Pour son nouveau film le cinéaste Israélien revient , vingt ans après, sur l’assassinat du premier Ministre Yitzhak Rabin le 4 Novembre 1995. Mêlant images d’archives et reconstitution, le cinéaste analyse avec le recul les conséquences de cet acte commis par un extrémiste de droite, opposant au processus de Paix Israélo-Palestinien dont Rabin ( Prix Nobel de la Paix, avec Shimon Peres et Yasser Arafat ) avait été porteur concrétisé par les accords d’Oslo, qui divisa la société Israélienne d’alors . Un film passionnant dont l’éclairage sur les événements tragiques , renvoie aux montées nationalistes et aux extrémismes d’hier, un écho à celles d’aujourd’hui …

Le film débute sur un entretien avec un proche et bras droit du premier ministre, qui, après avoir donné son sentiment sur la situation très tendue d’alors qui vit naître un climat nauséabond -agrémenté d’injures et de menaces de mort envers celui , ancien militaire devenu pacifiste et s’attacha à promouvoir un processus de paix Israélo-Palestinin, pour mettre fin au conflit – suite aux prises de positions des politiques de droite avec le Likoud et Benyamin Netanyahu et de certains Rabins religieux , opposés au processus , entraînant le retrait des territoires occupés. Cet homme qui décrit un Premier ministre détermin faisant front face aux insultes , puis qui à la question qui lui est posée « le processus de paix aurait-il ou aboutir ? » , répond :« oui » sans hésiter . Cut . Des images d’hélicoptère sous de nombreux angles nous montrent ensuite la foule amassée place des Rois d’Israel , venue soutenir et écouter Rabin , extrait de discours et bain de foule, lorsque trois détonations éclatent touchant le premier ministre, confusion , évacuation à l’hôpital … et quelques heures plus tard après de vaines tentatives , l’annonce de sa mort. Son meurtrier, un étudiant juif religieux d’extrême- droite, Yigal Amir ( Yoge Yefet ) . Le film – qui a nécessité un travail de recherche de deux ans , accumulant archives du cinéaste ( qui a l’époque rencontré et filmé Rabin à plusieurs reprises ) et de documents officiels auquels il a eu accès, notamment ceux des audiences la commission d’enquête Shamgar qui fut nommée pour élucider les circonstances de l’assassinat – alterne documents et scènes de reconstitution. Construit en chapitres et questionnements qui cherchent à donner à comprendre une accumulations de faits , qui a conduit au drame…

Amos Gitaï précise d’ailleurs dans le dossier de presse « notre film est totalement factuel : il est basé sur des documents existants . Pour chaque dialogue il existe des documents attestant des mots véritablement prononcés. Nous avons épluché nombre de documents de la période précédant le meurtre ainsi que les mois qui ont suivi. Il était difficile de passer à côté des attaques et accusations très violentes dont Rabin a fait l’objet, d’hommes politiques et de figures de la vie publique. La difficulté a été de trouver le bon équilibre entre reconstitution et images d’archives (…) mon but n’était pas de créer un culte autour de la personnalité de Rabin (…) , Rabin avait un réelle aura , j’ai pensé qu’il serait intéressant de construire le film autour de son absence , comme autour d’un trou noir (…) aujourd’hui en Israël nous sommes quotidiennement confrontés à la violence . Je ne pense pas qu’il soit bon d’ériger l’histoire en mythe . Je préfère mettre en évidence les éléments qui ont mené à l’assassinat d’Yitzhak Rabin, et à l’anéantissement de tout espoir de paix » , explique le cinéaste. Construit donc dans cette perspective , le film illustre et donne à comprendre avec force détails, le climat de haine qui a suivi les accords d’Oslo , construisant selon les mots même du cinéaste « une commission d’enquête cinématographique », destinée à faire contre-poids à celle de la commission d’enquête étatique chargée d’éluder seulement les manquements à la sécurité, lors du meeting dont l’assasinat ( filmé par un journaliste indépendant , Roni Kempler ) , des audiences donnent à voir et entendre les nombreux témoignages et intérrogatoires, dont celui du meurtrier de Rabin …

