Le dernier film du réalisateur de La vierge des Tueurs (2001 ) et de Inju , la Bête dans l’ombre ( 2009) , autour du personnage d’une exilée Allemande sur l’île d’Ibiza qui avait jadis fui le nazisme , aborde avec originalité le thème de l’Amnésie hypocrite dans laquelle la société Allemande s’est réfugiée pour évacuer le lourd passé Nazi. A Voir …

Le début des années 1990 juste après la chute du mur de Berlin dont les échos et les images font le tour du monde entier. Sur l’ïle d’Ibiza Martha ( Marthe Keller , Magistrale et trop rare sur le grand écran ) qui vit dans une jolie villa à mi- hauteur entre mer et montagne depuis plus de Quarante ans , est une ex- violoniste qui s’est exilée volontairement sur ce « paradis » à l’écart du monde, fuyant le Nazisme et les horreurs qui – à elle cette Allemande de souche – lui étaient devenues insupportables. L’exil , le silence , mais, pas l’oubli ni le pardon pour ces infamies qui l’ont amenée dans ce lieu -refuge où elle a pu trouver une certaine paix , en tissant des liens avec les habitants de l’île et en se préservant de tout ce qui peut faire référence ( vins , célèbre marque de voiture … ) , à une nation dont elle refuse désormais de parler la langue et rejette tout ce qui peut faire référence à ce pays à qui elle ne pardonne pas -encore aujourd’hui- de s’être réfugié dans une « amnésie » , alibi de la bonne conscience , permettant d’évacuer , un peu trop facilement ce lourd passé, sous prétexte de se reconstruire un avenir . Trois générations ,qui, selon elle ont vécu sur ce terreau mensonger qui a permis de laisser dans l’ombre certains crimes commis et d’avoir minimisé le poids de certaines responsabilités individuelles et ( ou ) collectives,et ignorées donc par les jeunes générations . Et voilà justement qu’un jeune musicien Allemand , est devenu depuis quelques jours son voisin ( Max Riemelt, belle révélation) installé dans la villa juste au dessus de la sienne, où il a aménagé un studio pour y composer , et enregistrer ces créations. La donne va être bouleversée pour Martha au contact de ce dernier et par les relations de bon voisinage qu’il installe , décrites sous forme d’apprivoisement par petites touches . Belle idée du récit , qui va permettre de déclencher , plus tard , le processus de la confrontation de trois générations ( la scène du repas ) , où le masque de l’hypocrisie de la bonne conscience finit par tomber , ouvrant enfin , ce dialogue de la franchise et de la vérité nécessaire … permettant , la remise en question des certitudes des uns et des autres.

Revenu sur l’ île d’ibiza ( paysages et lumière superbement captés par une photographie magistrale du grand opérateur Luciano Tovoli , qui a travaillé avec les plus grands cinéastes) où il avait réalisé son premier film More ( 1968 ) , Barbet Schroeder qui y avait alors inscrit les tourments d’une jeune génération sombrant dans la drogue , y installe cette fois-ci , ceux de trois générations dont les destinées ont été bouleversées par les conséquences néfastes des idéologies et des conflits, et dont les traumatismes et les séquelles qu’ils ont générées comme réponses , ont «modelé » nos sociétés modernes. C’est ce que le « dialogue » entre Martha, et son voisin Musicien , va mettre à jour en réveillant les fantômes enfouis dans l’oubli et la mémoire douloureuse . A l’image de ce Violoncelle dont Martha n’a plus voulu jouer, après le drame vécu , et dont elle va finir par retrouver le plaisir de faire vibrer les cordes et les notes, cédant à la passion communicative de ce voisin qui lui en redonne le goût. Barbet Schroeder réussit magnifiquement les séquences qui les réunit , laissant entrer au fil des jours et du temps , ces petits riens dans les dialogues ou les silences . La pudeur de la mise en scène du cinéaste dans cette relation « amicale » entre deux générations , et ce qu’elle dit sur l’une et l’autre, et de leur regard sur le monde et la société , est passionnant. Comme le sont les échanges qui se concrétisent par une sorte de solidarité générationnelle bienveillante , faisant voler en éclats les masques, par la franchise qui s’installe . Celle qui permet à Martha, restée réfractaire à se raconter , à finir par baisser la garde . Barbet Schroeder, laisse entrer dans ces séquences des instants superbes qui ouvrent à l’impossible, ses portes. Celui qui se concrétise au cœur de la séquence centrale réunissant autour d’un repas préparé par Martha, le Grand-père ( Bruno Ganz) et la mère ( Corinna Kirchhoff ) de Jo . Scène où les questionnements , confessions et révélations ouvrent à une confrontation musclée sur cette fameuse « amnésie » honnie par Martha , comme matrice de l’hypocrisie de la bonne conscience et de la lâcheté qui s’y protège . Séquence -clé , dont personne ne sortira indemne, puisque chacun y verra ses certitudes et ses réflexes protecteurs mis à mal . Mais confrontation nécessaire, on l’a dit , dont Barbet Schroeder offre la dimension emblématique de l’intime ( celui du repas et du cercle réduit ) qui renvoie et appelle à ouvrir , à la même réflexion et au même débat d’idées, à la dimension du collectif . C’est la seule façon de se regarder en face , et c’est aussi le chemin nécessaire pour comprendre, les raisons des uns et des autres …

