Adapté de La prière à la Lune de Fatima Elayoubi , le nouveau film du cinéaste propose le portrait d’une mère maghrébine qui maîtrise mal le français et séparée de son mari , travaillant comme femme de ménage , afin de pouvoir offrir le meilleur avenir possible à ses filles. Approche subtile de la problématique de l’intégration au travers de sa perception et de son vécu générationnel . Et magnifique regard naturaliste du cinéaste , sur la barrière de la langue et l’isolement, le rejet, les frustrations, ou encore, cette violence insidieuse qui s’immisce au cœur des rapports auxquels, Fatima oppose la force solaire de son combat d’émancipation …

Depuis son premier film , L’amour (1989 ) découvert en section parallèle « perspectives du cinéma Français » au Festival de Cannes , Philippe faucon fils de militaire qui a passé son enfance au Maroc où il est né et en Algérie , puis à Aix en Provence où il fait ses études Universitaires et va se tourner vers le Cinéma, a construit une belle et sensible filmographie sur la société Française auscultant , la classe ouvrière et son enfermement dans l’anonymat, la séropositivité de la jeunesse et surtout le rapport à l’émigration Maghrébine dont on retrouve , ici, les thématiques récurrentes concernant les difficultés d’intégration citées ci-dessus, qui renvoient à un débat qui n’a cessé de « crisper » ces dernières décennies la société Française.Débat relancé sans cesse , par les mots des amalgames et autres dérives racistes qui les accompagnent. Philippe Faucon qui connaît bien le sujet en propose , encore ici , une approche qui bouscule les idées toutes faites et les clichés faciles destinées à réveiller les bas instincts dont certains extrémismes de tous bords, manipulent les mots insidieux pouvant conduire aux pires violences. Ces violences révélatrices du malaise dont une phrase du film extraite du poème de Fatima, se fait révélatrice « là où un parent est bléssé , il y a un enfant en colère » . Cette colère qui peut conduire à toutes de dérives , Philippe faucon l’a décrite dans La désintégration (2011 ) qui raconte celle de trois adolescents de Banlieue dont la révolte est « exploitée » par une « grand frère » manipulateur qui les entraîne vers le point de non retour . Pour faire écho au portrait de cette « désintégration , il a choisi de révéler le miroir positif , d’une intégration réussie dont il dissèque subtilement dans Fatima, les difficultés qui s’y attachent et dont il renvoie aux parties concernées les barrières qu’il faudra renverser, y compris celles de la nature humaine, qui y font obstacle .

Alors, nous voilà dès les premières séquences plongés dans cette cellule familiale fémine ( le père est séparé de la mère mais ses filles le voient régulièrement ) , en compagnie de la « mama » Fatima ( Soria Zeroual , Magnifique ) et de ses deux filles , l’aînée Nesrine (Zita Henrot ) qui entreprend des études de Médecine , et la cadette, Souad ( Kenza Noah Aïche ) qui fait plutôt l’école buissonnière refusant de jouer le jeu de l’intégration et en constante révolte avec le modèle maternel qui lui renvoie une forme victimaire de soumission et d’exploitation. Cette mère dont le bonheur est de se sacrifier pour les études de ses enfants , et qui -argent oblige pour y parvenir – vendra ses bijoux et travaillera jusqu’à l’épuisement comme femme de ménage. Et le beau ( on devrait dire émouvant et magnifique ) portrait de Fatima femme de ménage Marocaine qui se « saigne » pour l’intégration de ses filles ( Ah ! , cette scène où elle va s’assurer que le nom de sa fille est bien inscrit sur la liste des reçues au concours…), est à la fois un superbe portrait de femme immigrée qui fait sourdre au long de son chemin de travail et de sa quête de dignité , toute une série de réflexions et de questionnements fondamentaux . Sur le « choc » des générations et des cultures , sur l’intégration , sur le ressenti humain qui s’y fait jour révélateur de toutes les violences qui s’insinuent et divisent , y compris au coeur de la communauté , avec ces regards inquisiteurs et jaloux qui se posent sur la réussite des uns et ( ou ) les comportements ( vestimentaires ou religieux ) des autres . Des comportements révélateurs y compris dans la cellule familiale de Fatima de cette incompréhensions générationnelles qui s’est installées autour des codes moraux et du regard extérieur , et aussi, de la langue dont les filles de Fatima nées en France maîtrisent ( y compris le langage de la rue , adopté par Souad) et que leur mère a du mal à manier continuant à s’exprimer et à écrire en arabe , ce qui constitue une « source de rejet et d’isolement pour Fatima , voire d’aliénation », explique Philippe Faucon dans le dossier de presse du film.

