Dans la grande ville de Beijing, au cœur du miracle économique et une croissance urbaine démesurée et spéculative, des milliers de personnes déplacées, vivent dans les sous -sols. Autour d’un groupe de personnages, le cinéaste chinois dont c’est le premier film explore en forme de chronique et avec une belle acuité , une certaine misère Urbaine qui s’en fait l’écho. Un joli premier film sensible, remarqué au Festival de Venise 2015…
La ville de Beijing est une mégalopole démesurée de Plus de 23 Millions d’habitants où sont venus vivre des milliers de personnes déplacées par les multiples conséquences du Boom économique qui a conduit des millions de personnes à quitter et à désertér certaines régions et notamment les campagnes. Une sorte de tragédie dans un pays où le lien à la terre qui est aussi le lieu où sont enterrés les ancêtres est un élément très fort , encore amplifié par les conditions insalubres d’une vie misérable dans lesquelles ils se retrouvent désormais contraints de survivre . Soumis aux multiples humiliations d’une misère et d’une corruption qu’ils ne cessent de subir , comme l’illustrent les personnages du récit , dont le cinéaste nous invite à suivre les destinées auxquelles il offre la dimension d’une fiction aux accents documentaires qui renvoie le miroir métaphorique élargi à tous ceux qui « dans le monde entier », vivent les mêmes destinées . Mais la belle idée du film, et son habileté , au delà du constat de la tragédie vécue , c’est de nous mettre en présence de personnages aux destinées blessées qui refusent de se soumettre à la fatalité , et qui trouvent dans les petits gestes des rapports quotidiens qui se tissent où naît cette solidarité qui leur permet de relever la tête, et en même temps, va leur insuffler la force et le courage de continuer à croire en eux, et dans leurs rêves .

C’est au cœur de celui-ci que le cinéaste nous invite à suivre plus précisément trois destinées qui s’y inscrivent . Comme celle du Jeune Yong Le ( Luo Wenjie ) qui pour gagner sa vie récupère des meubles usagés dans les maisons abandonnées et ( ou ) expropriées , pour les vendre . Ou celle de la jeune fille , Xiao Yun (Zing Ze) danseuse dans un bar et qui caresse le rêve de pouvoir travailler dans un bureau . Tous deux vivent dans ces sous-sols insalubres et rêvent donc d’en sortir . De la même manière que Jin (Zhao Fuyu ) qui vit dans un quartier de la ville qui va être détruit pour laisser place à des constructions modernes destinées à la Bourgeoisie aisée , et qui, en attendant d’être exproprié va chercher à tirer le meilleur prix de sa maison. Autour de ces destinées au cœur d’une ville tentaculaire, le cinéaste qui a été le co-scénariste de Tsaï Ming Liang ( pour Les Chiens errants) , brosse le portrait deux deux générations ( la jeune , et celle plus ancienne arrachée à sa maison ) ,d’une classe sociale désormais sacrifiée à la modernisation spéculative , qui les relègue en citoyens de seconde zone condamnés à cette vie souterraine , sorte d’antichambre de l’effacement et de l’oubli dans lequel ils se retrouvent précipités , condamnés à vivre dans les sous-sols…comme des rats !. Une séquence magnifique du point de vue cinématographique , en traduit emblématiquement tout la force , lorsqu’ une forte pluie inondant les sous sols les oblige à sortir précipitamment en pleine nuit dans la rue au dessus de leur tête afin de garder , au moins , leurs pieds au sec . Comme des rats qui sortiraient des égouts. La scène est très forte qui fait écho au destin quotidien d’une population souterraine ( que l’on surnomme , là bas :« les errants de Beijing » ) , qui vit cachée et dans la honte , et à qui Les Lumières de la ville ( Chaplin ) , les habitudes et le quotidien des privilégiés du monde Capitaliste , sont refusées.

Superbe séquence qui fait écho au quotidien des rêves : celui de la maison au bord du lac ( de Yun) , celui de Xiao la danseuse de bar, et de Yong le récupérateur de meubles usagés qui, lui , symboliquement se retrouvera après un accident les yeux bandés , comme s’il ne voulait plus voir ce monde du dehors et l’horreur quotidienne dans laquelle il est contraint de survivre. La mise en scène de Pengfeï Song, qui les accompagne toute en nuances et petites notations par son rythme lent et contemplatif qui semble les embrasser dans son cocon avec une belle empathie , pour les laisser y distiller leurs rêves et ces petits gestes parfois maladroits mais toujours solidaires du quotidien . Il y laisse sourdre aussi les maladresses et les douleurs intimes et retenues , ou encore , l’humour comme thérapie et ces élans du cœur sublimés en ébauche romantique entre Yong et Xiao . De magnifiques moments où la mise en scène quasi contemplative s’inscrit en phase avec ses personnages semblant les envelopper de sa protection. En contrepoint elle donne à voir le constat sombre d’une société qui les broie et dans laquelle l’indignation de Jin ,qui refuse de céder au chantage sur sa maison ne peut que se muer en résignation , celle, dont les larmes de sa femme renvoient la réalité d’une rêve Chinois dont ils sont exclus.
En ce sens, le film de Pengfei Song , par son choix d’une mise en scène , portée par une superbe photographie, toute en suggestions ( qui fait penser au cinéma d’Elia Suleiman , dont il est un admirateur ) où cohabitent réalisme et imaginaire , s’inscrit avec ses tonalités propres dans le constat porté par les nombreux cinéastes Chinois contemporains ( Jia Zhang-Ké, etc …) pointant les ravages faits sur les populations par une modernisation mal maîtrisée et gangrènée par la corruption qui multiple , misère sociale et Urbaine . Un premier film qui ne manque ni de qualités , ni d’ambition …
(Etienne Ballérini)
BEIJING STORIES de Penfei – 2015- Sélection Mostra de Venise 2015-
Avec : Ying Ze, Luo Wenjie , Zhao Fuyu , Li Xiaohui …