L’église Saint-Jacques-le-Majeur (JESUS), un bel exemple d’édifice religieux baroque primitif au cœur du Vieux-Nice
Ami lecteur, vous connaissez tout l’intérêt que je porte au Vieux-Nice et aujourd’hui, je voudrais vous faire partager mon admiration pour une église particulière, je veux parler de celle de Saint-Jacques-le-Majeur plus communément appelé le Jesus ou Jesù en niçois (avec accent grave sur le u). Elle est d’autant plus intéressante qu’il s’agit de la première église baroque de Nice, la dernière étant la chapelle de la Sainte-Croix (Pénitents Blancs) rénovée en baroque tardif en 1767.
La construction de ce sanctuaire a débuté en 1612, dans la rue Droite (rue «directe», de la porte « marine » au sud, vers la porte « pairolière », au nord), par une première église, modeste, «la Chiesetta», dédiée au Saint-Nom-de-Jésus et à Saint-Just. Elle était située un peu au nord de l’actuel édifice qui, commencé en 1642, fut achevé totalement à la fin du XVIIe siècle. La construction a débuté par la partie ouest (la porte actuelle), s’est poursuivie vers l’est en remontant vers le choeur, qui fut terminé en 1696. L’architecte de ce bâtiment est sans nul doute Jean-André Guibert, architecte et ingénieur militaire né et décédé à Nice (vers 1609 -10 avril 1684). Il y a trop de similitudes entre le Jésus, l’Escarène et Sainte-Réparate pour en douter. En 1802, elle devient paroisse en remplacement de Saint-Jacques et en prend la titulature d’où la dédicace du cartouche ornant la façade. Elle est classée Monument Historique depuis octobre 1971.
L’aspect extérieur: L’église s’ouvre sur une placette, anciennement place Neuve, aujourd’hui place du Jésus. L’appellation «Jeuse» pour la rue du Jésus, autrefois utilisée, n’a pas été conservée. Les vieux niçois l’appelaient pourtant ainsi entre eux. La façade initiale n’était pas spécialement décorée à l’origine mais le fut dans le goût baroque en 1825 (comme d’autres églises du voisinage au cours du XIXe siècle), tout en présentant des caractéristiques néo-classiques principalement dans l’encadrement des fenêtres. L’architecte Aycart en fut le maître d’oeuvre. On y voit ainsi une serlienne (de Sebastiano Serlio, architecte de la Renaissance italienne, (1475-1554). Il s’agit d’un groupement de trois baies dont la centrale est couverte d’un arc en plein cintre, les deux baies latérales étant couvertes d’un linteau. Cette disposition rappelle celle des arcs romains antiques. Toujours en façade, deux niches décoratives présentent deux figures allégoriques, avec une ancre à gauche et une croix à droite (l’Espérance et la Foi). Le clocher (42m de hauteur) est construit en briques apparentes, à la façon piémontaise. Il est couvert d’un toit en forme de chapeau de gendarme recouvert de tuiles colorées et vernissées à la mode génoise. Il n’est bien visible que de la rue de la Croix voisine ou très furtivement depuis la rue du Jésus tout près de l’entrée de l’église dont l’accès se fait grâce à un perron de quelques marches, cas unique dans la vieille ville.
L’aspect intérieur: Le plan de l’édifice ne ressemble que de loin au Jésus de Rome. Le souci principal de l’architecte était de créer un lieu de culte compatible avec la Réforme catholique, laquelle souhaitait des églises claires, dégagées, permettant de suivre les différentes cérémonies en tout point du sanctuaire. C’était un des critères du baroque. L’éclairage est dispensé par des baies situées au dessus de l’entablement (corniche séparant l’espace divin en haut de l’espace terrestre en bas), diffusant une lumière exclusivement blanche ou dorée. Au XIXe siècle, des errements esthétiques regrettables ont conduit à garnir ces baies de vitraux sulpiciens ce qui a bien contribué à assombrir les lieux. Des chapelles latérales peu profondes sont juste tolérées, mais il ne peut y avoir de déambulatoire comme dans les édifices gothiques. Toute l’attention de l’assistance doit être concentrée sur l’autel principal, en particulier au moment de la consécration du pain et du vin. Notons un autre effet propre au baroque: de la porte d’entrée au choeur, le sol est en légère pente ascendante, et le visiteur a la sensation de «monter» ainsi à l’autel, c’est-à-dire vers Dieu.