Ce chemin qui va permettre , aussi , à Martha de sortir d’un enferment qui ne faisait qu’alimenter ses souffrances et lui rendait impossible l’idée de pouvoir envisager de tourner la page douloureuse pour se ( re ) construire, enfin , une retraite plus paisible. Celle qui lui permettrait de vivre avec ses souvenirs douloureux , tout en y laissant entrer, la beauté de la vie qui continue, sans se renier … c’est ce que va lui apporter la présence et la jeunesse de Jo, dont l’ancrage dans le monde moderne ( la musique , et une certaine manière d’aborder la vie et l’avenir .. ) , auquel il est , lui aussi confronté , via ses liens familiaux, à un passé qui le concerne. Cette approche du personnage de la jeune génération que représente Jo et celle du personnage Martha, offrent une double dimension originale au film . C’est , en effet , la première fois que – parmi tous les films qui ont abordé le sujet de la période Nazie – le récit est centré sur un personnage de femme « ni juive, ni victime du régime nazi » qui fait le choix de quitter le pays, poussée , explique Barbet Schroeder « par l’intuition qu’il y avait des raisons sinistres à toutes les choses inexplicables qui se passaient autour d’elle . Les jeunes filles juives qui disparaissaient de sa classe d’un jour à l’autre, les bancs publics où il était écrit « interdit aux Juifs » …Martha n’a pas voulu continuer à vivre dans un endroit ou de telles choses ses déroulaient . Plus tard , en Suisse, quand les révélation sur les camps ont commencé à émerger , la réalité confirme à Martha sa terrible intuition… c’est à ce moment là qu’elle décide de ne plus parler Allemand et se couper de son pays (…) .C’est sa manière de résister, qui finit par avoir des implications plus profondes et Universelles » .

Son Portrait , complété par celui de Jo , le jeune homme de la génération de la chute du mur de Berlin qui représente , sans doute aussi , pour Barbert Schroeder , la génération qui à succédé à celle de l’après-guerre dont les jeunes cinéastes Allemands comme Fassbinder et autres Volker Schlondorff , ont interrogé avec leurs films , le trouble passé de l’histoire de leur pays. Le regard du personnage de Jo et son approche via la complicité qui s’installe avec Martha , sur cette période et cette « amnésie » en questions dont les séquelles ont participé à construire le présent de la société Allemande dans laquelle il vit aujourd’hui, est l’autre belle dimension que le film renvoie , en miroir positif, au personnage de Martha, dont Jo a su s’enrichir des questionnements qu’elle lui renvoie sur son pays, lorsqu’elle parle par exemple d’une certaine « arrogance » ou encore de ce succès de l’industrie Allemande dont le modèle de voiture qui l’a incarné ( la fameuse Volkswagen ) , constitue pour elle « le triomphe posthume d’Hitler ! ».
Réflexions et sujets rendus passionnants servis par une mise en scène efficace , et , par un beau« duo » à l’interprétation…
(Etienne Ballérini)
AMNESIA de Barbet Schroeder -2015-
Avec : Marthe Keller , Max Riemelt , Bruno Ganz , Corinna Kirchhoff …