Cinéma / LE CARAVAGE d’Alain Cavalier

Le cinéaste de Thérèse , de Libera Me et de Pater , qui s’est fixé depuis des années de filmer avec sa petite caméra vidéo le monde qui l’entoure , nous propose cette fois-ci une approche «  iutime »  en forme de preuve d’amour entre le cheval et sa monture . En même temps qu’ une approche de ce rapport du filmeur qu’il est,  avec son sujet qu’il doit apprivoiser et par lequel  il doit faire  se faire  accepter au cœur de cette relation intime , avec son regard extérieur . Une expérience Unique , passionnante , voire bouleversante …

l'affiche du film
l’affiche du film

Quand l’oeil de la caméra rencontre celui du cheval …c’est l’une de premières images du film qui en dit long déjà sur la manière dont le cinéaste entame le dialogue et l’approche avec cet univers d’un rapport « intime » entre un cheval et sa monture. D’autant que ce cheval et cette monture ne sont pas n’importe lesquels , il s’agit en effet de l’artiste  Bartabas dont on connaît les spectacles magnifiques aboutissement d’un long travail en communion avec son cheval, pour arriver à cette perfection ultime offerte au public. Et c’est donc au cœur de ce long travail d’entraînement quotidien et de la recherche de la perfection des gestes destinée à proposer cette unité « fusionnelle » entre l’homme et l’animal , à laquelle le cinéaste avec l’accord de Bartabas, nous invite a en être , les complices . En même temps que le cinéaste va inscrire au cœur de cette approche son propre rapport au monde et au cinéma , celui du filmeur , ce troisième homme observateur qui va lui aussi devoir apprivoiser son sujet et se faire accepter «  tu vas me dire bonjour , dis ? » dit-il interpellant dans une première approche en plan serré du Caravage , le cheval de Bartabas. Alain Cavalier sait qu’il est – dans un premier temps- l’intrus qui vient s’imposer  dans un rapport intime dont il n’est pas partie prenante. Ces quelques mots dits avec douceur et une certaine appréhension , ressemblent à « l’apprivoise-moi » du Petit Prince de Saint Exupéry . Par cette première approche, en douceur, Alain Cavalier nous fait en même temps témoin de cette fonction première du cinéma ( de cette «  caméra œil » ) allant à la rencontre de l’autre qui , d’une certaine manière, lui renvoie le miroir de lui-même . C’est aussi cette « peur »  de ne pas y être accepté que le cinéaste nous livre sans détours au long des séquences où sa présence étrangère, constitue forcément une nouvelle donne …

Le  cheval Le  Caravage
Le cheval Le Caravage

Il y a une scène magnifique qui en dit long sur cette « position » du cinéaste intrus au cœur d’une dispositif dont elle finit par révéler par la surprise qui s’y inscrit , tout le chemin qui a été fait depuis le « bonjour » sollicité en début d’approche . C’est cette séquence au trois-quart du film , avec  le cinéaste placé au centre de l’arène d’entraînement pour en enregistrer les images , où l’on voit après un séance intense avec son cavalier le cheval se détendre par des exercices au sol , puis se lever et soudain se ruer vers la caméra du cinéaste «  il l’a lêchée ! » , s’exclame alors Alain Cavalier bousculé et surpris de cette marque d’affection à l’homme à la caméra que le cheval a voulu embrasser . Dès lors la crainte d’être un intrus qui se manifestait au début du film par certains plans hésitants faits de petits tremblements et de dérapages révélateurs d’une crainte de réaction de rejet , trouve son aboutissement heureux dans cette magnifique scène où l’on voit d’ailleurs le cheval prolonger son geste et revenir vers cette caméra      ( et celui qui la tient ) comme pour lui dire «  n’aie pas peur , je t’ai accepté » . Car en vérité si ce n’était pas le cas un cheval d’ un poids d’environ 800 Kilos qui fonce vers une caméra et l’homme  qui la tient ,  s’il avait voulu être agressif, aurait fait bien plus de dégâts que de la  bousculer  un peu  et la salir de sa salive en la léchant !. On mesure ici , que la discrétion et le respect du cinéaste envers son sujet  est le miracle du film qui fait- de cette intimité qu’il a souhaité traduire entre l’homme et son cheval , mais aussi entre lui ( le filmeur) et son sujet –   une magnifique leçon d’humanité et de cinéma dont on retrouve la force du regard avec laquelle il « embrasse » ce qui est son rapport au monde et à l’autre .

bartabas  et  son cheval  le  Caravage .
bartabas et son cheval le Caravage .

