Cinéma / Entretien avec Jayro Bustamante réalisateur d’IXCANUL

En mars dernier, à l’occasion de CineLatino de Toulouse, un peu avant de connaître le palmarès de la 27e édition, nous avions rencontré Jayro Bustamante, le réalisateur d’Ixcanul, son premier long métrage, qui allait remporter le Prix du Public et le Prix découverte de la critique française. Avec une grande disponibilité et en français, il a répondu à nos questions. Retour sur cet entretien.

Que signifie le titre, Ixcanul ?
-Jayro Bustamante :« La langue maya est très conceptuelle et il y a plusieurs façons de dire volcan. Ixcanul est l’une d’entre elles. Avec ce titre, je voulais faire référence à la force interne de la montagne qui bout et qui pousse vers l’éruption et faire un parallèle poétique avec Maria, le personnage principal ».

Le scénario est tiré d’une histoire réelle. Comment en avez-vous eu connaissance ?
« Elle est venue de ma mère. Médecin, elle était sur les hauts plateaux du Guatemala dans le cadre d’une campagne de vaccination contre la polio. A cause de la guerilla qui a ravagé le Guatemala pendant de décennies, les Indiens se méfiaient beaucoup de la médecine moderne. Il était nécessaire d’aller à leur rencontre. C’est comme cela qu’elle a rencontré Maria, puis ma mère me l’a présentée. María avait été mise en prison car on l’accusait d’avoir vendu son enfant ».

Lors de la présentation du film, vous avez indiqué que la véritable Maria était réticente à ce que vous réalisiez un film sur son histoire. Pour quelles raisons ?
« Je pense que c’était par rapport au travail de deuil qu’elle commençait à faire. Elle a accepté que je fasse un film sur son histoire à trois conditions. Elle ne voulait pas apparaître dans le film, je pense qu’elle pensait que j’allais faire un documentaire, elle ne voulait pas que son nom soit connu pour qu’on puisse après l’identifier, et, enfin, elle ne voulait pas le voir. A l’époque, c’était très difficile pour elle. Pendant près d’une année elle est restée presque autiste. Elle était obsédée à la fois par l’idée de ne pas avoir vu le corps de son enfant et par celle de le savoir vivant. Quand je l’ai rencontrée, elle entamait un travail psychologique, mais me parler de son histoire fut très difficile et très long. »

Jayro Bustamante  photograhié lors de l'entretien par  Philippe  Descottes
Jayro Bustamante photograhié lors de l’entretien  à  Toulouse , par Philippe Descottes

Pourquoi avoir choisi la fiction au lieu du documentaire ? Pour un long métrage, c’était peut-être plus facile à réaliser sur le plan budgétaire ?
« On me pose souvent la question, mais dans mon esprit j’ai toujours voulu réaliser une fiction. Mon souhait était de réaliser ce qui s’était passé avant. Comment elle est arrivée « à perdre » son enfant. Dans la réalité, pour la vraie Maria, je n’avais pas d’éléments. Le documentaire n’était pas envisageable. »

Pourtant, au début du film notamment, il y a quand même un aspect documentaire…
« Oui, je suis d’accord. C’était voulu. Vous savez, il y a beaucoup de choses qui se passent au cours d’une journée, des choses extraordinaires, incroyables, mais je voulais que l’on s’approche au plus près de la réalité. »

Entre l’histoire, l’écriture du scénario puis la production, combien de temps s’est écoulé ?
« Après la rencontre avec Maria, j’ai écris un premier scénario. Je lui ai présenté et elle était d’accord. Ensuite, je l’ai mis de côté, pendant trois ou quatre ans. En avril 2013, je l’ai ressorti et je me suis mis à travailler tous les jours dessus. En mai, je l’ai présenté en France à un atelier d’écriture et fait lire à des gens qui ne connaissaient pas le Guatemala comme moi je le connais. Je l’ai également envoyé au CNC. Mais finalement, je ne suis pas passé par le schéma classique. Les critiques et avis qui m’ont été formulés m’ont aidé à aller plus vite. Les choses se sont ensuite précipitées. »

Mais pour le tournage et le financement ?
« Au mois de juin, je suis parti au Guatemala, pour faire des repérages et commencer à travailler avec la communauté Kackchiquel. A ce moment-là, le café était victime d’une maladie, la « roya » et donc il n’y avait plus de travail. Je me suis alors demandé si on ne pouvait pas profiter des circonstances et débuter le tournage. J’avais déjà constitué mon équipe technique. Je les ai consultés.Ils étaient d’accord pour me rejoindre, même si je les emmenais dans un endroit sans électricité, près d’un volcan en activité qui pouvait entrer en éruption à chaque instant… Je leur promettais la précarité, mais pour eux c’était le paradis ! J’ai alors contracté un prêt personnel pour pouvoir tourner.»

Où avez-vous tourné ?
«  En grande partie dans un lieu que je connaissais bien, à savoir la plantation de café de mes grands parents. C’était une exploitation avec une maison, des bâtiments… Mais quand le volcan est entré en activité, c’était devenu trop dangereux, il n’était plus possible d’y vivre. Cependant, la plantation existe toujours.»

