , Jim Broadbent …