Après Bon Voyage (2003), cinéaste rare, Jean-Paul Rappeneau se rappelle à notre souvenir, 12 ans plus tard, avec son nouveau film où il est question d’héritage familial mais aussi des secrets et autres mensonges qui s’y cachent. Occasion d’un passionnant portrait où l’intime et le collectif se télescopent en une sorte de tourbillon narratif complexe où les esquives et les passions forment un chassé-croisé incessant au cœur duquel la quête de soi , de l’autre , de l’amour …et du père, sont convoqués. Plaisir de cinéma et du récit au rendez-vous…

Dans l’avion qui le ramène de chine – où il s’est installé et y est devenu hommes d’affaires- en France où il revient pour un passage éclair avant de se rendre à Londres pour affaires, Jérôme ( Mathieu Amalric ) prévient sa famille qu’il n’a pas revue des années, de sa visite . Branle-bas de combat chez la mère ( Nicole Gardia) surprise et dîner familial où , malgré les aimables convenances d’usage du début, dues à la présence de la compagne Chinoise ( Gemma Chan) de Jérôme, ne manquent pas de se craqueler rapidement autour de la question qui fâche du départ de Jérôme en Chine , de ses nouvelles données si rarement, et surtout, de son absence à l’enterrement de son père , puis de l’affaire consécutive de cette maison familiale qui a été vendue . Les Masques qui se dévoilent alors, des rancunes restées vivaces et des secrets familiaux , remontent rapidement à la surface, lorsque Jérôme apprend que la vente de la maison a été suspendue pour des raisons « floues » de conflits d’intérêts …alors , il voudra en savoir plus. Le patrimoine familial dilapidé devenant l’enjeu d’intérêts complexes liés à la fois au contexte familial , mais aussi à un sous- contexte de compromissions d’affaires, dont il découvrira petit à petit les dessous qui finissent par s’imbriquer autour de cet héritage , faisant sourdre à nouveau au grand jour le passé et les frasques passionnelles d’un père ( la double-vie avec une seconde compagne ) qui ont fini par provoquer ces litiges familiaux et compliquer l’héritage en question , objet de bien de convoitises mêlant intérêts privés et ceux publics de la politique municipale et son maire ( André Dussollier, hilarant ) qui souhaite l’acquérir pour un projet de développement immobilier…

Difficile d’ailleurs de résumer la complexité d’une situation Familiale qui ne cesse de nous faire basculer dans les surprises et les quiproquos ; et devient aussi fluctuante et changeante au niveau des sentiments que des conflits qu’ils génèrent . On vous dira donc que la mésentente familiale dont le cœur est cette liaison du père qui l’a divisée , rendant la mère fragile et suscitant la rivalité entre Jerôme et son frère Jean Michel ( Guillaume de Tonquédec ) jusqu’au au point de rupture . Un passé dont Jérôme à voulu couper le fil , provoquant son départ en Chine fuyant ce père avec lequel les relations étaient conflictuelles qu’il voulait enfouir dans l’oubli . Une fuite qu’on ne lui a pas pardonnée des « liens du sang » considérée comme un abandon du cercle familial . Et il y a , aussi , les retrouvailles avec cet ami d’enfance Grégoire ( Gilles Lellouche) devenu entrepreneur immobilier , auquel il va demander son aide pour tenter de démêler l’affaire de l’héritage d’autant qu’il y est impliqué -en tant que premier acquéreur- dans le litige qui bloque la transaction . Mais qu’il est aussi , par ailleurs, en ménage avec une jeune femme, Louise ( Marina Vacth découverte dans Jeune et Jolie de François Ozon ) qui n’est autre que la fille de Florence ( Karin Viard ) qui fut la seconde compagne du père de Jérôme. Plongé au cœur de l’imbroglio de l’héritage et des personnes concernées , Jérôme qui en découvre les dessous et les haines et les passions qui l’ont animé , va s’y retrouver également confronté d’une manière inattendue ( admirable composition de Mathieu Amalric toute en finesse à la fois la fois , insaisissable et grave ) , qui lui renverra en quelque sorte le miroir des passions auxquelles sont père fut confronté, et les souvenirs d’enfance et de famille qu’il a fuis, et dont la voix s’étrangle, lorsqu’il avoue « je suis venu faire la paix avec mon père » .

