Et voilà au TNN la nouvelle création d’Ezequiel Garcia Romeu, Le petit théâtre du bout du monde. Pour ceux qui ont vu au moins un de ses spectacles (le précédent était Banquet Shakespeare, la saison dernière), on se prépare à être un peu décontenancé, surpris, étonné,
mais plongé dans le monde d’Ezequiel
Et là, comme dirait la sorcière de Macbeth, « le charme opère ». Avant de nous parler des personnages, de ce qu’ils se disent –ou pas, de ce qu’ils font – ou pas, l’important est le monde, le milieu dans lequel ils évoluent –ou pas. Chez Ezequiel Garcia Romeu, l’instance dominante, c’est la scénographie.
Allez ! Soyons un peu pédago. La scénographie désigne aujourd’hui l’art de l’organisation de l’espace scénique, grâce à la coordination des moyens techniques et artistiques. Au théâtre, l’intrusion de la scénographie est l’élément qui distingue le scénographe du décorateur et fonde sa pratique. Une scénographie ne copie pas une forme du réel, valeur autant métaphorique que visuelle.
Le théâtre d’Ezequiel Garcia Romeu est un théâtre qui s’exprime à travers un monde de marionnettes. Ici il ne s’agit pas de rois comme dans Banquet Shakespeare, mais de personnages somme toute assez ordinaire et qui au bout du compte ne font rien, ou attendent, peut-être. Ou pas. L’important –et nous rejoignons la scénographie- est où ils attendent, où ils sont soumis à la vacuité.
Il y a trois espaces scénographiques. Un quadrilatère en plexiglas, comme un laboratoire, espace dans lequel vaque un manipulateur (importance de ce mot) des marionnettes comme entreposées. Sur le dessus de ce volume, des marionnettes semblant en attente. Tout à l’entour, des spectateurs, soit assis sur un rang de chaises, soit debout, pouvant donc se déplacer si l’action l’exige. Et cette disposition me fait penser au « Théâtre Laboratoire » de Jerzy Grotowski où le public, réparti en quadri frontal, regardait en contrebas les acteurs.
Dans Le petit théâtre du bout du monde le spectateur fait intégralement partie de la scénographie – peut-être à son vouloir défendant : il est un « spect’acteur », il a quasiment la position d’un entomologiste. On pourrait presque dire qu’ils deviennent eux-mêmes acteurs, machinistes, manipulateurs, expérimentateurs. C’est ce que j’appellerais l’effet « Vache qui rit » fromage connu pour sa boîte ronde illustrée qui représente une vache portant des boucles d’oreille constituées de boîtes de vache qui rit mises en abyme.
Ce n’est pas en vain que j’ai parlé de « laboratoire ». En effet, dans la boite, (le quadrilatère) le manipulant, (Ezequiel lui-même) donne cette impression d’être, de se comporter comme un véritable démiurge. Dans « Le Timée », Platon définit le démiurge comme le dieu organisateur qui créa le monde à partir de la matière préexistante. Ce manipulant-démiurge agit comme une sorte de docteur Frankestein, armé du désir inconscient de la création : mais si ces êtres sont des transferts de nous-mêmes (de te fabula narratur) voulons nous être (re)créés ? L’apparemment aimable Dr Jekyll n’est-il pas plus horrible que Mr Hyde en ayant l’horrible prétention de se concevoir, de s’inventer lui-même ?
Le petit théâtre du bout du monde nous pose plus de questions qu’il ne nous apporte de solutions, il nous interroge sur notre rapport à nous-mêmes, au fond comme toutes les créations d’Ezequiel. Il est l’œuvre d’un artiste au sens plein du terme.
Et si l’on vous dit que dans cette œuvre, il n’y a pas d’histoire, si il y a un lieu (une géographie), des personnages, des actions, des inactions, des questions à (se) poser, il y a une histoire.
Jacques Barbarin
« Le petit théâtre du bout du monde » TNN 04 93 13 90 90 (salle de répétition)
les 7 et 14 novembre : 15h, 19h, 21h, les 4 et 11 : 19h, 21h
les 5, 6, 10, 12,23 : 19h, les 8, 15 novembre : 15h, 17h
A NOTER : Il avait fait notre bonheur et notre honneur en venant faire une conférence la saison dernière durant le festival SHAKE NICE. Peter Brook nous revient avec, du 20 au 25 novembre,
The valley of astonishment, texte et mise en scène Peter Brook et Marie Claude Estienne. Dans
un style quasi-documentaire, Peter Brook poursuit ses recherches
sur le mystère du cerveau humain.