La nuit cauchemardesque d’un homme marqué par la banalité de son existence. Un regard satirique et sombre sur l’uniformité d’un certain mode de vie amplifié par la drôlerie d’une dérision lucide et désenchantée, par le scénariste de Dans la Peau de John Malkovitch de Spike Jonze, aidé ici , par Duke Jonhson. Une animation réaliste, en animation stop- motion , qui l’habille admirablement. Lion d’Argent à la Mostra de Venise 2015 et candidat aux Oscars …

D’emblée le spectateur est familiarisé avec un univers dont on retrouve la « patte » et l’originalité du scénariste des films de Spike Jonze , mais aussi Michel Gondry ( Human Nature / 2001, et Eternal Sunshine of the Spotless Mind/ 2004 ) ou George Clooney ( Un Homme dangereux / 2002 ) . Passé à la réalisation avec Synecdoche, New-York (2008 ) dans lequel le principe de la mise en abyme ( le décor dans le décor… ) autour d’un homme qui met en scène sa propre vie dans un décor de théâtre et , dans celui-ci , l’acteur qui l’interprète y crée à son tour le décor de la sienne. On retrouve retrouve ce principe dans Anomalisa au titre déjà évocateur où d’emblée le spectateur désorienté est mis en présence de personnages aux silhouettes « uniformisées » dans un cadre symbolisant l’uniformisation du monde qui les entoure . Le trouble crée , renvoie à celui vécu par les personnages masculins et féminins dont la même ressemblance des traits comme celle des voix qui ont les même tonalités , et dont seulement les habits portés qui les distinguent définissent leur identité sexuelle. De la même manière que le décor qui les entoure à la fois réaliste et stylisé laisse percevoir cette même uniformité du monde dans lequel ils évoluent ( sont piégés ?) comme des marionnettes que l’on manipule. Mais peut-être pas, autant que celà … et c’est toute la force du film qui se projette dans celle du quotidien du personnage du conférencier de Michaël Stone , dans cette ville de L’Ohio où ce spécialiste du « service clientèle en entreprise « , est très attendu par un parterre de commerciaux pour y exposer les vertus d’un sytéme ( hot-line ) de communication emblématique de la mondialisation Capitaliste moderne…

Un Homme ( Michaël l Stone ) dont, dans un plan-clé , on voit une partie du visage tout à coup se détacher , le remettre d’un revers de main en place. Un plan qui inscrit tout à coup au coeur du récit et dans l’esprit du spectateur , le malaise comme un signe de fracture dans cette uniformité existentielle , jusque là acceptée par ce dernier qui en était resté prisonnier . Comme le confirme ce coup de fil à la famille révélant la distance incommensurable qui a fini par s’installer, à la fois dans son couple et dans la cellule familiale censée être le reflet d’un bonheur et d’une réussite ( l’Américan way of life ) , dont le conférencier qu’il est, véhicule le modéle idéologique . Dans le décor de cet hôtel luxueux où il passe la nuit avant la conférence du lendemain , la mise en abyme qui est au centre de l’oeuvre du cinéaste, est dès lors prête à s’y décliner avec une logique implacable, rendue encore un peu plus éfficace par le réalisme stylisé ( du choix de récit et de mise en scène ) qui habille ses personnages de synthèse d’une humanité déboussolée , dont il deviennent les tragiques pantins désarticulés. Dès lors, le miroir ( le décor dans le décor ) qu’ils renvoient à cette réalité , offre , à la dimension de la mise en abyme , celle d’un cataclysme dont les envolées lyriques et oniriques , voire absurdes ou surréalsites ( les multiples situations dans lesquelles Michaël se retrouve ), renvoient à un dialogue dont les mots et les codes de la normalité se fracturent à leur tour , par leur double -sens révélé de la caricature satitique qui y fait mouche … d’autant plus éfficace que ces pantins normalisés et supposés sans âme , finissent par en avoir une. Comme l’illustre la révolte de Michaël confronté à sa solitude et son mal-être, et qui disjoncte ( sa fuite éperdue dans les couloirs de l’hôtel …) , révélatrice par dson désir ( charnel ) de s’extraire d ‘une réalité qui lui deveint insupportable …

Naviguant dès lors , d’un bord à l’autre de ce monde qui lui renvoie , par son uniformité citée plus haut ses signes et ses figures …il va se retrouver confronté à d’autres échos ( téléphoniques ) qui vont lui offrir une possible porte de sortie à laquelle il va tenter de se raccrocher le désir aidant , les calmants et les drogues , ne suffisant plus . Cherchant par exemple à faire revenir vers lui – sans succès- une ancienne aventure féminine recontrée quelques années plus tôt dans cette même ville . Puis , le miracle d’une rencontre au bar de l’hôtel de deux « groupies » , dont la maladresse et la fragilité de l’une – Lisa – va lui permettre de le libèrer de ses angoisses. Une rencontre et un échange inhabituel qui va se concrétiser dans une liaison érotique , leur ouvrant un espoir qui pourrait leur permettre de se détourner de ce monde dont la rumeur ( le beau travail sur la bande son ) de sa marche en avant , se fait de plus en plus oppréssante et insupportable . Renvoyanat à cet espoir qui s’inscrivait déjà dans Eternel Sunshine of Spotless Mind , comme une sorte de miracle de l’amour permettant de retrouver dans les recoins de la mémoire, cette humanité perdue . Une opportunité de « renaissance » qui permettrait de se soustraire à l’inéluctable de cette solitude mortifère qui le fait chanceler vers la folie . Une quête dont Charlie Kaufman dans ses pièces et ses films , tente de renvoyer au loin les fantômes d’une évolution humaine ( le Darwinisme) qui hante ses récits . Mais est-ce possible ?… on vous laisse le suspense et le plaisir de la découverte de ce qu’Amonalisa , sa nouvelle déclinaison fantasmée , vous réserve aujourd’hui…

On vous dira, en tout cas, notre plaisir renouvelé de se laisser entraîner – une fois encore – au cœur d’un récit qui , investi des formes nouvelles ( la stop motion ) de l’animation ( signée aussi John Driscoll ) et des figurines ( fabriquées par Caroline Castelic ) , lui permettant de décliner ses obsessions, en les habillant d’une autre dimension les rendant peut-être encore plus angoissantes et sombres -où la folie et la lucidité d’un cerveau en pleine tempête se télescopent- pour tenter de sortir de l’enfer . L’habileté du cinéaste c’est de nous y plonger , et nous offrir, au cœur de la dérive, les possibles ( la victoire de la vie sur la mort..) du Radeau de la Méduse …y inscrivant au cœur de la mise en scène et en abyme, les signes ( invisibles ) et les pistes ( la chanson , l’objet ramené de son voyage et ) des possibles.
(Etienne Ballérini )
ANOMALISA de Charlie Kaufman et Duke Johnson -2015-
Avec les voix (en version originale ) de : David Tewlis ( Michaël ) , Jennifer Jason Leigh ( Lisa ) et Tom Noonan ( toutes les autres voix) ….
[…] violemment Avec Juliette Binoche, François Civil, Nicole Garcia, Ciné+Emotion à 18h45 – Anomalisa de Duke Johnson, Charlie Kaufman (Animation – 2016 – 1h30). Michael Stone, mari, père et […]