Après Le Nom des Gens (2010) et Télé Gaucho (2012 ) , le cinéaste nous propose un Road movie initiatique en forme de seconde chance, autour d’un personnage qui a raté sa vie et recherche le bout du tunnel. Adapté du Roman de Jonathan Coe, le récit mêle avec bonheur souvenirs d’enfance, critique sociale , humour, errance, et quête de soi et de l’autre …

Un homme s’installe pour la première fois sur son siège d’avion en première classe et commence à débiter sa vie à son voisin de passager qui ne peut arrêter le flot de paroles et finit par avoir un malaise !. Ce passager prolixe c’est Monsieur Sim ( Jean-Pierre Bacri, épatant ) en période dépressive qui a perdu à la fois ses amis , sa femme et son travail. Monsieur Sim comme pour se donner un but encore suspendu en l’air et à la vie sur son siège d’avion , s’en va retrouver son père dans le sud de l’Italie. Mais le cœur n’y est pas , c’est à peine s’il va échanger quelques mots avec son père , et le repli sur soi fait surface. Monsieur Sim est persuadé qu’il n’est plus personne… jusqu’à ce qu’une proposition inattendue de travail vienne le secouer , le sortir de sa torpeur et lui redonner un peu d’espoir. S’investissant à fond dans son nouveau job de vendeur représentant d’une nouvelle marque de Brosses de dents destinées à révolutionner « l’hygiène bucco – dentaire », le revoilà parti la fleur au fusil sillonner les routes de France dans sa jolie voiture de fonction hybride équipée de GPS , prêt à (se ) prouver qu’il est à la hauteur et à se retrouver sur la plus haute marche du podium du meilleur vendeur. Destination vers le sud de la France secteur qui lui a été attribué , on va voir ce que l’on va voir !. Et le Road movie qui commence va nous révéler quelques bonnes surprises et rencontres ( avec les futurs clients ) sur le chemin des écoliers dans lequel Monsieur Sim nous entraîne , avec ses souvenirs en bandoulière qui lui reviennent en mémoire … dont son odyssée sur les routes de France finit par faire écho à celle de ce navigateur solitaire Britannique des années 1960 , dépressif lui aussi , qui s’était lancé le défi de monter sur le podium …

C’est la belle idée du récit et du film que d’inscrire en parallèle les deux défis de ces deux individus qui tels des Don Quichotte modernes s’investissent dans des « combats » perdus d’avance dans une société moderne à laquelle ils se retrouvent confrontés aux paramètres d’un certain fonctionnement économique dans lequel ils ne se retrouvent pas … et qui va les conduire à trouver des « parades » pour tenter d’y échapper . Des « ouvertures » vers lesquelles ils vont se précipiter au risque de se perdre peut-être encore plus , mais qui constituent une manière de forcer son propre destin : « Sim annonce a qui veut l’entendre qu’il est en pleine dépression , comme s’il disait « j’ai adoré ce que j’ai mangé ce midi ». Il a une vraie candeur et une franchise qui me bouleversent . Par ailleurs il y a une vraie évolution dans le roman de Jonathan Coe qui commence dans un registre de comédie sociale pour parvenir à une dimension plus métaphysique. C’est un roman sur le désir de fuite, la tentation de Venise. On a tous envie de s’évader , de quitter la civilisation pour aller vers des contrées désertes . D’être confronté au vide , à la nature , à son destin », explique le cinéaste dans le dossier de presse . Et cette idée d’approchée partagée avec l’auteur du roman à suscité son «désir de cinéma » dans lequel son récit nous entraîne, via la belle rencontre de Sim avec le personnage de Samuel ( Mathieu Amalric) qui, détectant l’état de solitude de Sim , lui offre comme possible bouée de sauvetage et d’espoir , l’histoire de la dérive en mer de ce navigateur Donald Crowhurst qui ne peut que lui renvoyer le miroir de la sienne… et susciter sa réaction.

