C’est un épisode de la guerre froide qu’illustre le cinéaste, après son Lincoln , qui explore ici un épisode plus récent de l’histoire Américaine. Et qui revient aussi , après Munich et La Liste de Schindler en Allemagne, théâtre de cette autre tragédie de l’histoire que fut la construction du mur de Berlin symbole de la tension entre l’Est et l’Ouest dont témoignent les échanges sur ce pont du titre. La maestria de sa mise en scène qui marie divertissement, réflexion sociale et politique , au cœur de la fresque Historique et du film d’espionnage, fait mouche. Un grand Spielberg.

Dans un appartement assez modeste, un homme assis devant une toile et un miroir dans lequel se reflète son visage dont il peint les détails. Un peu plus tard dans la rue , à la lumière du jour, le même homme face à une nouvelle toile peint un paysage et se penche vers sa boîte à couleurs où est caché un microfilm. En deux séquences quasi muettes , Steven Spielberg installe un personnage dont on va découvrir la double activité qui va déclencher aussitôt l’attirail d’une intervention policière des services secrets Américains . Arrêté et accusé d’être un espion au service de l’Urss , il va être traduit devant un tribunal . Aussitôt , se déchaîne la « paranoia » Anti-Communiste dans l’Amérique de l’année 1957 qui a déjà fait exécuter trois ans auparavant les époux Rosenberg, accusés d’avoir fourni des secrets d’état à l’ennemi Soviétique. Mais la démocratie Américaine qui veut montrer au monde qu’elle est équitable, via ses service secrets et d’état, va permettre à l’accusé d’être défendu par un avocat. C’est à Jim Donovan ( Tom Hanks , dans ce qui est sans doute son meilleur, et plus beau rôle ) spécialisé dans les assurances et qui n’y est pas préparé , que la tâche va revenir. Mais ce dernier s’y coltine et va même , prendre les choses au sérieux « titillé » par les réflexions du président du tribunal laissant entendre que la sentence pour lui ne fait aucun doute. Donovan refuse de se faire à l »idée d’une procès dont l’issue est décidée d’avance , considérant qu’il s’agit de la mise en scène d’ un « déni de démocratie ».

Commence alors une première partie délicate pour notre avocat devant faire face à tout un contexte qui va tenter de le déstabiliser et cherche à faire de lui « le traitre » qui va défendre cet ennemi de la patrie qui mérite la peine de Mort ! . Face aux multiples pressions ( de la presse , de l’opinion publique , des instances judiciaires…) auxquelles s’ajoutent -celles- professionnelles concernant son cabinet d’assurances qui pourrait en souffrir , et celles sa famille qui est montrée du doigt et qui a peur . Jim tient bon. Mais voilà qu’une autre affaire vient encore compliquer un peu plus les choses : l’avion d’un pilote-espion Américain envoyé au dessus de l’Urss est abattu et le pilote est fait prisonnier . La tension qui monte encore un peu plus donne à penser que l’on est proche d’un conflit inévitable. Et Steven Spielberg en profite pour brosser un portrait de l’Amérique profonde ce cette période là , multipliant les exemples de scènes de tensions et de manifestations violences qui se déchainent . La maison de Jim visée par des jets de pierre et même des tirs d’armes à feu , doit être protégée . En même temps que l’on prépare l’opinion publique à un possible guerre nucléaire . Le cinéaste glisse à ce sujet dans le récit ses souvenirs personnels . Il y a celui de l’échange en questions dont le père du cinéaste lui a raconté avoir réellement participé à un échange de ce type , lors de la guerre froide . Et puis le souvenir du cinéaste -enfant, concernant les exercices que l’on apprenait à l’école aux élèves pour se protéger en ces circonstances , illustré par cette belle scène de jim rentrant à sa demeure trouvant son fils qui a préparé la maison ( salle de bain et baignoire comprise!) à la protection maximum conseillée!. Le décalage de l’humour qui s’inscrit dans les séquences et ce réflexe de protection du fils de Jim, renvoie à celui dont Stanley Kurbrick habillait, la folie paranoïaque de son Docteur Folamour...