On ne résiste pas de vous faire partager les magnifiques mots avec lesquels le cinéaste décrit dans le dossier de Presse , la manière dont il se fond dans le cadre et s’y fait oublier, pour en tirer « la substantifique moelle », comme on dit  : « J’aimais beaucoup, tôt le matin , prendre le métro à la Porte de Saint Cloud pour me rendre au Fort d’Aubervilliers , siège du Théâtre équestre Zingaro. A l’écurie je disais « bonjour » à la Palefrenière et je la filmait qui brossait , tressait , scellait un cheval harmonieux et de haute taille nommé Le Caravage . Elle le conduisait au manège. Bartabas grand écuyer apparaissait . Je lui disais « bonjour » . Ce qui était ma deuxième parole . Pendant une demi-heure , sans échanger un mot, j’étais admis à la cérémonie intime qu’était le travail de Bartabas avec Le Caravage sur les figures codées ou inventées . J’étais témoin d’une conversation silencieuse entre deux corps, dont l’un pèse huit cent kilos . En fin de séance je disais « merci » à Bartabas. Je suivais la Palefrenière jusqu’à l’écurie où elle était aux petits soins savec Le Caravage. Un autre « merci » vers elle avant de retourner au métro . J’avais prononcé quatre mots . Plus n’était pas nécessaire pour tisser le lien entre l’écuyer , le cheval et le filmeur », dit-il . Superbe leçon de vie et de cinéma …
Dès lors on n’est pas surpris de la force et de la justesse du regard et de cette présence des corps qui émane de ces images qui témoignent si bien du  ce rapport :  humanité/ animalité . Cette sensualité , cette beauté brute dont témoignent les exercices d’entraînement de sa monture par le cavalier . De la même manière que ces soins « amoureux » dont l’animal fait l’objet , notamment durant la période de sa longue blessure . Ces moments de « fusion » révélateurs dont les hennissements du cheval ou ses manifestations ( les roulements au sol partagés avec son cavalier ) qui en disent long . Il y a une autre scène magnifique , silencieuse , où l’on voit Bartabas assis au sol entouré de trois chevaux penchés sur lui qui lui caressent tendrement la tête et le visage . Dans ces moments là on a les yeux rivés   à l’écran remplis de bonheur par ce qui est montré, et surtout par ce qu’il est révélé de cette « relation » qui s’est installée entre l’homme et l’animal .

le cheval et sa monture . séance d'entraînement...
le cheval et sa monture . séance d’entraînement…

Et ce qu’elle traduit du travail de Bartabas pour arriver à celle-ci , dont , la perfection se re dantrouve dans le (s ) spectacle (s) qui la subliment ( les deux trop courtes séquences qui l’illustrent ) et dont l’aboutissement du film inscrit par dans son rapport entre le filmeur et les filmés, au delà d’une leçon de cinéma, celle d’une approche nouvelle au cœur de laquelle la caméra s’inscrit en harmonie faisant corps avec son sujet : le corps de l’homme et celui de l’animal . Comme un chanson de geste , comme une leçon de vie , d’amour et de reconnaissance de l’autre . Le cinéma d’Alain Cavalier dit tout ça , avec la  silencieuse discrétion  de l’évidence qui embellit celle  de l’image et offre à un simple plan , celui d’un œil de cheval filmé en gros plan , cette humanité qui y transpire. Celle « d’un homme nommé cheval ». Cette Humanité que Bartabas et son Caravage nous offrent en exemple. Que dire d’autre , sinon que c’est une leçon magnifique…offerte par un film, qui ne l’est pas  moins.

(Etienne Ballérini)

LE CARAVAGE d’Alain Cavalier – 2015-
Avec : Bartabas, le Cheval Le Caravage …
et la Collaboration d’Emmanuel Manzano, Françoise Widhoff.

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Un commentaire

  1. Merci. Votre « critique » élogieuse invite à aller « contempler »et méditer devant ce film…. Perle rare qu’un film comme celui-ci. Avec un sujet exceptionnel. Quel bonheur ! Cela réhausse le niveau de la culture actuelle et permet de prendre la juste hauteur des choses. La beauté des êtres et le mystère de l’amour ( entre un homme et son cheval ) nous reconnecte à l’essentiel.

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