Le cinéaste Neerlandais aime bien alterner les genres et les registres de ses films , au Thriller métaphysique et sombre , Borgman , qu’il avait présenté en Compétition Officielle au Festival de Cannes 2013 , il a choisi d’y opposer , pour son nouveau film , la tonalité d’une récit déjanté multipliant les surprises et les audaces stylistiques autour de la mission d’un tueur à gages chargé d’éliminer un écrivain solitaire. Plaisir du récit et du cinéma au rendez-vous …

Le jour de son anniversaire Schneider ( Tom Dewispelaere ) est réveillé par ses deux petites filles qui lui offrent son cadeau , et avec sa petite famille bourgeoise vivant dans l’harmonie il se destine à passer une journée de congé tranquille afin de préparer la fête avec des amis invités à son domicile pour la soirée. Mais un coup de fil inattendu va modifier la donne , et lui intime l’ordre d’aller sans tarder exécuter un contrat prévu de longue date. Alex Van Warmerdam installe dès la première séquence , la surprise et l’inattendu . Rien ne laissait en effet présager au spectateur … que ce bon père de famille est , un tueur à gages ! . Dès lors les événements qui vont se succéder à partir de cet « ordre » intimé par son commanditaire à notre tueur, et les obstacles qui viendront se mettre sur sa route pour accomplir sa mission , vont entraîner une série de situations imprévues qui bousculent la donne et précipitent les événements dans des directions insoupçonnées . Mettant à mal les lois et les clichés du genre , le cinéaste nous invite à suivre pendant 24 Heures ses personnages dans une zone marécageuse au cœur de laquelle le contrat va devoir , quoi qu’il arrive , être exécuté . Mais avant d’en arriver au « duel » final , les événements qui finissent par devenir incontrôlables , distillent en même temps aux personnages et au spectateur, leurs fausses pistes en cascade , qui déclenchent le plaisir chez ces derniers en même temps qu’elles plongent les personnages dans les impasses. Ne maîtrisant plus rien, ces derniers multiplient les bévues ( l’histoire du Sms envoyé par erreur …) ou se réfugient dans les anti-dépresseurs et autre substances qui ne font que les précipiter encore un peu plus dans la confusion…

Et celle-ci surgit d’emblée sur la route de Schneider qui se prépare dans son hangar à se rendre à son rendez-vous avec l’écrivain solitaire ( Alex Van Warmedrdam , aussi devant la caméra ) , lorsque surgit à l’improviste la prostituée , Gina ( Annet Malherbe ) poursuivie par un homme qui veut la tuer . Tandis que parallèlement on découvre que Martens (Gene Bervoets ) le commanditaire, joue un double-jeu de contrat où chasseur et chassé , se retrouvent – sans que l’on sache vraiment pourquoi – dans son collimateur . Les zones d’ombres se multiplient et le « duel » attendu prend une nouvelle dimension . d’autant que du côté de l’écrivain solitaire qui se terre dans sa masure sur l’eau , surgissent aussi des intrus en la personne de sa fille dépressive et d’un grand-père inquiétant , porté sur le sexe . Perturbée par tous ces intrus qui ouvrent les portes et s’installent , la ligne droite qui doit conduire à l’affrontement, est sans cesse détournée de son objectif et va prendre les chemins de traverse où le réalisme d’une situation classique de départ va se retrouver parasité ( perverti ) , par l’intrusion d’éléments étranges habillés d’une certaine dimension surréaliste que le cinéaste a souvent explorée . Et qui, ici , infuse au récit au cœur de la lumière naturelle des décors , une noirceur d’autant plus prégnante qu’elle s’y distille via un humour qui semble sourdre directement des dysfonctionnements révélateurs dans lesquels les personnages se réfugient . A l’image du Personnage de Bax bourré de substances illicites , qui entraîne le récit avec lui, dans une dimension hallucinogène ( l’apparition de l’enfant aveugle ) et plus qu’inquiétante .

D’autant que le cinéaste l’installe au cœur d’une dramaturgie théâtrale classique avec son unité de temps et ( presque ) de lieu, qu’il habille des formes tout aussi classiques des genres qu’il détourne . Comme celui du polar habituellement éclairé par les lumières de la nuit dont il déroule le récit en pleine lumière du jour . De la même manière que la cadre du « duel » westernien trouve sa logique des lieux ( prairie ou rue centrale de la ville ) détournée dans un lieu aquatique, comme l’est celle du tueur dans un jeu poker : d’erreurs, de hasard ou de malchance . Tandis que la dramaturgie psychologique subit, elle , les soubresauts répétés de la comédie et du vaudeville, saupoudrée des doubles effets provoqués par les comportements compulsifs ( drogues , manies ) derrières lesquels les individus cachent leurs obsessions , au cœur desquelles le cinéaste nous entraîne dans le sillage de ses personnages qui finissent par prendre de l’épaisseur au centre même du désordre dans lequel ils sont plongés , cherchant désespérément à trouver un équilibre . La belle idée de la maison-refuge dans laquelle Francisca ( Maria Kraakman ) , la fille de Bax tente de cherche la paix . Ou celle du dilemme qui contraint Gina – la seule à avoir une certaine conscience morale- pour tenter de sauver sa peau, à composer avec Schneider . Ou encore celle symbolique des cachettes – leurres , ou à double fond, dans lesquelles Schneider et Bax dissimulent les objets révélateurs ( armes, drogue … ) de leur double vie . De la même manière qu’en filigrane de son récit déjanté à l’humour noir libérateur , Alex Van Warmerdam inscrit , lui, son regard sur les individus, explore sous le vernis des situations auxquelles ils se retrouvent confrontés qui les oblige à se mettre à nu , à révéler leur vrai visage…

La force du film et là , dans ces détournements dont le cinéaste nous rend spectateur des événements dont jamais on ne soupçonne ce que la séquence suivante nous réserve comme suite . Le plaisir des détournements du récit accompagné de celui des genres dont il nous invite à explorer les possibles par une mise en scène en épure, permettant à son récit déjanté d’y explorer par exemple, la notion classique du bien et du mal , sous un angle nouveau « d’une façon qui fonctionne presque comme une négation , j’ai voulu montrer les événements nus, sans dramatisation , sans sentiments , sans jugements de valeur. C’est justement cette démarche là qui suscite , les interrogations… » , explique le cinéaste , dans le dossier de Presse, qui souhaite ainsi que « le spectateur se fasse sa propre opinion » . Dans cette démarche il joute à son choix de mise en scène , celui d’une direction d’acteur, basée sur la retenue par rapport à son rôle « je ne pense pas que l’acteur doive en avoir toute la connaissance (…) j’ai par exemple interdit à Loes, la femme de Schneider, d’exprimer quoi que ce soit pouvant laisser penser qu’elle est au courant de ce que fait son mari. Mais au spectateur je n’interdit rien du tout . La raison de l’assassinat commandité m’est d’ailleurs inconnue ! » , explique, Alex Van warmerdam .
Et c’est ce mystère là qu’il offre au spectateur complice d’en prolonger le plaisir , qui fait le prix de son cinéma dont , ici , l’inter-activité voulue joue à merveille , via les multiples « pistes » laissées ouvertes. Ne boudez pas le plaisir qui vous est proposé …
(Etienne Ballérini)
LA PEAU DE BAX d’Alex Van warmerdam – 2015-
Avec : Tom Dewispelaere, Alex Van Warmerdam , Marie Krakman , Annet Mlaherbe , Gene Bervoets ….