Vibrations des Caraïbes

Mario Canonge est né en Martinique à Fort de France, il découvre la Métropole à Paris avec la chorale « Du François » en 1977. Il ne sait pas encore qu’il va devenir le pianiste incontournable de cette musique caribéenne où sur fond de jazz, il y a toujours un brin de ses racines musicales avec la Mazurka, la Biguine ou la Manigua. Mario Canonge a ouvert avec brio la saison du Nice Music Live. (1)

Mario Canonge
Mario Canonge

Il faisait bon dans cette salle du Forum Nice Nord, on était bien parce que commencer une saison jazzique automnale avec le groupe cubain d’Orlando Valle ‘Maraca’, ça donne du baume au cœur. Le flûtiste avait eu l’idée d’inviter les grands maîtres de la percussion latine : Giovani Hildago et Horacio El Negro Hernandez qui ne quittait pas un instant le regard d’Orlando afin d’en découdre encore plus avec les congas et la batterie, un vrai duel musical. La respiration vint alors du piano de Mario Canonge, tranquilou d’abord et déchaîné ensuite, très vite, on a compris que Mario était dans ses meubles. Pour ceux qui connaissent moins bien l’artiste, il faut savoir qu’il fût d’emblée une figure des clubs parisiens et très demandé par des musiciens pressés de former un groupe comme Ultra Marine, Kassav ou Sakiyo, sans oublier ceux qui le voulaient en tournée comme Richard Bona, Manu Dibango, Dee Dee Bridgewater, Michel Jonasz, Chico Freeman ou Ralph Thamar sans oublier en 2004 cet enregistrement Rhizome avec un certain Roy Hargrove, pour les plus curieux voyez la signification sous toutes ces formes du mot Rhizome (2) et vous comprendrez la vaste étendue des options musicales qu’offre Mario Canonge afin de donner cette hauteur aux sonorités d’une autre Amérique. Des sons que l’on retrouve entre autres sur des enregistrements comme Mitam avec le cubain Felipe Cabrera à la basse et le haïtien Obed Calvaire à la batterie ou encore son trio CAB ( Caraïbes, Afrique Brésil) avec Blik Bassi chant et guitare et Andriano Tenorio aux percussions mais Mario Canonge n’oublie pas sa passion pour le jazz.

Mario Canonge :

C’est vrai que j’ai grandi avec des musiques caribéennes, la musique latine mais, au fond de moi, j’ai toujours été un jazzman, je joue beaucoup de jazz dans les clubs, je joue en duo, en trio des thèmes de jazz, des standards, pour moi, c’est une passion. A côté de çà, j’ai mes propres projets où je fais des disques avec des couleurs caribéennes même tintés d’harmonie jazz, d’esprit un peu jazz…par ailleurs, je rencontre énormément de musiciens qui viennent de pays différents. Je voyage beaucoup aussi, donc c’est l’occasion de belles rencontres musicales

Giovani hidalgo, Horacio "El Negro" Hernandez, Jorge Reyes, Irving Acao, Yasek Manzano
Giovani hidalgo, Horacio « El Negro » Hernandez, Jorge Reyes, Irving Acao, Yasek Manzano

JP L :

Comment peut on expliquer cette passion du public pour cette musique qui monte à chaque concert ?

M Canonge :

Ben oui ! C’est une musique où il y a énormément de percussions avec de nombreux codes également.

JP L :

Dites moi quelques codes ?

M Canonge :

Ouf!!!Il y en a tellement que c’est difficile…ce qu’il faut comprendre, c’est que la musique cubaine marche avec ce que l’on appelle la clave, la clé en espagnol sur laquelle, les rythmes sont basés. Moi, j’ai une clave tac…tac où les choses sont vraiment très codées autour de cette clave entre les congas, les timbales et la batterie. Il y a les rythmes qui se complètent pour former quelque chose avec la basse aussi qui ne joue jamais sur les temps. En fait, dans la musique latine, rien n’est sur le temps, tout est toujours à contretemps, tout est toujours en l’air mais dans un swing qui permet, qui invite à la danse. Ce sont des rythmes caribéens, cubains ou portoricains pour la plupart mais, souvent, on joue des standards de jazz, ce soir par exemple, ce fut avec une composition d’Herbie Hancock ‘Dolphin Dance’, une approche vraiment latine jazz.