Dès lors, la violence qui s’installe dans les rapports avec l’autre se fait révélatrice d’un environnement qui « marque » l’appartenance à une communauté , à un milieu social et le clivage qui se reflète dans les rapports . Comme l’illustrent les scènes de conflit entre Souad et sa mère qui se transforment en violences verbales « tu es une cave tout juste bonne a te faire exploiter » qui « reflètent sa douleur et sa non acceptation de voir ce que sa mère accepte de vivre comme humiliations . La violence de Souad est en lien direct avec celle subie par Fatima », explique le cinéaste. Il y a également ces recommandations du père, qui , s’inquiète du comportement en société de ses filles ( la belle scène où il reproche à sa fille de fumer et que cette dernière lui rétorque «si une fille fume en public elle est considérée comme une pute …mais pour un garçon par contre , c’est normal! » ) et ce dernier qui veut leur imposer aussi , étant toutes deux en âge de fréquenter les garçons , un droit de regard sur leur choix…
La pression familiale à laquelle fait écho celle de la jalousie des voisines qui pèse comme un fardeau cherchant à faire rempart à toute vélleité d’émancipation. Il y a l’autre revers qui vient encore compléter le ressenti de Fatima sur son lieu de travail, lorsque les délatrices se mettent à l’oeuvre pour dénigrer les collègues afin de profiter de certaines faveurs . A la « déshumanisation» du travail décrite par le cinéaste , s’ajoute celle de cette propriétaire qui refuse de louer son appartement à une femme voilée, ou celle de cette mère française d’une jeune copine de classe de la fille de Fatima rencontrée dans un supermarché qui refuse le dialogue poli entamé par Fatima et s’éclipse , vite fait. Ou encore cette Bourgeoise qui emploie Fatima pour faire le ménage toute la journée et pour s’occuper d’une personne handicapée de sa famille , se justifiant « vous comprendrez que je ne vous déclare que pour deux heures »… afin de pouvoir bénéficier des allocations aux familles d’handicapés .

La force du film est là , dans cette exploration des milieux et de leurs contradictions, Philippe faucon filme ses personnages au plus près , les intègre dans les décors familiers et révélateurs de leur quotidien , celui des cités , celui de la rue et des amis de ses filles , ou celui des beaux appartements où Fatima fait ses ménages et dans son dernier lieu de travail où épuisée elle fera un chute dans l’escalier qui va l’immobiliser pendant plusieurs mois , provoquant cette démarche intérieure dont elle confiera en un poème magnifique dans son cahier son chagrin intérieur avec des mots bouleversants qui en disent long sur une certaine réalité profonde du parcours d’intégration dont le cinéma de Philippe faucon est l’un des rares cinéastes Français à inscrire une analyse , en profondeur , de ce qu’il renvoie et révéle comme réalités d’une société qui n’a pas su jusqu’ici trouver les solutions pour le régler, ou au moins, chercher à atténuer le fossé qui ne cesse de se creuser au cœur duquel toutes les violences ( et exploitations politiques ) s’insinuent . Peut-être que la séquence finale du magnifique poème de Fatima ouvrira quelques portes et bonnes volontés pour s’y pencher ,enfin . En tout cas, il est bouleversant et il nous livre une Fatima qui n’est plus perçue comme une étrangère parmi nous , mais comme une femme parmi d’autres .
Une femme , une mère , un exemple d’humanité et de bonté dont on ne peut qu’admirer le chemin vers la conquête d’une dignité, et qui nous dit comme pour s’excuser « je n’ai pas assez écouté mon coeur » , mesurant ce que la barrière du langage avait creusé comme fossé entr’elle et ses filles , mais aussi , ce qui l’avait enfermée , et rendue « invisible». Quel beau film…
(Etienne Ballérini)
FATIMA de Philippe Faucon – 2015- Sélection Quinzaine des réalisateurs Cannes 2015 –
Avec : Soria Zeroual , Zita Hanrot , Kenza Noah Aïche – Chawki Amari…
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