La choc de la construction du film qui alterne , habilement reconstitution et images d’archives, nous plongeant au cœur du contexte qui a conduit à l’assassinat , est un des atouts du film qui permet d’offrir au spectateur un véritable éclairage sur le climat de haine et de montée du nationalisme . A cet égard au delà de la force des documents d’archive , discours et ( ou ) scènes de reconstitution , le montage qui y inscrit les éléments palpables d’une tension qui ne peut que conduire à l’inévitable , est assez exceptionnel . Au delà des virulentes manifestations , le film dissèque la portée des discours haineux qui y ont conduit . A l’image de ceux de Benyamin Netanyahu ( aujourd’hui au pourvoir ) et dont la responsabilité n’est pas , loin de là, éludée . Tout comme celle de la droite parlementaire, et plus encore , celle de l’extrême- droite et de cette faction ( aile droite du sionisme ) à laquelle le meurtrier appartenait ( ce dernier évoquant les textes sacrés pour expliquer son geste), sûr d’être du bon côté et destiné à être la main vengeresse qui porterait le coup fatal au « diable » accusé de participer à la destruction du peuple Juif. A cet égard les scènes relatant son interrogatoire par la commission d’enquête sont glaçantes dans ce qu’elles révèlent d’une forme de froide radicalisation extrême. De la même manière que le sont celles relatant les multiples réunions , qui en disent long , des Rabins extrémistes en appelant , au sursaut et au meurtre du traître ( comparé à Adolph Hitler!) qui a renie l’intérêt de son peuple . Et enfin les scènes des colons galvanisés par tous ces discours , faisant le coup de poing et refusant d’évacuer les territoires Palestiniens …

Puis , on suit le décryptage du travail de la commission d’enquête , réunie en Novembre 1995 , destinée à élucider les circonstances de l’assassinat et les éventuels manquements au dispositifs de sécurité mis en place par les différents services ( secrets, de police ou des forces spéciales ), ainsi qu’à évaluer la rapidité de l’évacuation à l’hôpital et des soins apportés à Rabin. Eclairage tout aussi significatif dans ce que révèlent les Procès- Verbaux. Notamment en ce qui concerne les liens entretenus entre l’agent- double, Avishai Raviv avec certaines personnalités de l’extrême- droite. Puis , sur les manquements à la sécurité sur place dont les témoiganges font état que quasiment n’importe qui pouvait avoir accès à l’espace officiel, près de la scène . Le meurtrier lui- même explique qu’il y a eu accès sans difficulté , et a pu ainsi accomplir son geste !. De la même manière que les défaillances sur le système d’évacuation prévu vers l’hôpital en cas d’incident qui a été beaucoup trop long … et qu’à l’hôpital où personne n’avait été prévenu, c’est le chauffeur ( Tome Sisley ) d’Yitzhak Rabin, qui lui- même , a du alerter le personnel et demander un brancard . Et autre moment significatif , celui de la juriste qui fait son rapport à la commission d’enquête demandant ( en vain …) compte tenu des règlements internationaux qui ont étés bafoués , qu’il soit intenté un procès aux Israéliens qui s’en sont rendus coupables. Le malaise est entier , et les images finales des entretiens inédits , qui montrent Leah la veuve de Rabin , digne , refusant la vengeance contre le meurtrier sont bouleversantes , de même que celles un peu plus tôt , de Shimon Peres .

Elles le sont d’autant plus qu’Amos Gitaï , en décortiquant le processus de haine qui n’a pas « laissé la chance à la paix » ( titre d’un documentaire en quatre épisodes qu’il a réalisé en 1994 ) a fini par déstabiliser tout le moyen-orient et n’a fait qu’aggraver la situation et les tensions , au long des années qui ont suivi . Le combat et la vision de Rabin a-t-elle encore une chance de renaître un jour ? . Le final pessimiste ( les affiches dans la rue aux slogans nauséabonds ) et amer ( absence d’un succésseur digne) , du film qui s’inscrit en miroir de son décryptage, et renvoie au constat qu’il en fait de la montée des nationalismes et extrémismes qui n’ont cessé , depuis dans son pays … comme dans le monde, de se radicaliser et de générer un terrorisme de plus en plus meurtrier , ne laissent pas beaucoup de place en effet, à l’optimisme et à l’espoir . Amos Gitaï dont les films ( son premier film , la Maison / 1980 , qui fut interdit en Israêl , racontait déjà le quotidien en souffrance des Palestiniens et Israéliens de Jérusalem ) , n’ont cessé , depuis plus de 40 ans de carrière, de porter l’espoir en dénonçant la haine et le rejet de l’autre , continue à le faire avec ce dernier film redonnant vie à cet espoir porté par Yitzhak Rabin qui lui semble plus que jamais nécéssaire de raviver » de l’anénatissement », comme il le dit dans les propos cités ci-dessus.
( Etienne Ballérini )
LE DERNIER JOUR D’YITZHAK RABIN d’Amos Gitaï- 2015-
Avec : Hitzhak Hiskiya, Pini Mittelman, Tomer Sisley, Michaël WarshaviakEinat Wiseman , Yoge Yefet …