Le nouveau film du cinéaste présenté en Compétition au Festival de Cannes 2015 , fait écho à un deuil personnel : le décès de sa mère. Distanciation et recul par rapport à une douleur personnelle au cœur d’une mise en scène simple, pudique et toute en nuances sur la mort à l’oeuvre , puis , la douleur de la perte en même temps que sur le nécessaire sursaut vers l’autre pour surmonter l’onde de choc et le chaos de la vie et la ramener à soi. Après Le magnifique La Chambre du fils , ici, le cri de douleur explore via la transmission ( morts / vivants ) et la solidarité , le chemin de la résilience …

Comment exorciser la douleur de la perte ?, Nanni Moretti s’est posé la question , comme il le déclare dans le dossier de presse « C’est comme si je me parlais à moi – même , j’ai toujours pensé qu’avec le temps je m’habituerais à puiser au plus profond de moi…mais au contraire plus j’avance, plus je continue ainsi , plus le malaise augmente », dit-il. Et, afin d’éloigner le malaise qui pouvait surgir en se mettant au centre de l’intrigue comme il l’avait fait pour évoquer sa maladie ( Journal Intime / 1994 ), il a choisi ici , de se mettre en retrait derrière le personnage du frère , observateur de la douleur de sa sœur Margherita cinéaste de renom, confrontée en plein tournage , à l’agonie de sa mère ( Giulia Lazzarini ) . Alors , voilà donc Marghérita ( Margherita Buy , merveilleuse et bouleversante ), réalisatrice en plein tournage dont les questionnements sur son métier d’artiste se retrouvent confrontés à des problèmes privés ( maladie de sa mère , mais aussi les rapports conflictuels avec son mari et sa fille en crise d’adolescence ) qui vont interférer. Offrant à la tonalité du récit ses diversités , où, la dérision et la comédie qui participe aux aléas d’un tournage et aux interrogations sur la créativité et l’engagement artistique, qui font écho à la gravité et à l’approche de la maladie, de la mort et du deuil à faire.

Dans La Chambre du Fils (2010, Palme d’or ) Nanni Moretti avait déjà abordé le sujet, mais ici l’approche que nous en offre le cinéaste , apporte une dimension nouvelle tentant d’explorer au delà de l’effondrement dans la douleur qui fragilise Margherita , le cheminement nécessaire qui va lui permette de la surmonter. La première belle idée du film , c’est de montrer ce lent processus en marche qui va la pousser à refaire le chemin vers les proches qu’elle a négligés et ( ou ) écartés , faisant passer sa vie professionnelle en priorité. Mais la donne changée qui la fragilise et la dévitalise de ses forces , va modifier son rapport aux autres et l’oblige à faire les nécessaires remises en questions pour mettre fin à son cauchemar où les souvenirs affleurent et ne font qu’anticiper le deuil et la perte pour la plonger dans le désespoir. Pour l’aider à mettre de l’ordre dans le chaos de son chagrin , il y a aussi les comportements des proches qui vont la mettre sur la voie : le frère , Giocanni ( Nanni Moretti ) omniprésent et qui anticipe tout pour la soutenir, le mari mis à l’écart qui revient ( la scène de la conférence de presse ) , la fille de retour du séjour au ski qui découvre une grand-mère mourante , mais restée enseignante jusqu’au bout de sa vie… et qui va aider sa petite- fille ( Beatrice Mancini ) à faire ses devoirs . Belle leçon de transmission et donc de vie qui doit continuer.
Les séquences qui décrivent la lente et irrémédiable évolution de la maladie vers l’inéluctable et tout ce que la famille et les proches tentent pour offrir leur amour à l’être cher et l’accompagner sont traitées à la fois avec pudeur et justesse et sont bouleversantes . Mêlant rêves , souvenirs et réalité, comme l’illustre le magnifique avant- dernier plan final , qui, après la tragédie de la perte nous fait témoin des derniers mots de la mère qui disant « à demain », laissant la place au plan final de sa fille, Margherita . Désormais le deuil , est fait. Reste le souvenir de l’être cher et aimé .

Nanni Moretti , lui oppose l’écho que lui renvoie le tournage du film et ses aléas chaotiques avec une Margherita qui n’arriva pas à s’y consacrer perturbée par la maladie de sa mère et par le comédien principal , Barry ( John Turturro , irrésistible en star qui se la joue !) ingérable, qui menace de saboter le film . Nanni Moretti qui aime bien fustiger le milieu du cinéma , s’amuse et y va de quelques réflexions bien senties sur les questionnements et états d’âmes d’artistes engagés . Mais surtout, c’est ce va -et – vient entre intime et vie professionnelle qui constitue , alors , la seconde belle idée du film déjà explorée dans Le Caïman ( 2006 ) , mais qui prend ici une nouvelle dimension dans son approche, où le cinéma , la réalité et le rêve font s’entrechoquer les états d’âme de Margherita dans un beau miroir -reflet . A l’image de la superbe séquence portée par une chanson de Léonard Cohen , où Margherita se rendant au cinéma ( voir Les Ailes du désir de Wim Wenders ) longe une file d’attente et croise sur son chemin , les fantômes de sa mère, de son frère …et celui de la jeune femme qu’elle fut jadis . Le mélodrame et la vie , faisant écho à celui évoqué plus haut du tournage du film et son sujet sur la vie et la lutte syndicale d’ouvriers contre leur patron… Chaos au cœur duquel, les doutes de la réalisatrice sur son travail s’y glissent , tandis que la Star Américaine y fait son numéro s’immisçant dans le travail de Margherita , ignorant le drame personnel qu’elle vit . Mais qui va finir lorsqu’il le découvre , par montrer son vrai visage, révélant aussi ses propres blessures … se muant en clown magnifique ( la belle scène où il anime le dernier jour de tournage) , apportant sa contribution au nécessaire retour à la vie de Margherita .
En mariant drame et comédie , Nanni Moretti fait coup double dans les deux tonalités pour nous offrir un superbe film rempli d’une belle humanité et d’espoir . L’émotion qui le sous -tend a quelque chose d’indiciblement déchirant. Ne le manquez surtout pas …
( Etienne Ballérini )
MIA MADRE ( ma Mère ) de Nanni Morettit -2015-
Avec : Margherita Buy, John Turturro , Giulia Lazzarini , Nanni Moretti….
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