Cinéma / L’ETAGE DU DESSOUS de Radu Muntean.

Des bruits de dispute derrière la porte d’un appartement perçus en rentrant chez lui par un habitant de l’immeuble où il vit . Le lendemain le corps de la femme qui l’habite est découvert mort. Enquête de police , le témoin de la dispute ne dira rien . Le cinéaste Roumain auteur  de  Boogie  et  de  Mardi Après Noël ,  construit un récit passionnant , un suspense en forme de questionnement où lâcheté , morale et conscience se retrouvent au cœur ..

l'affiche du Film.
l’affiche du Film.

Scéne d’ouvertue : Pätrescu ( Théodore Corban, remarquable )  en promenade quotidienne avec son chien auquel il est très attaché , une sortie qui lui permet d’évacuer le stress d’une activité professionnelle qui lui prend beaucoup de temps , mais qui lui permet de toucher de substantiels pourcentages en tant qu’intermédiaire entre particuliers et une société d’immatriculations de voitures . Ce jour là de retour à son domicile dans l’escalier qui le mène à celui-ci , il est témoin des éclats de voix d’une dispute amoureuse qui traversent la porte de l’appartement de la jeune femme qui l’habite , appartement  duquel il voit sortir , ensuite , un jeune homme, habitant lui aussi  l’immeuble . Le lendemain au retour de sa promenade quotidienne avec son chien , il voit un attroupement au bas de l’immeuble , les voitures de police et un corps sans vie que l’on évacue …la jeune femme a été assassinée . Lors de l’enquête de voisinage effectuée par la police, Pätrescu ne dira rien de ce qu’il a vu la veille . Pourquoi ? , réflexe de protection d’une vie bourgeoise ordonnée , par peur , par lâcheté , par crainte d’accuser quelqu’un qu’il a entr’aperçu et qui n’est peut- être pas le coupable ?…ou encore pour d’autres raisons dont il est difficile de discerner les réflexes (de protection?) qui s’y attachent lorsque tout un chacun est confronté à ce type de situation . Se basant sur un fait divers qui s’est réellement déroulé , Radu Muntean a voulu s’intéresser a ce « flou » qui interpelle et dont il est difficile de cerner quelles pourraient être les réactions de tout un chacun confronté à une telle situation . Il a choisi d’en décrire ici , le point de vue d’un regard extérieur , presque chirurgical d’un comportement d’un déni protecteur qui va faire son chemin dans les méandres du quotidien , en même temps que celui de la description d’un étonnant et original face à face , au cœur duquel le silence s’installe créant une tension de plus en plus palpable … entre le témoin muet et dubitatif, et le soupçonné inquiet.

Patrescu ( Téodor Corban ) et son voisin , Vali ( Luliian Postelnicu )
Pätrescu ( Téodor Corban ) et son voisin , Vali        ( Lulian Postelnicu )

C’est cette approche qui offre la belle originalité au film par le doute, l’ambiguité et cette incertitude qui maintient la tension et qui ne permet pas de trancher, qui s’inscrit au cœur du film . Emblématique d’ailleurs , au cœur de tous les indices soumis au spectateur , l’absence de l’image du crime inscrite au cœur du récit volontairement par le cinéaste «  cette image manquante est au cœur du dilemme du Héros ( Pätrescu) : il n’a rien vu, cependant il est convaincu à 99 % que son voisin est coupable , mais c’est le 1% d’incertitude qui est important. Et qui explique qu’il ne va pas à la Police (…) car quel jugement a-t-on le droit de porter quand il existe une part de doute même infime ? » , dit-il dans le dossier de Presse . Et la construction du film qui tient subtilement sur le fil de ce 1% , est aussi celle qui va déclencher – à la fois chez Pätrescu de plus en plus obsédé par le meurtre  et son voisin qui lui se sent surveillé et suspecté – les mêmes réflexes à la fois de protection et de culpabilité. L’un de n’avoir rien dit à la Police , l’autre de se savoir surveillé et de ne rien dire pour éventuellement apporter les preuves qui l’innocenteraient . La police dès lors hors circuit faute de coupable désigné , permet à Radu Muntéan de se pencher sur le basculement du suspense et de l’intrigue dans le face à face entre les deux hommes . Rendant dès lors passionnant , le développement du suspense ( ou plutôt de la tension qui s’installe  ) , jusqu’au final qu’on vous laissera découvrir . Final, dont d’ailleurs , l’astuce ultime du cinéaste est de laisser encore la porte ouverte au spectateur pour se faire sa propre opinion. Radu Muntean fait preuve dans cet exercice d’un sens du récit et d’une efficacité d’autant plus remarquable que celui-ci est inscrit au cœur de la vie quotidienne , sur les silences de ses personnages et sur les petits détails qui créent une tension extrême sans que celle-ci soit surlignée , mais , toujours  suggérée. A ce sujet il explique son choix, concernant l’attitude silencieuse de son personnage Pätrescu :  « elle  permet d’essayer de comprendre sa réaction , ça passe par son silence , par sa façon de se mouvoir , par son comportement physique. Le silence permet de se focaliser dessus ; dans la vie le silence peut être très expressif . C’est le reflet de son mental, de son caractère. Une fois encore , ce serait trop simple , et trop didactique , de tout faire passer par les mots » , dit-il.

 Le voisin s'immisce dans la vie familaile ...
Le voisin s’immisce dans la vie familaile …

Déranger, intriguer le spectateur et introduire la réflexion par ce biais , telle  est la volonté du cinéaste pour apporter une explication qui peut entraîner d’autres questionnements. Pour le cinéaste l’ambiguïté qui s’habille parfois d’une certain malaise  et du  dout,  sont les maîtres- mots de son cinéma , et il les inscrit dans chaque séquence interpellant l’attention du spectateur et ses interrogations. Son intention est de nous faire « pénétrer dans la conscience de ses héros » afin de nous permettre de comprendre leurs réactions, leur mental et leurs comportements . Comme l’illustrent les scènes qui permettent en miroir du personnage de Pätrescu d’éclairer celui du voisin soupçonné,  en décrivant la manière dont celui-ci , Vali ( Lulian Postelnicu ) va se rapprocher de lui , en lui demandant de l’aider pour accélérer l’immatriculation de son véhicule , ou en s’immisçant dans sa vie privée et familiale tissant des liens avec son fils passionné de jeux vidéos . Par la tension qui monte et toute la subtilité psychologique qui s’y attache dont la force est servie par le réalisme des magnifiques plans-séquences au cœur des cadres ( et du hors -champ ) desquels , le cinéaste l’inscrit , il offre au spectateur le rôle de participant afin qu’il puisse y apporter son propre regard « j’essaie en tant que cinéaste de me rendre invisible. De laisser l’impression au spectateur qu’il est en train d’écrire sa propre histoire ( …) je n’ai aucune raison, à fortiori dans ce genre d’histoire , d’affirmer à l’écran mon point de vue ou mon propre jugement », dit-il .
Et le résultat est à la fois original , troublant et saisissant …

(Etienne Ballérini)

L’ETAGE DU DESSOUS de Radu Muntean – 2015-
Avec : Teodor Corban , Lulian Postelnicu , Oxana Moravec , Adrian Vancica …

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