La Guérilla en Colombie et le recrutement des enfants-soldats par les groupes armés . C’est le sujet auquel s’est attaché le jeune cinéaste colombien pour son premier long métrage qui nous entraîne dans le sillage de Maria , sa jeune héroïne . Présenté dans la section Un certain Regard, au Festival de Cannes 2015 , le film y avait touché par le réalisme et la force de sa dénonciation . A Voir …

Des les premières images on se retrouve plongés au cœur de la forêt Colombienne et d’un groupe armé où Maria ,jeune enfant -soldat, a grandi avec la guérilla . On va la suivre , et presque ne plus la quitter , dans le quotidien de la vie et des combats avec ce groupe armé qui est devenu sa famille et dont les rapports au cœur de celui-ci, et d’une hierarchie à la tête de laquelle il y a le Commandant de groupe, les gradés et les soldats qui obeïssent aux ordres . Dans ce cadre de gestion et de rapports de groupe , celle des enfants y est bien sûr soumise et confrontée aux drames intimes qui peuvent s’y jouer . Dans la mesure où ces enfants enrôlés , parfois par contrainte , se révèlent être aussi des enfants que les familles ont pu « donner » à la guérilla pour s’acquitter de leur dû ( le tribu …) ; mais aussi pour certains, fuyant les conditions de vie et de misère , ou encore ceux qui ont décidé d’ échapper à la violence de leurs parents …et trouver , la fascination des armes aidant, une incitation en forme d’échappatoire , dont le recrutement des groupes profite . En 2008 Human Rights Watch , révélait qu’il y avait en Colombie entre 8000 et 11 000 enfants dans les groupes armés et que l’armée nationale recrutait aussi des enfants , ce malgré la loi Gouvernemantale qui impose l’âge maximum d’entrée dans les forces Armées à 18 Ans . C’est pour dénoncer cet « état des lieux » que José Luis Rugeles , après un longue enquête ( de trois ans) et un travail, en contact avec les différentes associations humanitaires, a décidé de s’attaque à ce fléau qui gangrène le pays…

Pour le rendre à la fois crédible et éfficace il lui fallait aussi trouver le point de vue éfficace qui puisse le transmettre au spectateur par une approche de réalisation, et lui permette de l’impliquer et d’en ressentir toute l’ampleur de la tragédie vécue au quotidien . Le personnage central de Maria est donc devenu pour lui , celui dont le nécessaire choix lui permettait de « montrer la violence et ses traces au travers du regard d’une jeune fille , future mère , qui lutte pour la vie . Le regard de Maria qui observe les dégâts provoqués par la guerre nous semblait être le meilleur moyen pour montrer cette vie d’enfant -soldat dans la Jungle ( …) j’avais besoin de voir la guerre a travers ses yeux , d’être avec elle, de sentir ses émotions », explique José Luis Rugeles , dans l’entretien du dossier de presse du Film. . Un choix de réalisme qui , aussi , lui permettait de s’éloigner du « classique film de guerre et d’action ». Dès lors le choix fait , celui du traitement réaliste impliquant à la fois un choix de « captation » caméra ( le systéme Movi ) permettant de le transcrire dans le mouvement , restituant les difficultés physiques et les dangers « nous avons tourné dans un endroit où la vioelnce sévit encore actuellement et où il a fallu s’adapter et inter-agir avec la population locale » , explique encore le cinéaste-cinéphile qui revendique l’influence de ses aînés, et qui, pour la circonstance s’est inspiré « du film Requiem pour un massacre d’Elen Klimov , qui dépeint la transformation et l’endurcicement d’un jeune garçon russe durant la seconde guerre mondiale ».