Le plan de l’édifice est simple: la nef des fidèles est rectangulaire, comme le choeur d’ailleurs, et leur jonction est réalisée par un arc de triomphe portant les allégories de la Foi et de la Charité, un Christ en gloire et une invocation latine. On se démarque ici des courbes et contre-courbes des plus audacieuses voire des plus acrobatiques présentes dans d’autres édifices baroques, plus tardifs, comme la chapelle de la Miséricorde (Pénitents Noirs) pour ne citer que celle-ci.
Sous l’entablement, on remarque sur la frise la présence d’une myriade d’angelots (on en dénombre 160!) sculptés ou peints, messagers célestes, semblant, à l’arrivée du visiteur, se figer, comme surpris par cette intrusion dans ce lieu saint.
Cette église de jésuites ne comporte par ailleurs qu’assez peu de témoignages de la présence de ces religieux peu estimés par le pouvoir central piémontais qui n’appréciait pas leur côté inquisiteur. Un bref pontifical du pape Clément XIV supprima l’ordre dans le monde entier en 1773. A Nice, il fut expulsé en 1774, et leur collège devint Collège Royal. L’ordre ne fut rétabli qu’en 1814, par Pie VII, mais les jésuites ne revinrent pas dans « leur » église de Nice. La voûte de la nef ne fut décorée qu’au début du XIXe siècle, sans doute par le peintre niçois Hercule Trachel. Y figurent plusieurs épisodes de la vie de Saint-Jacques-le-Majeur en compagnie du Christ. Sur la tribune, l’orgue Vegessi-Bossi, au buffet néo-gothique, a toujours sa tuyauterie datant de 1893. Il n’est plus en service et devrait être restauré.
Les fonts baptismaux: Ils sont situés tout de suite à droite en entrant dans le sanctuaire. Ils furent placés ici en 1802 lorsque l’église devint paroissiale. La vasque est ornée d’une statue de saint Jean-Baptiste, et l’ensemble est surmonté d’une effigie de pélican nourrissant ses petits, symbole par excellence du Christ qui se donne en sacrifice pour la Rédemption du monde. Disposé devant cet édifice, le bénitier principal daté de 1526 qui doit provenir de l’église de l’Annonciation. Il porte les armes des BARRAL et sur son pourtour une inscription rappelle qu’il fut décoré sur demande de Pierre BARRAL, frère carme.
Les chapelles latérales sud: On trouve (à droite en entrant) la chapelle du Sacré-Coeur de Jésus et du Coeur-Immaculé de Marie: ce thème est représenté dans le tableau central. Le culte du Sacré-Coeur de Jésus (tableau de droite peint par E.Costa) fut institué et répandu au XVIIe siècle par Sainte Marguerite-Marie Alacoque, religieuse de l’ordre de la Visitation, suite à une série de visions à Paray-le Monial. Elle fut canonisée en 1920. Puis, le Pape a chargé tout spécialement la Compagnie de Jésus de répandre dans l’Eglise universelle le culte du Sacré-Coeur en réponse au Jansénisme qui «oubliait» l’amour de Dieu pour les hommes. A gauche un autre tableau représente La Sainte Famille.
– La chapelle suivante est dédiée à la Madone des Sept-Douleurs. Sous l’autel dépourvu de son antependium, on voit un gisant du Christ et la Vierge au cœur percé d’un poignard. On retrouve ce thème à l’église de l’Annonciation-Sainte-Rita. Le mobilier liturgique de cette chapelle est complété par une statue de Saint-Joseph et une reproduction émouvante du visage du Saint-Suaire.
– La troisième chapelle est dédiée à Saint-Louis-de-Gonzague et à Saint-Honoré évêque. Le tableau central représente «La communion de Saint-Honoré», un épisode remarquable de la vie du saint qui, au moment de communier, vit le Christ lui-même lui donner l’hostie, le pain consacré. Toujours le même thème en réponse au jansénisme. Rien d’étonnant alors qu’il soit devenu le patron des boulangers et pâtissiers!

La chaire de prédication: Elle est appuyée contre un pilier latéral droit et, de sa balustrade, jaillit un bras vêtu de noir, tenant une croix. Cette mise en scène typiquement baroque permettait au prédicateur de galvaniser les fidèles par sa parole et ses gestes tout en ayant la croix brandie en permanence devant l’assistance. On retrouve cet élément décoratif à la chapelle du Saint-Suaire (Pénitents Rouges). Rappelons au passage que la chaire de prédication n’est plus utilisée depuis l’apparition de la sonorisation dans les églises (micros, amplificateurs, haut-parleurs) dans les années 1960.