Comment s’est effectué le choix des acteurs ?
« Lors d’un premier voyage au Guatemala, j’ai organisé des ateliers. J’étais accompagné d’une travailleuse sociale pour écouter la problématique des femmes indiennes. Cela m’a servi pour l’écriture du scénario, mais aussi pour un casting. Cependant, c’était très compliqué. L’acteur non-professionnel qui interprète Pepe, vient du théâtre de rue. Et puis on m’a parlé d’une troupe de théâtre maya. C’est là que j’ai vu María Telón, qui joue le rôle de la mère. J’étais vraiment fasciné par sa force. Elle appartenait à une communauté qui était très impliquée dans des mouvements artistiques et culturels. J’y suis donc allé et j’ai été très impressionné pas l’intérêt de ces gens pour la culture. Il y avait de la danse, de la poésie… J’ai donc mis un panneau dans leur village avec écrit « Casting ». Personne. Le lendemain, on a mis « Offre d’emploi », et là, il y a eu la queue…A partir de ce moment là, le casting a été plus facile ».

Et pour le rôle de Maria ?
« Elle est arrivée au dernier moment. Quand je l’ai rencontrée, je me suis dit « C’est elle ! ». Je ne sais pas l’expliquer. Peut-être parce que lorsque j’ai parlé avec elle, elle a toujours soutenu mon regard, elle n’a jamais baissé les yeux ».

Comment avez-vous constitué votre équipe technique ?
« J’ai effectué une partie de ma formation à Paris. Aussi, c’était une équipe très internationale composée de personnes rencontrées en France. Par exemple, la maquilleuse, Aiko Sato, est japonaise. Au départ, nous formions un noyau à trois, avec ma chef décoratrice qui est devenue ma productrice, Pilar Peredo, et le directeur de la photographie, Luis Armando Arteaga ».

Jyaro Bustamante  en compagnie de ses deux comédienns ( Maria Telon  et Maria Mercedes  Coroy )  ,  au Fesival de  Berlin
Jyaro Bustamante en compagnie de ses deux comédienns ( Maria Telon et Maria Mercedes Coroy ) , au Fesival de Berlin 2015

Vous accordez d’ailleurs une attention particulière à l’image…
« Avec mon directeur photo, en qui j’ai une très grand confiance sur son regard cinématographique, on s’est livré à une expérience particulière et intéressante. Nous sommes partis toute une semaine au Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand. Nous avons passé la semaine à regarder les films à analyser les lumières et les images. C’était très enrichissant… et on s’est dit qu’on le refera pour le prochain film ! »

En voyant Ixcanul, on ne peut pas s’empêcher de penser à Rigoberta Menchu et à son combat mené pour le respect des droits des peuples autochtones. Son Prix Nobel de la Paix de 1992 a-t-il fait avancer les choses ?
« Oui. C’est incontestable, même s’il y a encore beaucoup à faire et que les choses avancent très lentement. Elle est une véritable icône pour les Indiens, mais elle est restée très simple ».

Comment êtes-vous venu au cinéma ?
« Très tôt, j’ai voulu faire du cinéma. J’ai passé un bac avec option publicité pour aller vers la
réalisation. Puis je suis parti étudier la communication à l’université de San Carlos à Guatemala City. Ensuite, je suis entré dans une agence de publicité. J’ai eu la grande chance de m’initier à la réalisation et de faire des films de pub. Mais je savais qu’il me manquait des clés. Je suis venu en Europe, à Paris, pour faire une école de cinéma. Je n’ai jamais songé à partir à Los Angeles. Cela vient peut-être de ma mère qui a été marquée par la guerilla, un conflit qui a été monté de toute pièce par les Etats-Unis. »

Et une fois à Paris ?
« J’ai essayé d’entrer à La Femis. Mais quand on est étranger, il faut d’abord
passer un examen dans son pays d’origine. Seulement, au Guatemala, ce n’était pas envisageable. J’ai tenté de suivre les cours de l’université, à Jussieu, mais finalement on m’a orienté vers le privé,
et j’ai pu m’inscrire au CLCF (Conservatoire Libre du Cinéma Français). En parallèle, je travaillais pour payer mes études. Ensuite, j’ai bénéficié d’une bourse, pour suivre un master en écriture à Rome, au Centre Expérimental du Cinéma. Après, j’ai commencé à produire et à réaliser des courts métrages. »

Avez-vous des réalisateurs ou des films qui vous ont marqué  ?
« C’est un peu en fonction des périodes de ma vie… Sur Ixcanul on s’est beaucoup intéressé au cinéma de Terrence Malick, pour travailler la lumière naturelle. Notamment, Le Nouveau Monde que j’aime beaucoup et qui est un film qui a été très mal compris à sa sortie. C’est un véritable film d’auteur et non une production à grand budget. J’aime beaucoup Haneke et la façon dont il travaille sa ligne mélodramatique, toujours avec justesse, sans jamais aller de l’autre côté ».

Propos recueillis par Philippe Descottes le 27 mars 2015 à Toulouse (Crédit photo : Ph.Descottes)

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