La Maria ( Keren Torres , émouvante ) de Rugeles , est dont le miroir féminin de ce jeune soldat Russe. Maria, jeune fille qui a grandi dans ce contexte de guérilla y vit aussi cette transformation au quotidien , peut-être avec un ressentie et un vécu encore plus difficile au cœur d’un groupe d’hommes où en tant que femme elle va être confrontée a des « rapports » de forces qui la relèguent à une dépendance et ( ou ) à une soumission encore plus perceptible et parfois humiliante. Comme l’illustre cet événement majeur qui va changer son quotidien , lorsqu’elle découvre qu’elle enceinte et que pour garder son enfant , il va lui falloir cacher sa grossesse. Au coeur du vécu de Maria , le film aborde la grave problème des conditions de ces enfants- soldats embrigadés et souvent victimes de violences sexuelles dont celles infligées aux filles enrôlées sont très fréquentes et constituent un sujet préocupant pour les associations humanitaires qui dénoncent souvent les cas dont elles ont eu connaissance par les témoignages des jeunes filles qui les ont subies. D’autant que la loi de la guérilla « oblige » les femmes à avorter afin « d’être entièrement dévouées à la cause » !. Maria qui va se retrouver dans cette situation et doit cacher sa grossesse espérant trouver une solution . Les auteurs nous invitant à la suivre dans ce difficile « choix » et parcours au long duquel, la naissance en secret de son enfant va compliquer encore la donne confrontée au possible rejet du groupe . Elle finira ( avec la complicité du commandant du camp ) par trouver la solution de le mettre en sécurité dans une refuge de la ville voisine . Mais le danger persiste, car le refuge en question est au cœur d’une zone de conflit intense …

La force du film est de nous plonger au cœur de l’intensité dramatique d’un quotidien vécu au sein du groupe et vu par les « yeux » de Maria. On y perçoit à la fois le soulagement que peuvent représenter les rares moments de répit , mais on y vit aussi les conflits ou les inimitiés des uns et des autres, ou le poids de la hierarchie mais aussi ceux des rapports de forces qui s’inscrivent en marge , et dont la situation particulière de Maria est révélatrice, lorsqu’elle doit cacher sa grossesse , puis son enfant né dans l’illégalité de la « loi de la guérilla ». La peur, mais aussi la force que Maria réussit à acquérir au travers de ce vécu a quelque chose de profondément émouvant . Karen Torres qui l’interprète est prodigieuse dans ce qu’elle transcrit de cette détresse à l’écran dont elle a su puiser dans son passé ( elle est , ex- fille de guérillero ) et son propre vécu. D’ailleurs la force du film est dans le ( bon ) choix du réalisateur d’avoir su s’appuyer sur un précieux travail avec ses comédiens , qu’ils soient proféssionnels, ou amateurs recrutés sur place , conduit par sa conviction de « s’inspirer de l’expérience humaine » , comme étant meilleure façon de la transmettre qui est de le faire , en respectant le vécu , le ressenti et l’intime , des nombreux témoignages recueillis. L’authenticité qui fait mouche est dès lors au rendez-vous . Et la profondeur humaine des personnages fait le prix du film . Au delà de celle de Maria , on pourra y apprécier celle des enfants recrutés sur place dont le cinéaste a choisi de préserver, l’authenticité dans leur jeu « il était important qu’ils puissent comprendre et ressentir leur personnage, au lieu d’apprendre leur texte par cœur », dit-il .

Dès lors , éclate à l’écran la présence de beaux personnages qui se détachent au cœur du groupe , comme celui de Byron ( Anderson Gomez ) porté par une force silencieuse inébranlable, ou celui de Maurizio ( Erik Ruiz ) dont la vulnérabilité est perceptible , comme la touchante fragilité de Yuldor ( Carlos Clavijo ) l’enfant qui sait aussi jouer de son intelligence , sans oublier le rôle important du commandant ( Fabio Velasco ) . De la même manière que le cinéaste sait aussi nous entraîner au cœur de l’action , de la jungle et des dangers d’une nature qu’il faut dompter , et avec laquelle il faut savoir vivre et se protéger « durant toutes ces semaines de tournage nous avons voyagé de toutes les manière possibles : longues marches , canoés , tracteurs, chevaux mobylettes et minibus chiva … nous étions comme des guérilleros marchant d’un point à l’autre faisant, face à toutes les embûches » , et puis, la retranscription des affrontements avec le même souci de réalisme et d’authenticité , dans un cadre dont il lui a fallu composer avec les dangers d’un conflit et d’une violence proche , présente et bien réelle . C’est peut-être d’ailleurs cet imperceptible présence de ce « danger » si proche , qui a imprégné les images de son film et en font fait la force de son impact.
(Etienne Ballérini )
ALIAS MARIA de José Luis Rugeles-2015-
Avec : Karen Torres ( Maria ) ,Carlos Clavijo ( Maurizio ) , Erik Ruiz ( Yuldor ) , Anderson Gomez ( Byron ) , Julio Pachon ( Le Docteur ) , Fabio Velasco ( le commandant )