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JP L :

Vous qui jouez avec de nombreux musiciens des caraïbes, y a-t-il une difficulté de jouer un soir avec des européens ou des américains ?

M Canonge :

Moi, j’ai grandi en écoutant tellement de musiques différentes que, pour moi, elles sont toutes familières, j’ai joué, il n’y a même pas deux semaines en Angleterre avec un saxophoniste qui est d’origine jamaïcaine, c’est un anglais, il s’appelle Courtney Pine sur une musique caribéenne également mais qui est complètement différente, qui est plus proche de la musique de la Jamaïque ou de Trinidad.

JP L :

Parlez moi de votre dernier CD ?

M Canonge :

En fait, les CD quand j’enregistre en général la direction est jazz, mais, je cherche toujours à défendre les rythmes caribéens, donc c’est un mélange de tout çà. Mon dernier disque s’appelle Mitan comme le mi-temps de la vie, j’estime que je suis arrivé au mi-temps de ma vie qui, j’espère ira au delà de mes 100 ans (rires). Dans ce disque, il y a énormément de rythmes différents, des musiciens qui viennent de cultures différentes aussi, pas seulement des Caraïbes.J’avais invité également un musicien qui venait de l’Arménie qui est aussi une autre culture.

JP L :

Si vous deviez mettre des paroles sur votre CD CAB qui unit les musiques des Caraïbes, d’Afrique et du Brésil, elles auraient une signification sociale, politique ou autre ?

M Canonge :

Le chanteur chante dans une langue que je ne comprends pas, il chante en langue bassa qui est un dialecte du Cameroun. Il chante des choses de la vie de tous les jours, pas forcément engagées mais des morceaux qui peuvent l’être, d’autres qui parlent de la vie sociale, des moments de vie. Dans ces musiques là, dans notre projet, même si le texte reste important, le principal, c’est quand même les sonorités, c’est lié à la musique et on est trois sur scène et, ça sonne comme si on était 5 ou 6.

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JP L :

Parfois, on pense que le piano est noyé au milieu des autres instruments, est ce que ça vous fait cet effet là ?

M Canonge :

ça dépend des morceaux et puis, encore une fois, dans la musique latine, tous les rythmes s’imbriquent les uns dans les autres, donc, il y a une place pour chacun mais, bien sûr, il peut y avoir des problèmes de son ou de volume très fort, ça dépend mais tout s’imbrique et, en fait, c’est une musique qui n’est pas facile, il faut la comprendre, comprendre ses codes, comprendre cette direction, comprendre cette culture et ça peut mettre un certain temps mais, même, si on ne comprend pas ce qui se passe dans les rythmes, dans tous les cas, il y a une vibration qui passe, qui atteint les gens et qui les ravit, çà, c’est sûr…

Quand Mario Canonge parle de vibrations, il ne pouvait pas mieux dire car ces vibrations sont arrivées aussi aux oreilles des instances des Archives Nationales qui ont décidé sur une proposition de la Ministre de la Culture Fleur Pellerin, d’élever au rand de Trésor National les œuvres du poète romancier et philosophe de la créolisation Edward Glissant, une fête pour cet hommage pourrait passer par quelques notes de Mario Canonge.

Jean Pierre Lamouroux

 

(1) Suite de la saison automnale au Forum Nord ou au théâtre Ventura

Shai Maestro Trio – Toumani et Sidiki Diabate

Bozan Z et Julien Lourau – Jean Michel Pilic

tel : 04 97 13 55 33

(2) Une des théories philosophiques avancée par Gilles Deleuze et Félix Guattari, si on est curieux, sur le même sujet, cliquez sur Arbre de Porphire écrit au 3ème siècle par le philosophe néoplatonicien du même nom.

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