Et Spielberg , comme son héros avocat , ne va pas s’arrêter là lorsque l’affaire du pilote de l’avion abattu , va permettre à Jim de démasquer au cœur du jeu de dupes qui s’est installé entre lui et ses interlocuteurs , la réalité des enjeux qui sont désormais au cœur de l’affaire dont il va devenir le meneur des négociations . En effet, la connaissance du dossier et de l’homme qu’est Rudolf Abel ( Mark Rylance , Magistral ) dont il s’est évertué , contre tous, à défendre l’intégrité va être un atout dans les négociations dont les autorités Américaines ne peuvent pas se passer pour faire aboutir l’échange d’espions avec l’Urss . Seule solution qui permette de ne pas basculer dans l’inévitable !. Et la belle idée du film, c’est d’opposer à ses détracteurs qui seront obligés de la reconnaître, l’intégrité de Donovan. Intégrité et grandeur morale de Donovan qui ne cesse d’en appeler aux valeurs et aux convictions qui doivent guider l’homme dans son quotidien de citoyen . Cette Honnêteté et cette même conviction et intégrité qui fait aussi que Rudolf , n’est pas le traître ( à ses valeurs , à son pays ) villipendié , et qui le rend respectable . Le face à face Donovan / Rudolf , est un des moments forts du film, via le portrait que Steven Spielberg fait de ces deux hommes que tout devrait séparer et qui tout simplement remplis d’une belle et profonde humanité , vont affronter l’adversité . Qu’est l’homme pris au piège des intérêts de statégie politique et des relations internationales ? . Steven Spielberg ne fait pas de ses espions des super- héros de cinéma , il en fait des héros ordinaires dont les convictions ne les empêchent pas de douter … ou de se résoudre au constat : « est-ce que cela aiderait ? », ne cesse de dire Rudolf pour chasser la peur ( celle du procès qui peut le conduire à la chaise électrique , puis , celle du sort qui pourrait lui être réservé après l’échange et son retour en Russie …) , lorsque Donovan envisage telle ou telle solution pour tenter de le sortir de l’impasse .

La mise en scène est toute au service du récit et organise tout aussi bien le suspense ( de l’échange) que l’intensité dramatique qui participe à la paranoïa anti-Communiste ou celle du débat d’idées et des stratégies qui opposent l’avocat Donovan aux autorités , y compris lorsqu’elles se servent de lui pour mener à bien des négociations dont ils cherchent à vouloir tenir les ficelles. Habilement Steven Spielberg y intégre même , lorsque la situation et les négociations se compliquent – avec cet étudiant Américain arrêté par les Allemands de l’Est qui imposent leur point de vue en rivalité avec les Russes , et voudraient peser eux aussi dans les négociation. Dans cet exercice , les tentatives de duperie hypocrites et les préssions de chaque camp , vont se heurter à l’infaillible conviction d’un Donovan fin stratège qui ne cède pas d’un pouce, et qui , à l’issue du succès de sa mission , sera renouvelé par les autorités du contre-espionnage de son pays pour mener d’autres « échanges » du même type. Steven Spielberg , avec les frères Coen à l’écriture du scénario, offrent à cette empoignade sous tension de paranoïa et de guerre froide, une dimension étonnante saupoudrée d’une belle ironie ( le manteau volé à Donovan dans un Berlin sous la neige coupé en deux par le mur , l’habileté toute en nuances de Donovan à jouer des rivalités… ) qui s’inscrit souvent , en miroir de la gravité. A la stratégie politique les auteurs opposent, le joli choix de la stratégie du récit qui lui fait écho et qui multiplie les pistes et les points de vues que les deux camps se renvoient ( le beu jeu de miroirs ) dans un duel des rapports de forces dont chacun veut sortir vainqueur . Belle idée qui inscrit dans une Berlin coupé en deux par le mur ( superbe travail de reconstitution ) , et ce pont de Glienicke qui a servi à la plupart des échanges à l’époque . La double réalité d’une constat dont Donovan est le témoin privilégié : celui d’une négociation aboutissant à un échange presque irréel ( la scène du pont sous les sunlights dans la nuit ) et sepctaculaire , et celui d’une autre réalité dont il découvre et mesure la dimension humaine, d’une tragédie quotidienne qui se joue dans l’ombre des négociations , celle des hommes et des femmes tentant de franchir le mur exposés au balles meurtrières…

Le courage du négociateur et celui des personnes qui bravent la peur et se font rattraper par la mort au bout d’un fusil qui refuse de leur accorder le choix de la liberté . Et celui d’autres hommes : le pilote de l’avion , l’étudiant Américain victime collatérale de la construction du mur , l’espion Russe …tous prisonniers ( et potentielles victimes…) d’enjeux , qu’ils ne maîtrisent pas. Le film de Steven Spielberg manie , ici comme jamais , ce cinéma populaire qu’il affectionne , y insufflant cette dynamique de récit , de dramaturgie ( servi par la musqiue discrète de Thomas Newman) et de suspense qui fait mouche en même temps qu’elle sensibilise le spectateur à la réflexion sur des sujets ( la morale , la démocratie , l’honnêteté , l’intégrité…) importants , et trop souvent dévoyés . Efficace , du grand cinéma tout court …
LE PONT DES ESPIONS de Steve Spielberg -2015-
Avec : Tom Hanks , Mark Rylance, Scott Shepherd, Amy Ryan , Sébastian Koch, Alan Alda, Wes Mc Gee …