De cette complexité dont Jean- Paul Rappeneau fait la matrice de son récit pour y inscrire sa mise en scène tourbillonnante des passions et des intérêts qui s’y attachent , et finissent, par construire un chassé-croisé de situations dont le(s) jeux de dupes vont démasquer le fil et le nerf de la guerre . Autour du personnage central de Jérôme va se développer une sorte de ronde de situations qui vont lui donner le tournis, en même temps que de l’enfermer un peu plus dans le piège addictif d’une situation dont il ne peut plus se défaire sans avoir traqué la vérité qui s’y cache. Celle par exemple , dont le notaire retors qui a caché la page essentielle où est inscrit le nom du légataire destinataire du domaine , symbolise toute une forme de duplicités et de rapports de forces . A ce jeu ,où chacun s’implique pour jouer sa carte et tirer profit des secrets non avouables , les blessures infligées ont quelque chose d’indécent et peuvent déclencher des révoltes insoupçonnées ( l’ancienne ancienne conquête ,toujours amoureuse éconduite , qui pourtant , aidera Jérôme ) , comme des comportements inqualifiables . On le sait , la nature humaine est ainsi faite et parfois imprévisible . Jean-Paul Rappeneau en fait une admirable démonstration au cœur de ses plans et de son montage au cordeau entre présent et passé ( flash-baks) qui prend la forme d’un récit où aussi les ellipses et les surprises, sont le nerf de la guerre de chaque séquence et des personnages qui l’habitent. Chaque nouvelle situation est comme une porte qui s’ouvre vers une surprise ou un accès interdit dont il falloir trouver la clé, puis, qui se referme pour à nouveau vous obliger à en ouvrir une autre vers un autre mystère , à démêler . Belle idée de récit qui renvoie à celle de la mise en scène dont l’entrée et la sortie du cadre ( de l’écran ) , ouvre et ( ou ) exclut, de l’espace les personnages . Ainsi, lorsque Jerôme surgit (entre dans la cadre ) chez le notaire pour lui demander des explications , c’est ce dernier qui le fuit qui va en sortir, par la porte dérobée ) .

Les exemples de la belle écriture cinématographique de Jean-Paul Rappeneau qui trouve sa respiration dans le classicisme même dans lequel elle inscrit sa dynamique rythmique ( souvenez-vous de celle qui habitait son Cyrano de Bergerac ), qui ici renvoie d’une certaine manière à l’écriture d’ Eugène Labiche dont les scènes qui s’inscrivent au détour des portes qui claquent , s’ouvrent et se ferment , renvoient aussi à une future surprise ou rebondissement. Comme celles ou ceux , auxquels Jérôme est constamment confronté et qui finissent par retarder indéfiniment son départ pour Londres. Travail sur les espaces et le cadre dont l’aboutissement , magistral , dans la scène finale du festival de Musique ( Festival de La Grande de Meslay) où le jeu des chassés- croisés des uns et des autres , et l’enveloppement musical qui l’accompagne ( découpage visuel et découpage sonore ) , ouvre à la fois la solution sur le conflit familial et le domaine, en même temps que les perspectives d’avenir qui désormais s’offrent aux personnages libérés dont les vies ont été bouleversées, et qui vont pouvoir s’ouvrir les portes d’un autre avenir. Le compte avec l’héritage du passé, enfin réglé …
(Etienne Ballérini)
BELLES FAMILLES de Jean-Paul Rappeneau -2015-
Avec : Mathieu Amalric, Gilles Lellouche , Marina Vacth, Nicole Garcia , Karin Viard , Guillaume de Tonquédec, Gemma Chan , André Dussollier …..