Le choeur: Il est délimité par une balustrade polygonale et est orné d’un autel de marbre surmonté d’un beau crucifix. Un pélican figure sur la porte du tabernacle. Le grand tableau central représente «Jésus guérissant le paralytique». A droite, un autre tableau :«Ste Elisabeth de Hongrie entourée de deux Pénitentes grises». La sainte est représentée faisant l’aumône.
Sa présence ici n’est pas incongrue car la confrérie des Humiliées de Sainte Elisabeth de Hongrie posséda un moment un modeste oratoire contigu à l’église. Les grises s’agrègeront par la suite aux Pénitents Blancs (1787).
A gauche une autre œuvre picturale: «Les âmes du Purgatoire», thème cher à la Réforme catholique. Derrière l’autel, on trouve les anciennes stalles des pères jésuites. Face au choeur, dans l’allée centrale, une trappe en marbre commande l’accès aux caveaux souterrains.
La sacristie: Son vestibule est orné d’une «Mort de Saint Joseph» (XVIIe siècle) et à droite s’ouvre une porte menant à l’ancien cloître. Le décor de la sacristie est éminemment baroque. Elle est meublée de stalles provenant de l’ancienne église saint Jacques (aujourd’hui Annonciation-Ste Rita), mobilier transféré ici en 1806. On y remarque aussi des portes sculptées. Des armoires abritent le trésor de l’église (pièces d’argenterie, habits sacerdotaux). Aux murs sont accrochés divers portraits de saints jésuites. De cette sacristie, il est possible d’accéder à l’étage au lieu de culte initial des jésuites, la « chiesetta », chapelle utilisée actuellement par les adeptes de Padre Pio et par la communauté copte de Nice dont le prêtre se déplace de Lyon pour célébrer le culte.

Les chapelles latérales nord: La chapelle de la Madone du Rosaire servait aux dévotions de la confrérie du même nom. La statue centrale représente bien sûr sa patronne. A droite, un tableau: «La Madone donnant le Rosaire à Saint Dominique et à Sainte Catherine de Sienne». A gauche, un autre tableau «L’adoration de l’Enfant Jésus» par deux saints jésuites (Saint Ignace-de-Loyola et Saint François-Xavier). Ce sont les rares témoins de la présence des jésuites ici autrefois.
– La chapelle de Saint Michel est assez petite et peu décorée. Par son tableau central, elle est dédiée à Saint Michel Archange écrasant le démon. A la voûte et sur l’antependium de l’autel on retrouve le thème de l’ancre qui symbolise l’espérance toujours présente au cœur des chrétiens.
– La chapelle des Saints Crépin et Crépinien était la chapelle corporative des cordonniers et bourreliers. Il existait autrefois au boulevard Risso un magasin à l’enseigne de «Cuirs et crépins», situé à l’époque devant le Marché aux Puces bien connu des anciens niçois. Crépin et Crépinien sont les saints patrons des métiers du cuir, martyrisés vers 285. Le tableau central porte un témoignage très documenté sur l’activité de cette corporation. On peut observer les deux saints en plein travail, se servant de leurs outils (tranchoirs, alènes, formes…etc.) Les tableaux de droite et de gauche décrivent les étapes de leur douloureux supplice. A droite, une statue de Saint Expedit, légionnaire romain, martyr en 303 sous Dioclétien, invoqué autrefois dans les cas d’affaires difficiles, qu’il faut régler dans l’urgence. Son culte est passé de mode de nos jours.
Le petit bénitier: Il a son pourtour usé par le frottement des mains de générations de dévots. On y remarque aussi des armoiries, en particulier celles des Grimaldi (losanges gravés).
Le groupe processionnel: Daté du XIXe siècle, il reprend le tableau disposé à droite de l’autel de la Madone du Rosaire. On voit en arrière-plan un chien portant un flambeau dans sa gueule, attribut de Saint Dominique, le chef charismatique des dominicains.
Le mot de la fin: Pour conclure, un très beau monument qui aurait pourtant bien besoin d’une restauration en profondeur. Je vous engage à le visiter, amis lecteurs, vous ne serez pas déçus.
Sachez également que la chapelle des Pénitents Bleus, 5, Place Garibaldi est ouverte au public tous les mardis a.m. de 14h30 à 17h, tout au long de l’année.Vous y serez accueillis par une sympathique équipe dont votre serviteur qui s’efforcera de répondre à toutes vos interrogations y compris celles se rapportant au Jesus!
Yann Duvivier
Sources: – «Vieux Nice, Guide historique et architectural» par Hervé Barelli (Collection Equilibre/1997).
– «Baroque niçois et monégasque» par Georges Barbier et Dominique Foussard (Picard/1988).
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