Le « fil rouge » que constitue les deux « dérives » tenu tout au long du récit jusqu’à la scène finale ( l’épave du bateau ) , tisse un lien d’autant plus efficace qu’il retrace la vraie histoire du navigateur ( les images d’archives de la BBC ) , construisant et proposant dès lors un parallèle assez étonnant , offrant à la fois une ampleur dramatique très forte aux deux parcours , dont les « raisons » qui expliquent les conséquences de leur « défis » à la vie et à la société , prennent dès lors une toute autre dimension. C’est ce qui selon nous s’ inscrit en filigrane au coeur du récit , et tout en nuances saupoudrées d’humour et de nostalgie , sur le sens a donner à sa vie . Une vie qui n’a cessé de lui échapper à l’image de ses aventures amoureuses d’hier et d’aujourd’hui , ou à celles de sa vie familiale qui s’est liquéfiée au fil du temps ( son ex- femme , sa fille.. ) , comme l’a été également celle de son parcours de travail qui a fini par le mettre sur la touche… jusqu’à ce que se présente cette nouvelle opportunité lui permettant de se remettre en selle …

La seconde belle idée du film, c’est de nous proposer sur le chemin de Sim de belles rencontres et des personnages à la fois hauts en couleurs qui renvoient un bel écho d’humanité à une société du repli sur soi , et ( ou ) de la « sur-communication » publicitaire , se révèlant être une double piège : à la fois rassurant et anxiogène .
Et Sim ne manque pas se se laisser prendre à celui de la toile qui est tissée , le lui renvoyant par tous ses attraits . Le GPS qui devient un compagnon de voyage avec qui Sim dialogue, mais aussi se dispute avec et à qui il fait perdre le sens de l’orientation ! ( belle scène) . Sim qui se focalise sur ses « habitudes » pour retrouver les marques repères ( produits , hôtels , restaurants …) qui rassurent , mais qui sont « source d’uniformité et d’angoisse » . Et qui se tourne alors vers ses souvenirs d’enfance et d’adolescence pour y trouver quelques réponses . Y défilent son jeune père , Jacques ( Vincent Lacoste ) et son ami , Francis (Félix Moati ) le poète-rêveur anarchiste , puis , ses amis et rêves d’adolescent avec Lino ( Victor Belmondo ) et la belle Luigia ( Lucile Krier ) dont il est secrètement amoureux . Des Flahs-Backs qui apportent un éclairage nouveau a ce personnage taciturne et solitaire qui se cache derrière un débit de parole « mortel » . Et que viennent compléter ces jolis personnages, dont Michel Leclerc a le secret ( souvenez-vous de Le nom des Gens / 2010 ) , sortes de « bonnes fées » qui viennent s’ajouter à celui de Samuel . Comme celui de la belle Luigia son amie d’adolescence désormais casée et mariée ( Valéria Golino ) , ou encore son ex- femme , Caroline ( Isabelle Gélinas) qui , toutes deux ont gardé à son égard une certaine bienveillance , prêtes à lui permettre de sortir la tête de l’eau . Comme l’illustre , aussi , le personnage de Poppy( Vimala Pons ) qui, elle , lui ouvre l’espoir et lui tend la main, en le mettant en contact avec Samuel …
Ils offrent la belle tonalité au film servi par une distribution en parfaite osmose et un beau travail à l’image ( et ses espaces) de Guillaume Desfontaines , complété par celui de la bande-son musicale en délicatesse elle aussi , signée Vincent Delerm. On vous invite à y goûter…
(Etienne Ballérini)
LA VIE TRES PRIVEE DE MONSIEUR SIM de Michel Leclerc-2015-
Avec : Jean-Pierre Bacri, Mathieu Amalric, Valéria Golino , Isabelle Gélinas, Vimala Pons , Lucie Krier , Vincent Lacoste, Félix Moati….