La cinéaste Belge révélée par Jeanne Dielman 23 Quai du Commerce 1080 Bruxelles (1975) était devenue une des figures féminines du cinéma qui , après Agnès Varda , avait ouvert la voie du cinéma resté très masculin, aux femmes. Une cinéaste exigeante et impliquée dont les films ont interpellé sur les comportements humains, sur la lutte des femmes , sur la solitude, et sur la mort dont la disparition de sa famille dans la tragédie de la Shoah a hanté toute son œuvre. Elle venait d’avoir 65 ans .

Née le 6 Juin 1950 à Bruxelles d’une famille juive Polonaise , grands parents et parents , qui fut déportée à Aushwitz et dont ne survécut au drame que sa mère, dont la figure hantera en filigrane , toute son œuvre. Elle lui avait consacré son dernier film No Home movie ( 2015 , présenté au dernier Festival de Locarno), réalisé juste avant que cette dernière ne s’éteigne en 2014 à l’âge de 86 ans . Un perte douloureuse dont la cinéaste ne se relèvera pas , tombée depuis en dépression et soignée pour des troubles dont elle ne se départira pas malgré son retour à son domicile Parisien en Septembre dernier . Elle s’est donné la mort ce 5 octobre 2015. Dans son film Là Bas ( 2006 ) tourné en Israël où elle évoque la tragédie du repli sur soi , de l’exil ( de soi et des autres ) du déséquilibre mental qui habite les gestes du quotidien , la cinéaste portait un regard sombre et désespéré sur sa propre solitude hantée par ce passé et cette mémoire douloureuse d’une blessure impossible à refermer. Comme un flash-back , nous revient en mémoire son premier court métrage devenu prémonitoire , Saute ma Ville (1968 ) où une jeune femme rentre à son domicile et s’adonne aux tâches quotidiennes de manière de plus en plus incohérente et irréfléchie, puis , finit par se suicider et faisant sauter l’appartement …

C’est en effet en 1968 que La cinéaste fait ses débuts avec ce court métrage qui sera suivi d’autres dont la forme expérimentale la rattachait au cinéma underground Américain , qui fleurira -aussi- après les événements libertaires de 68 en Europe. Un cinéma expérimental qui par son refus du modèle commercial traquait le mal- être des individus en filmant le banal du quotidien qu’elle captait dans ses courts : lents panoramiques à 360 degès répétés d’ une femme qui s’ennuie, dans ( La Chambre / 1972), ou d’ une jeune finlandaise dans son hôtel Parisien ( Le 15/ 8 en 1973) , et celui d’une femme seule qui fuit l’ennui de son appartement et fait la rencontre d’un routier, puis une femme avec qui elle fera l’amour (Je, tu, il , elle / 1974 ) . Mais aussi les « déclassés » et défavorisés de New-york ( Hôtel Monterey / 1972) les toxicomanes et délinquants ( Hanging out Yonkers / 1973 ) … qui trouveront leur prolongement dans son premeir long métrage qui fera date qui fut présenté dans le cadre de la quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes , Jeanne Dielman (1975 ) , il racontait le quotidien d’une Bruxelloise mère d’un jeune homme de 16 ans , veuve mais encore jeune qui se prostitue chez elle s’enfermant dans une routine san plaisir , mais qui va finir par s’arracher à son sort . Le film fait sensation par sa forme ( organisation de l’espace-temps) et par son sujet traité de manière hyper-réaliste sur l’aliénation , mais aussi sur l’obsession de la mort. Désormais la cinéaste va être reconnue sur le plan international , tandis que son film met au cœur du cinéma , l’image de la femme et de son vécu quotidien , loin des clichés . Le film interprété par Delphine Seyrig engagée dans le mouvement des luttes de libération féministes , aura un impact important…

Dès lors, la cinéaste va continuer à explorer et approfondir ses thèmes ( rapport à l’errance , au désir et à la sexualité , à la quête d’elle même , à la solitude et le rapport au monde dont ses films sont habités, et aussi , par le celui de la judaïté de ses orignes …), ainsi que la réflexion sur la mise en scène dont elle fait , du « minimalisme » et de l’engagement ( influences revendiquées de Jean-Luc Godard et du cinéma expérimental Américain : Jonas Mekas , Michaël Snow et Andy Wahrol …), son crédo, toujours remis en question par la recherche formelle incessante ( quête des espaces et des formats : cinéma ou vidéo, et de son rapport à l’art contemporain … danse , peinture ) , dont les plans-séquences , ou fixes , de ses films sont habités… Jusqu’ à l ‘épuisement , jusqu’à ce que la vérité s’y révèle. C’est cette obsession créatrice ( obsession -cinéma ) qui nous est restée de ses films dont nous avons apprécié cette façon de se livrer et de « crier » l’urgence d’un ressenti , d’un mal de vivre dans une société aseptisée dont elle ne supporte pas le poids des contraintes. Son mal de vivre et ses hurlements de colère sont des fulgurances qui habitent ses films et qui traduisent cette « bi-polarité » maladive dont son quotidien était habité, et qui se traduisait dans son cheminement cinématographique au fil temps et des films . Passant des courts au documentaires, à la fiction , aux genres ( comédies romantique ou musicale , adaptation littéraires… ) jusqu’au aux recherches formelles déjà citées . Chantal Akerman était une drôle de femme-cinéma dont les grands cinéastes ( Gus Vant Sant , Michaêl Haneke ou Apichatpong Weerasetakul…) ont revendiqué l’influence .

Alors, en revenons sur sa filmographie riche et diversifiée parsemée de perles en forme de chefs- d’oeuvre ou d’essais qui vous laissent tour à tour pantois ou dubitatif , c’est cette énergie du désespoir qu’il s révèlent qui nous a le plus touchés. Comme dans son News From Home ( 1977) déambulation dans les rues de New-York portée par la lecture en voix-off des lettres de sa mère . Et dans Les rendez-vous d’Anna (1978 ) où en réalisatrice invitée en Allemagne par un ciné-club elle nous fait partager ses rencontres et ses états- d’âme au long d’un road -movie qui deviendra Européen et que prolongent ses Histoires d’Amérique (1989 ) , ou son intrusion dans une galerie marchande pour y capter en forme de variation ( comédie ) musicale les tranches de vies de nombreux personnages ( Golden Eighties /1986 ). Tandis que dans Nuit et Jour ( 1991 ) une certaine Julie partage son cœur entre deux amants avant d’être rattrapée par les aléas de la vie . Autre tranche de vie en forme de comédie romantique remplie de quiproquos sur l’incommunicabilité entre un psychanalyste et une Française de passage qu’il héberge dans Un Divan à New-York ( 1996 ). Et puis cette exploration des rapports humains de la double vie et ( ou ) sexualité avec sa- libre- adaptation de Proust ( La Captive / 2000) ) en forme de plongée dans vertigineuse à la Hitchcok , que prolongera , celle du Roman de Joseph Conrad ( la Folie Almayer / 2102 ).
C’est cette variété et richesse des films de la Cinéaste Belge qui restera gravée dans l’histoire du cinéma , l’enrichissant de son apport , au niveau de la recherche formelle et de son regard sur la société marqué de cette rage ( contre les racismes ) et de ses douleurs ( la mémoire de la Shoah ) , mais aussi de sa quête insatiable de liberté , porteuse de cette énergie féminine qui l’habitait et la faisait se relever pour faire exister ce ( son) magnifique ) regard frémissant , féminin et bouleversant , sur l’écran.
(Etienne Ballérini